La réintégration de la Syrie met en évidence l'approfondissement des liens intra-arabes

Le président Ahmad al-Chareh prononce un discours lors de la présentation de la "nouvelle identité visuelle de la République arabe syrienne". (AFP)
Le président Ahmad al-Chareh prononce un discours lors de la présentation de la "nouvelle identité visuelle de la République arabe syrienne". (AFP)
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Publié le Samedi 05 juillet 2025

La réintégration de la Syrie met en évidence l'approfondissement des liens intra-arabes

La réintégration de la Syrie met en évidence l'approfondissement des liens intra-arabes
  • Depuis son arrivée au pouvoir, M. al-Chareh a adopté une stratégie diplomatique claire visant à restaurer la position de la Syrie dans la région arabe
  • Le renouvellement de la coopération et l'approfondissement de l'engagement avec les pays de la région produisent des résultats tangibles pour la Syrie

En mai, le Maroc et la Syrie ont annoncé le rétablissement de leurs relations diplomatiques et la réouverture de leurs ambassades respectives à Damas et à Rabat. Il s'agit d'un signal symbolique mais puissant de la réintégration de la Syrie dans le monde arabe. Cette décision, qui précède une éventuelle visite au Maroc du dirigeant syrien Ahmad al-Chareh, représente une étape clé dans l'unité arabe après des années de fragmentation.

L'isolement de Damas a commencé avec le déclenchement de la guerre civile en 2011 et a été renforcé par l'alignement de la Syrie sur Téhéran. Ces événements ont éloigné le pays d'une grande partie du monde arabe sur le plan diplomatique. Les actions du régime Assad ont entraîné l'exclusion de la Syrie de la Ligue arabe, ce qui en a fait une exception régionale pendant des années. Cette situation a commencé à changer avec la réadmission de la Syrie à la Ligue arabe en 2023, une première étape importante, bien que largement symbolique. Le véritable changement est intervenu avec la chute de Bachar Assad, qui a ouvert la voie à une nouvelle ère sous la direction d'al-Chareh.

Depuis son arrivée au pouvoir, M. al-Chareh a adopté une stratégie diplomatique claire visant à restaurer la position de la Syrie dans la région arabe. Cette orientation n'est pas nouvelle pour la Syrie, un pays longtemps considéré comme un champion clé du panarabisme. Le nationalisme arabe et l'idéologie panarabiste sont nés en Syrie à la fin de l'Empire ottoman, avec des personnalités influentes telles que Rashid Rida et Michel Aflaq, entre autres, qui ont joué un rôle fondamental dans la promotion de l'unité arabe et de l'indépendance vis-à-vis des puissances coloniales ottomanes et européennes.

Aujourd'hui, cet héritage se poursuit sous la direction d'al-Chareh. Il a adopté un discours nationaliste fondé sur l'unité et la confiance. "La Syrie ne sera pas utilisée pour attaquer ou déstabiliser un pays arabe ou un pays du Golfe", a-t-il déclaré, appelant les partenaires régionaux à aider à reconstruire le pays "dans le cadre du monde arabe".

La première priorité d'al-Chareh était claire : rétablir la légitimité de la Syrie sur la scène arabe. En février, il a effectué sa première visite officielle à l'étranger à Riyad, où il a rencontré le prince héritier Mohammed bin Salman. À l'ordre du jour figuraient la levée des sanctions économiques, le retour des réfugiés et la coordination de la lutte contre le terrorisme. Il s'agissait d'une démarche stratégique, car l'engagement de l'Arabie saoudite signalait aux autres États du Golfe que la Syrie souhaitait sérieusement prendre ses distances avec les alliances passées et se forger une nouvelle orientation centrée sur l'Arabie.

Depuis son arrivée au pouvoir, al-Chareh a adopté une stratégie diplomatique claire pour restaurer la position de la Syrie dans la région arabe.

                                           Zaid M. Belbagi

La diplomatie d'al-Chareh s'est rapidement étendue au Qatar et aux Émirats arabes unis, où les discussions ont porté sur la reconstruction et la coopération régionale à long terme. Le mois suivant, la Syrie a présenté son programme de réformes. En Jordanie, les accords et les discussions ont porté sur le renforcement de la sécurité aux frontières et sur les efforts conjoints pour lutter contre le commerce illicite du captagon, qui préoccupe de plus en plus Amman et Riyad. La Syrie est redevenue membre de l'Organisation de la coopération islamique et le Koweït a annoncé la réouverture imminente de son ambassade à Damas.

