Personne ne connaît la fin de partie de Poutine en Ukraine

Le président russe, Vladimir Poutine, participant à la réunion du Conseil économique suprême eurasien à partir de sa résidence, près de Moscou, le 10 décembre 2021. (Reuters)
Le président russe, Vladimir Poutine, participant à la réunion du Conseil économique suprême eurasien à partir de sa résidence, près de Moscou, le 10 décembre 2021. (Reuters)
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Publié le Mardi 21 décembre 2021

Personne ne connaît la fin de partie de Poutine en Ukraine

Personne ne connaît la fin de partie de Poutine en Ukraine
  • Si l'Ukraine rejoint l'Otan, l'équilibre des forces navales en mer Noire pencherai en faveur de l'alliance
  • L'Otan et la Russie s'accusent mutuellement de provocations, mais la vérité se situe peut-être quelque part à mi-chemin

Un bras de fer bat son plein entre la Russie et l'Ukraine d'une part et les États-Unis et la Russie d'autre part.

La Russie a massé jusqu'à 100 000 soldats le long de la frontière ukrainienne, une concentration importante qui ne peut être simplement interprétée comme un mouvement militaire de routine. La Russie peut agir ainsi pour dissuader l'Otan de faire pression sur elle, ou elle peut planifier une attaque surprise modifiant plusieurs paradigmes en Ukraine, ou les deux.

Le conflit a plusieurs dimensions, dont deux sont particulièrement importantes.

L'une est l'engagement indéfectible de l'Otan à faire de l'Ukraine un membre de l'alliance. Après avoir soulevé cette question à maintes reprises, il n'est peut-être pas facile maintenant pour l'Otan de reculer. L'adhésion de l'Ukraine à l'Otan modifierait considérablement le rapport de forces en mer Noire, la seule mer au monde dont le statut international avait été méticuleusement lié à des règles strictes par la convention de Montreux en 1936.

La convention a été négociée sur l'hypothèse que la marine soviétique resterait indéfiniment la plus grande de la mer Noire, et fait référence à «la flotte la plus puissante dans cette mer à la date de la signature» de la convention. Il est clair que le pays auquel il est fait référence est l'ancienne Union soviétique. Sans ouvrir le débat sur la question de savoir si la Russie doit être considérée comme le successeur de l'ensemble de l'Union soviétique, il est légitime de se demander comment le critère de la «flotte la plus puissante» devrait être interprété et si les installations militaires en Crimée devraient être considérées comme russes ou ukrainiennes. Si l'Ukraine rejoint l'Otan, l'équilibre des forces navales en mer Noire pencherai en faveur de l'alliance.

La deuxième dimension de la tension actuelle est la situation dans les «Républiques populaires» autoproclamées de Donetsk et Lougansk, qui sont habitées principalement par des Ukrainiens russophones. Mais la crise ukrainienne a de profondes implications qui vont au-delà de Donetsk et Lougansk. Cette question a été soulevée la semaine dernière lors de la conversation téléphonique entre Joe Biden et Vladimir Poutine.

«L'objectif ultime de la Russie n'est pas clair, mais l'Ukraine a toutes les raisons de craindre le pire.»

Yaşar Yakış

La Maison Blanche et le Kremlin ont mis l'accent sur des questions différentes à partir de ces pourparlers. Washington craignant que les activités militaires russes ne soient un prélude à une invasion, Biden a ainsi réaffirmé son soutien à la souveraineté et à l'intégrité territoriale de l'Ukraine, et a déclaré que si la Russie envahissait l'Ukraine, les États-Unis répondraient par des mesures économiques accablantes. La Russie, quant à elle, a essayé d'obtenir la garantie ferme qu’il serait exclu que l'Ukraine adhère à l'Otan.

L'Otan et la Russie s'accusent mutuellement de provocations, mais la vérité se situe peut-être quelque part à mi-chemin, tandis que d’âpres négociations peuvent être nécessaires pour trouver un terrain d’entente.

L'un des succès de l'Otan au cours de ses sept décennies d'existence est que sa détermination n'a jamais été mise à épreuve sur le champ de bataille, et nous ne savons donc pas si son prestige serait atteint au cas où elle s'engageait dans une véritable confrontation militaire avec la Russie. Il convient de rappeler que l'Union soviétique a été démembrée en partie du fait des efforts de l'Otan lors des réunions de réductions mutuelles et équilibrées de forces, sans que ne soit tiré le moindre coup de feu.

L'invasion et l'annexion de la Crimée par la Russie en 2014 ont suscité l'opposition de nombreux pays, bien qu'aucun n'ait entrepris une action militaire pour y mettre un terme. Mais si le même scénario se répétait à Donetsk et Lougansk, la réaction de la communauté internationale pourrait être différente. Cela n’irait sans doute pas jusqu'à une action militaire, mais davantage de pays pourraient mettre en place des sanctions économiques contre la Russie. D'autre part, le Conseil de sécurité de l'ONU ne peut pas imposer de sanctions à la Russie en raison du veto de Moscou; elles ne seraient donc pas contraignantes pour la communauté internationale et de nombreux pays hésiteraient à recourir à des sanctions, par crainte de provoquer inutilement la Russie.

L'objectif ultime de la Russie n'est pas clair, mais l'Ukraine a toutes les raisons de craindre le pire. L'Otan, de son côté, se plaint de l'imprévisibilité de ce que la Russie peut faire en Ukraine. Ce que l'Union soviétique a fait en 1956 en Hongrie, en 1968 en Tchécoslovaquie, et plus récemment ce que la Fédération de Russie a fait en 2008 dans deux régions autonomes de Géorgie-Ossétie du Sud et Abkhazie, et enfin en Crimée, n’a pas été oublié. Les exemples de recours au fait accompli par la Russie ne manquent donc pas et elle possède tous les moyens pour le faire à nouveau. La question est donc de savoir si une conflagration totale peut être évitée avant que le pire ne se produise.

 

Yasar Yakis est ancien ministre des Affaires étrangères de Turquie et membre fondateur du parti AK au pouvoir.

Twitter: @yakis_yasar

 

Clause de non-responsabilité: Les opinions exprimées dans cette rubrique sont personnelles et ne reflètent pas nécessairement le point de vue d’Arab News.

 

Ce texte est la traduction d’un article paru sur Arabnews.com