La France, acteur clé de la montée en puissance de l'Europe sur le marché mondial de la défense

Le président Macron prononce un discours devant les chefs de l'armée à la veille du défilé annuel de la Bastille à Paris (AFP).
Le président Macron prononce un discours devant les chefs de l'armée à la veille du défilé annuel de la Bastille à Paris (AFP).
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Publié le Mardi 22 juillet 2025

La France, acteur clé de la montée en puissance de l'Europe sur le marché mondial de la défense

La France, acteur clé de la montée en puissance de l'Europe sur le marché mondial de la défense
  • La France maintient actuellement ses dépenses de défense à environ 2 % du produit intérieur brut, bien en deçà du nouveau seuil de 3,5 % fixé par l'OTAN.
  • M. Macron mise sur un consensus renouvelé en matière de défense pour détourner les critiques du plan d'austérité controversé du Premier ministre François Bayrou, qui vise à récupérer 40 milliards d'euros.

À la veille de la fête de la Bastille, le président français Emmanuel Macron a appelé à un renforcement majeur des forces de défense de la France, soulignant la nécessité pour le pays de devenir la première puissance militaire du monde, capable d'agir de manière indépendante face à des menaces mondiales croissantes. Au cœur de ce pivot se trouve un aveu brutal : La France est à la traîne.

Alors que la Russie et la Chine progressent rapidement dans les technologies émergentes, allant de l'intelligence artificielle et de la guerre des drones aux capacités spatiales, cybernétiques et quantiques, la France maintient actuellement ses dépenses de défense à environ 2 % du produit intérieur brut, bien en deçà du nouveau seuil de 3,5 % fixé par l'OTAN. Elle reste cependant le deuxième exportateur d'armes au monde, avec 9,6 % des parts du marché mondial, une position largement soutenue par la forte demande de ses alliés de l'OTAN et de ses partenaires d'Europe de l'Est.

Aujourd'hui, M. Macron s'est engagé à procéder à une augmentation budgétaire sans précédent. Un montant supplémentaire de 6,5 milliards d'euros (7,5 milliards de dollars) sera injecté dans les dépenses de défense au cours des deux prochaines années, ce qui portera le total à 64 milliards d'euros en 2027, soit le double de ce que l'armée a reçu lorsque Macron est entré en fonction en 2017. Cette augmentation fait suite à une hausse de la production de radars, de missiles Mistral et Aster, d'obusiers Caesar et d'avions de combat Rafale.

Pour l'élite stratégique française, cet investissement est également politique. Le chef d'état-major de la défense, le général Thierry Burkhard, a récemment déclaré que la France était la cible prioritaire de Moscou. Et M. Macron mise sur un consensus renouvelé en matière de défense pour détourner les critiques du plan d'austérité controversé du Premier ministre François Bayrou, qui vise à récupérer 40 milliards d'euros.

Cette année, le défilé de la Bastille a mis en évidence les ambitions militaires accrues de la France, avec un éventail plus large d'armes et de troupes. Zaid M. Belbagi

Le message a été largement diffusé lors du défilé militaire de la Bastille de cette année, qui a mis en évidence les ambitions militaires accrues de la France, avec un éventail plus large d'armements et de troupes. Le défilé a également souligné la solidarité européenne, puisque des F/A-18 suisses et des F-16 belges ont volé aux côtés des forces françaises. Le message était clair : la puissance aérienne européenne doit être interopérable, unie et prête.

La Revue stratégique nationale 2025 de la France fait écho à cette vision, en appelant à une "économie de guerre" et à une plus grande souveraineté européenne en matière de défense, notamment par le biais d'un financement commun des achats et de la production au sein de la base industrielle européenne des technologies de défense. Comme le souligne le Livre blanc sur la défense européenne de mars 2025, la France et l'Allemagne entendent mener une campagne de réarmement à l'échelle de l'UE.

L'investissement partagé dans des capacités évolutives est conçu pour optimiser le rapport coût-efficacité et la production industrielle. Des projets phares tels que le programme franco-allemand d'avions de combat du futur et le projet de chars d'assaut Main Ground Combat System ont été rejoints par des collaborations germano-britanniques sur les véhicules blindés Boxer et les avions à réaction Typhoon, donnant un aperçu du type d'élan militaro-industriel coordonné sur lequel les ambitions de défense de l'Europe reposent de plus en plus.

Cependant, cette consolidation interne s'est accompagnée de compromis géopolitiques. Si la France maintient son ancrage stratégique à Djibouti, elle a réduit son empreinte militaire à travers l'Afrique sous Macron, s'étant officiellement retirée de ses postes au Sénégal ce mois-ci, parallèlement à des départs antérieurs de Côte d'Ivoire, du Gabon, du Tchad et du Niger. Ces départs reflètent à la fois l'affaiblissement de l'influence française et la montée d'un sentiment anti-français alimenté par des demandes plus fortes de souveraineté nationale à travers le continent.