Au-delà des visites de haut niveau et de la réouverture des ambassades, des formes plus profondes de collaboration voient le jour, notamment en matière de reconstruction et d'infrastructures. En mai, la Syrie et la Jordanie ont convenu de former un Conseil supérieur de coordination, marquant ainsi une nouvelle étape importante dans leurs relations bilatérales. L'accord prévoit de revoir l'accord de 1987 sur le fleuve Yarmouk, de redynamiser les comités conjoints sur l'eau et d'explorer l'intégration énergétique régionale.

La Jordanie et la Syrie relancent également les réseaux électriques et le Qatar a confirmé la fourniture de 2 millions de mètres cubes de gaz naturel par jour via la Jordanie, ce qui permettra d'augmenter la production d'électricité syrienne de 400 mégawatts, dans le but de doubler l'approvisionnement en électricité. À cela s'ajoute l'accord de l'année pour Damas : un accord de 7 milliards de dollars avec un consortium d'entreprises américaines, qataries et turques qui vise à remettre en état les secteurs de l'énergie et de l'électricité en ruine de la Syrie.

Le renouvellement de la coopération et l'approfondissement de l'engagement avec les pays de la région produisent des résultats tangibles pour la Syrie.

                                                      Zaid M. Belbagi

L'impact économique est déjà visible. Au cours du premier trimestre 2025, 88 contrats ont été signés pour la zone franche syro-jordanienne de Jaber-Nasib, et plus de 800 investisseurs attendent leur approbation. Le trafic journalier de camions à la frontière a triplé et les exportations syriennes vers la Jordanie ont atteint 23,7 millions de dollars pour le seul mois de février, soit une augmentation notable par rapport aux 5,4 millions de dollars de l'année précédente.

Le nombre croissant de visites diplomatiques et l'expansion des relations commerciales entre la Syrie et les pays de la région reflètent un consensus plus large parmi les États arabes : le moment est venu de renouer le dialogue avec la Syrie. L'ouverture d'al-Chareh au renforcement des liens avec les États du Golfe, en particulier en termes de commerce et d'énergie, est le signe d'une évolution vers une intégration plus profonde entre le Levant et le Conseil de coopération du Golfe, ainsi que plus largement dans l'ensemble du Moyen-Orient.

Ce qui n'était au départ que des ouvertures diplomatiques prudentes se matérialise aujourd'hui par des résultats concrets, ouvrant la voie à un avenir meilleur pour la Syrie. La levée des sanctions américaines et européennes a déjà permis de financer de nouveaux projets, essentiels à la réussite du plan de reconstruction du pays. Par ailleurs, avec le soutien actif d'Etats arabes clés, les organisations internationales reviennent en Syrie. L'Arabie saoudite et le Qatar sont intervenus pour rembourser la dette syrienne de 15,5 millions de dollars à la Banque mondiale et pour prendre en charge une partie des salaires des fonctionnaires syriens.

Cette coopération renouvelée et l'approfondissement de l'engagement avec les pays de la région produisent des résultats tangibles pour la Syrie. Le gouvernement d'al-Chareh ne se contente pas de rouvrir les ambassades et d'organiser des visites diplomatiques, il rouvre aussi activement la Syrie à la région, dans un souci commun de stabilité, de commerce et de reconstruction.

À ce titre, la réintégration de la Syrie est un indicateur clair de l'approfondissement du rapprochement arabe, qui devrait se traduire par des résultats plus concrets, en façonnant des alignements géopolitiques prometteurs et en renforçant les liens entre les États arabes.

Zaid M. Belbagi est commentateur politique et conseiller auprès de clients privés entre Londres et le Conseil de coopération du Golfe.

X : @Moulay_Zaid

NDLR: Les opinions exprimées par les auteurs dans cette section leur sont propres et ne reflètent pas nécessairement le point de vue d'Arab News.

Ce texte est la traduction d’un article paru sur Arabnews.com