« L'Amérique est de retour» a promis Biden, mais l’avenir de l’Otan reste incertain

Recep Tayyip Erdogan, Joe Biden, Jens Stoltenberg et Boris Johnson lors du sommet de l'Otan à Bruxelles, en Belgique, le 14 juin 2021. (Reuters)
Recep Tayyip Erdogan, Joe Biden, Jens Stoltenberg et Boris Johnson lors du sommet de l'Otan à Bruxelles, en Belgique, le 14 juin 2021. (Reuters)
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Publié le Dimanche 27 juin 2021

« L'Amérique est de retour» a promis Biden, mais l’avenir de l’Otan reste incertain

« L'Amérique est de retour» a promis Biden, mais l’avenir de l’Otan reste incertain
  • Biden s'est montré parfaitement déterminé à faire savoir à « toute l'Europe que les États-Unis sont là ».
  • Cependant, les réalités géopolitiques du monde d'aujourd'hui rendent difficile pour Washington de maintenir la suprématie économique et militaire requise pour contrer l'influence de la Chine

La première visite à l'étranger du président Joe Biden était fortement convoitée dans la mesure où il a présenté dans le détail sa vision de la politique étrangère des États-Unis et ce, pour la première fois depuis la campagne électorale. Coincé entre la réunion du G7 au Royaume-Uni et un sommet États-Unis-Union européenne à Bruxelles, M. Biden a également pris part au sommet de l'Otan. Encore marqués par les remarques dénigrantes formulées par le président Donald Trump à l'égard de cette organisation lors de sa dernière réunion en 2019, les 29 alliés escomptaient avec impatience que soit réaffirmée la solidarité transatlantique dans le contexte des nouvelles menaces posées par la Russie, de plus en plus menaçante, et la Chine, en pleine ascension.

« L'Amérique est de retour ». C'est ce qu'a annoncé Biden, qui a affirmé que le phénomène politique ayant propulsé Trump au pouvoir, quoique considérable, ne représente que la vision d'une minorité d'Américains sur le monde. Lorsque M. Biden a saisi l'occasion pour qualifier le pacte de défense mutuelle lié à l'alliance d' « obligation sacrée » pour les États-Unis, les observateurs ont sans doute poussé un soupir de soulagement. Le moment où Trump a quitté le sommet précédent après un affrontement avec le président français Emmanuel Macron semblait être un lointain souvenir. Cependant, une réalité persistait encore : les politiques américaines du passé ne seront peut-être pas rétablies, en dépit des annonces de Biden, dans la mesure où les défis géopolitiques du monde ont profondément  évolué.

Au cœur de la vision de l'organisation se trouve le concept stratégique de l'Otan, qui définit son objectif et sa nature. Mis à jour pour la dernière fois il y a plus de dix ans, il ne tient pas compte des défis actuels en matière de sécurité. En effet, la Russie ne fait plus figure de partenaire potentiel en matière de sécurité, et la Chine, quant à elle, n'est plus le géant anodin qu'elle semblait être.

Biden s'est montré parfaitement déterminé à faire savoir à « toute l'Europe que les États-Unis sont là ». Cependant, les réalités géopolitiques du monde d'aujourd'hui rendent difficile pour Washington de maintenir la suprématie économique et militaire requise pour contrer l'influence de la Chine. Les dirigeants de l'Otan ont en effet prévenu que la Chine présentait des « défis systémiques » en pointant Pékin du doigt dans un communiqué. Cette prise de position n'est toutefois pas définie aussi clairement qu’elle ne l’était durant la guerre froide, lorsque l'Union soviétique cherchait à établir et à maintenir un système d'alliance parallèle. Aujourd'hui, la Chine fait partie intégrante de l'économie mondiale et constitue un partenaire particulièrement important pour nombre des puissances de l'Otan, qui ne sauraient s'opposer à elle à tout bout de champ.