En réponse, Paris déplace son attention vers l'est. La région du Moyen-Orient et de l'Afrique du Nord constitue désormais le flanc sud de l'arc de sécurité de l'Europe, une frontière stratégique moins façonnée par la main de Washington et de plus en plus centrale dans la planification de la défense européenne. La France, à l'instar de l'Allemagne et du Royaume-Uni, a entrepris d'approfondir ses liens avec le Golfe et l'Afrique du Nord. Aujourd'hui, elle organise régulièrement des exercices conjoints et entretient une coopération étroite en matière de lutte contre le terrorisme avec les Émirats arabes unis, le Bahreïn, la Jordanie, l'Égypte et le Maroc.

Depuis 2009, la France maintient une forte présence militaire aux Émirats arabes unis, avec des bases aériennes, navales et terrestres. L'acquisition par Abou Dhabi de 80 avions Rafale auprès de Dassault Aviation en 2021, pour un montant de 16 milliards d'euros, a marqué un renforcement significatif de ce partenariat. L'accord a renforcé leur coopération industrielle et a élargi le déploiement de la France dans la région, avec 800 soldats soutenant, entre autres, des initiatives de formation sur le sol émirati.

L'activité diplomatique s'est intensifiée au cours du second mandat de M. Macron. En décembre dernier, le président français a effectué une visite d'État à Riyad, à la suite de la visite officielle de l'émir du Qatar à Paris en février 2024. Le mois dernier, Paris a accueilli le troisième dialogue stratégique France-Qatar, un forum qui a réaffirmé l'engagement mutuel des deux nations à approfondir leur coopération en matière de défense et de sécurité.

Ces développements sont le signe d'une réorientation décisive de l'architecture de sécurité de la France vers l'arc méditerranéen. Zaid M. Belbagi

La Revue stratégique nationale de la France confirme les plans visant à renforcer les partenariats avec les principaux États de la région MENA, notamment l'Égypte, la Jordanie, les Émirats arabes unis, l'Arabie saoudite, le Qatar, le Koweït, Oman et le Bahreïn. Ces pays ne sont plus considérés comme de simples clients, mais de plus en plus comme des coproducteurs de la stabilité régionale. À titre d'exemple, M. Macron a accueilli le président des Émirats arabes unis, le cheikh Mohammed bin Zayed Al-Nahyan, à Paris en février pour un dîner de travail axé sur des projets communs d'une valeur d'environ 50 milliards d'euros. Parmi ces projets, des entreprises émiraties spécialisées dans l'intelligence artificielle sont prêtes à construire en France le plus grand campus d'intelligence artificielle d'Europe, dont le point d'ancrage sera un centre de données d'une capacité pouvant atteindre 1 gigawatt.

Les initiatives de la France en matière de sécurité maritime se développent également. Depuis février 2024, Paris dirige l'opération Aspides, la mission navale de l'UE qui protège les routes maritimes de la mer Rouge contre les attaques des Houthis. La France joue également un rôle essentiel en Méditerranée, en faisant respecter l'embargo sur les armes imposé à la Libye dans le cadre de l'opération Irini de l'UE et en organisant des manœuvres navales conjointes avec l'Égypte et le Maroc. Tout en renforçant sa position Euro-MENA, Paris continue de souligner l'importance des liens stratégiques avec les États-Unis et Israël, reconnaissant leur rôle central dans l'élaboration de la dynamique de défense de la région.

En tant que tels, ces développements signalent une réorientation décisive de l'architecture de sécurité de la France vers l'arc méditerranéen. Alors que l'agression russe s'intensifie et que les tensions s'aggravent au Moyen-Orient, notamment avec l'Iran, la France travaille activement à l'élaboration d'un ordre de sécurité euro-méditerranéen.

Dans ce paysage émergent, des partenaires comme le Maroc, la Jordanie, l'Égypte, les Émirats arabes unis et le Qatar ne sont plus considérés comme de simples acheteurs d'armes. Ils deviennent des acteurs à part entière dans une quête commune d'autonomie stratégique, façonnée par une production conjointe, une dissuasion collective et un ordre diplomatique plus équilibré.

Dans le contexte du réarmement de l'Allemagne et de l'affirmation du programme de défense de la France, l'Europe s'impose comme une force montante sur le marché mondial de la défense. Ce changement ouvre non seulement de nouvelles voies aux pays de la région MENA pour approfondir les partenariats de sécurité et de défense avec les puissances européennes, mais soulève également d'importantes questions sur l'avenir de leur coopération de longue date avec des poids lourds mondiaux tels que les États-Unis, la Chine et la Russie - des pays qui ont longtemps eu une empreinte militaire dominante dans la région. L'équilibre des forces évolue, tout comme la forme des alliances stratégiques au Moyen-Orient.

Zaid M. Belbagi est commentateur politique et conseiller auprès de clients privés entre Londres et le Conseil de coopération du Golfe. X : @Moulay_Zaid

Clause de non-responsabilité : les opinions exprimées par les auteurs dans cette section leur sont propres et ne reflètent pas nécessairement le point de vue d'Arab News. 

Ce texte est la traduction d’un article paru sur Arabnews.com