Ukraine - un rappel brutal du manque de fiabilité occidentale

Le président américain Joe Biden répond à une question alors qu'il aborde l'invasion russe de l'Ukraine, depuis la salle Est de la Maison Blanche le 24 février 2022, à Washington, DC. (Brendan Smialowski/AFP)
Le président américain Joe Biden répond à une question alors qu'il aborde l'invasion russe de l'Ukraine, depuis la salle Est de la Maison Blanche le 24 février 2022, à Washington, DC. (Brendan Smialowski/AFP)
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Publié le Dimanche 27 février 2022

Ukraine - un rappel brutal du manque de fiabilité occidentale

Ukraine - un rappel brutal du manque de fiabilité occidentale
  • Ces dernières années, notre génération a également été témoin d’actes embarrassants commis par la même superpuissance qui ne respecte pas ses propres valeurs
  • Ce qui déçoit énormément les hommes, femmes et enfants qui sont la cible des milices houthies soutenues par les Iraniens est que l’administration Biden ne considère plus ces milices comme terroristes

Le 17 février, date marquant également le 14ème anniversaire de l'indépendance du Kosovo, Arab News s’est entretenu avec le Premier ministre du pays, Albin Kurti.

Au cours de l’entretien, j’ai demandé, à plusieurs reprises, s’il pensait toujours que l’Ouest - à savoir les Etats-Unis, l’Otan et l’Union européenne - était toujours fiable et si ces entités, dans des situations critiques, seraient prêtes à prendre le parti du Kosovo ou l'abandonneraient comme elles l’ont déjà fait en Afghanistan et, comme elles le font aujourd’hui, en Ukraine.

Le Premier Ministre Kurti a défendu l’Ouest et a affirmé que la présence des Etats-Unis et de l’Otan était permanente. Kurti, 47 ans, fait partie de ma génération. Celle qui a vu les Etats-Unis, sous George H.W. Bush, accourir pour libérer le Koweït dans les années 90, avec l’aide d'alliés régionaux. Vers la fin des années 90, sous la présidence de Bill Clinton, les États-Unis ont aidé à mettre fin à la guerre des Balkans et aux massacres des Serbes au Kosovo et en Bosnie. 

Cependant, ces dernières années, notre génération a également été témoin d’actes embarrassants commis par la même superpuissance qui ne respecte pas ses propres valeurs et en arrive même à transgresser les limites qu’elle a elle-même établies. Nous avons tous vu ce qui s’est passé en Syrie et en Ukraine. Barack Obama, ancien Président des Etats-Unis d'Amérique, avait menacé le dictateur syrien, Bachar al-Assad, de représailles s’il venait à utiliser les armes chimiques en 2012. La même menace avait été proférée en 2014  à l’encontre de la Russie, si celle-ci prenait le contrôle de la Crimée. A ces deux occasions, l’ancien président et lauréat du prix Nobel de la paix n’a absolument rien fait.

Aujourd’hui, le Président Joe Biden emprunte le même chemin. Malgré ses paroles acerbes, il ne dit pas grand chose. Prononcer des discours interminables est possible mais tant que “l’OTAN n’envoie pas de troupes en Ukraine”, le résultat restera le même.

L’Ukraine - une démocratie au parcours irréprochable et qui espérait  devenir un jour  membre de l’OTAN, paie aujourd’hui un prix très lourd; celui  d’avoir fait confiance aux Etats-Unis et à l'Occident en croyant qu’ils la protégeraient si elle choisissait une autre trajectoire que celle de son voisin russe.

Ce n’est donc pas une surprise pour nous, experts d’Arabie Saoudite ou du monde arabe. Nous avons la chance, en Arabie Saoudite, d’avoir investi dans notre propre défense et ce, depuis des décennies. Nous avons géré la majorité des attaques terroristes violentes des Houthis sur nos villes et aéroports civils.

Cependant, ce qui déçoit énormément les hommes, femmes et enfants qui sont la cible des milices houthies soutenues par les Iraniens est que l’administration Biden ne considère plus ces milices comme terroristes, comme à l'époque de Donald Trump. Les Etats-Unis d'Amérique n’admettront jamais qu’ils se sont trompés, même en voyant les Houthis se vanter d’avoir commis des crimes contre les civils dans le Royaume et, récemment, aux Emirats arabes unis. Pour enfoncer le clou, les Etats-Unis d'Amérique ont retiré des batteries de missiles Patriot - qui sont, comme nous le savons, une technologie de défense - alors que les forces du Royaume restent en état d’alerte maximale pour défendre le peuple des attaques terroristes aléatoires.