Lors du dernier sommet de l'Otan auquel elle participait en tant que chancelière allemande, Angela Merkel l'a fait savoir sans ambiguïté. Saluant l'arrivée de M. Biden, qui marque le début d'une nouvelle ère, elle a souligné l'importance de ne pas relâcher les relations avec la Chine, « nous devons trouver le bon équilibre ». En effet, l'Otan a accepté de réagir à la montée en puissance de la Chine, en raison de ses investissements dans les ports européens, de ses technologies sensibles et de ses intentions d'installer des bases militaires internationales. Toutefois, les alliés ne perdent pas de vue les liens économiques qu'ils entretiennent avec ce pays. En 2020, les échanges commerciaux de l'Allemagne avec la Chine ont totalisé plus de 257 milliards de dollars. Côté États-Unis, les avoirs chinois en bons du Trésor américain s'élevaient à 1 100 milliards de dollars en mars, alors que le commerce des États-Unis avec la Chine se chiffrait à 559 milliards de dollars en 2020. Les alliés de l'Otan ne peuvent donc pas isoler la Chine, peu importe la nostalgie qu'ils éprouvent à l'égard du statu quo créé par les États-Unis après l'année 1945.

Biden a exprimé le point de vue de plusieurs alliés à la suite du sommet et de sa rencontre avec le président russe Vladimir Poutine lorsqu'il a déclaré : « Et si le reste du monde considérait que les États-Unis intervenaient dans les élections... d'autres pays et que tout le monde le savait ? ». Dans un contexte où la Russie intensifie ses prises de position sur le plan international et où se profilent des manœuvres militaires conjointes sino-russes, l'Otan a de quoi s'inquiéter.

Mais tout comme la Chine, l'Union européenne sait que certains de ses intérêts géopolitiques ne rejoignent pas forcément ceux des États-Unis. L'ambition de Macron de se positionner en tant que « partie négociante » auprès de Moscou se heurte aux exigences que les États-Unis imposent à leurs alliés. Cependant, les récents épisodes d’un président américain isolationniste ont semé un sentiment d'insécurité en Europe. Que Biden soit ou non capable de restaurer la confiance des Européens dans le particularisme américain, les dirigeants européens sont décidés à garantir plus efficacement leur sécurité.

Les récents épisodes d’un président américain isolationniste ont semé un sentiment d'insécurité en Europe.

 

Zaid M. Belbagi

La dernière mission conjointe des porte-avions britannique HMS Queen Elizabeth et français Charles De Gaulle, qui s'est déroulée sur trois jours d'exercices baptisés « Gallic Strike » (ou Frappe gauloise), reflète bien l'état d'esprit qui anime les capitales européennes. Face aux États-Unis qui se montrent de moins en moins fiables, elles sont contraintes de réfléchir à d'autres solutions. Le fait que le secrétaire d'État américain Antony Blinken ait choisi l'Asie pour son premier voyage à l'étranger, tout comme le secrétaire à la défense Lloyd Austin, est loin de passer inaperçu. La primauté de l'Europe dans la politique étrangère américaine n'est plus un fait acquis.

Pour l'instant, les alliés européens de l'Amérique sont plutôt rassurés : un populiste façon Trump ne siègera pas à la Maison Blanche pour le moment. Toutefois, le sommet de l'Otan a montré que l'alliance se doit de revoir ses ambitions stratégiques pour l'avenir, dans le contexte de l'incident récent de l'avion biélorusse, du renforcement de la présence des troupes russes à la frontière avec l'Ukraine, du retrait des États-Unis d'Afghanistan et d'Irak ainsi que de la pandémie. Maintenant que l'Europe sait que certains de ses intérêts géopolitiques ne rejoignent pas nécessairement ceux des États-Unis, l'Otan lui procure une plate-forme bien rodée lui permettant de développer une capacité stratégique solide afin de défendre ces intérêts. Si la thèse de « l'Amérique est de retour » rassure, elle est tout aussi inefficace en ces temps où les alliés européens sont tenus de se positionner en tant qu'acteurs mondiaux autonomes alors que la Pax Americana s'estompe.

 

Zaid M. Belbagi est un commentateur politique et un conseiller auprès de clients privés entre Londres et le Conseil de coopération du Golfe (CCG). Twitter: @Moulay_Zaid

 

L’opinion exprimée dans cette page est propre à l’auteur et ne reflète pas nécessairement celle d’Arab News en français.

 

Ce texte est la traduction d’un article paru sur arabnews.com