Personne ne peut blâmer l’Ukraine d’avoir pensé qu’avec de pareils amis elle n'aurait pas besoin d'ennemis

Faisal J. Abbas, Rédacteur en chef

On pourrait dire que les Etats-Unis ont cependant agi pour protéger l’Ukraine. En effet, ils ont envoyé de l’aide militaire et ont annoncé des sanctions. Ils ont également condamné les attaques des Houthis contre l’Arabie Saoudite et les Emirats arabes unis; mais entre les paroles et la prise d’actions nécessaires pour que justice soit faite, il existe une grande différence.

Même l’Ouest est tiraillé quant aux sanctions à imposer. En effet, il existe beaucoup d’enjeux économiques et d'intérêts mutuels en jeu.

Les prix du pétrole et du gaz ont évidemment connu une hausse vertigineuse et pourraient augmenter davantage, ce qui aurait de graves répercussions sur le pouvoir d’achat des citoyens européens et américains.

La situation actuelle du marché de l'énergie aurait pu être évitée et l’impact aurait été moins dur si l’administration Biden avait mieux travaillé et n’avait pas agi en tant qu'Etat paria vis-à-vis de ses alliés et amis de longue date.

Pour revenir à l'exemple des Houthis, non seulement cela n’aurait pas coûté grand-chose à Washington d’admettre son erreur et de considérer les Houthis comme terroristes mais cela aurait été en alignement avec l'idéologie anti-terroriste du pays. (Pour rappel, l’un des slogans officiels des milices houthies est “Mort à l'Amérique"). Certains membres de l’administration américaine actuelle voudraient probablement accorder la priorité aux disputes et préféreraient révoquer toutes les décisions de l’ancien Président américain Donald Trump pour s’aligner avec les politiques et valeurs américaines de longue date.

Pendant ce temps, les experts à Moscou doivent sûrement bien rire face aux  mesures punitives récentes qui ont été annoncées, comme empêcher la Russie de participer au concours de chant Eurovision 2022 ou empêcher Saint-Pétersbourg de recevoir la finale de la Ligue des champions de l’UEFA.

Même les mesures les plus sévères annoncées telles que les sanctions individuelles ne constitueront que des dommages collatéraux acceptables, lorsque l’on prend en considération le point de vue du gouvernement russe pour justifier le recours aux armes .

N’oublions pas que même si beaucoup de pays de par le monde considèrent que l’Ukraine a été envahie par un autre pays et ne partagent pas les visions de Moscou  à cet égard, plusieurs experts affirment que la Russie a toujours considéré l’Ukraine comme faisant partie historiquement de la mère patrie. Il y a aussi le récit officiel russe qui stipule que les “troupes de maintien de la paix” que la Russie a envoyées  en Ukraine défendent les deux républiques ayant obtenu récemment leur indépendance - la République populaire de Lougansk (RPL) et la République populaire de Donetsk (RPD) - celles-ci ayant officiellement demandé l’aide de Moscou.

Le président ukrainien Volodymyr Zelinsky a, bien évidemment, fait part de sa frustration à ses alliés occidentaux en déclarant qu’il n’avait pas obtenu les réponses qu’il espérait. Il sent - et ce à juste titre - que l’Ukraine a été abandonnée et doit se débrouiller seule. En effet, personne ne peut blâmer Kiev d’avoir  pensé qu’avec de pareils amis elle n'aurait pas besoin d'ennemis.

Mais revenons à l'entretien avec le Premier ministre du Kosovo que j’ai mentionné au début de l’article. Je ne peux que m’accorder avec lui quant à l'autre partie de sa réponse: si son pays continue de dépendre des Etats-Unis et de l’OTAN, il continue néanmoins à construire sa propre armée. Ceci est évidemment une très sage décision que devrait prendre n’importe quel pays dépendant actuellement des Etats-Unis et des puissances occidentales.

Faisal J. Abbas est le rédacteur en chef de Arab News. Twitter: @FaisalJAbbas

 

NDRL: L’opinion exprimée dans cette page est propre à l’auteur et ne reflète pas nécessairement celle d’Arab News en français.

 

Ce texte est la traduction d'un article paru sur Arabnews.com