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Face à l'évolution de la dynamique de la défense mondiale et à l'escalade des tensions géopolitiques, la Turquie fait des avancées audacieuses dans ses stratégies militaires. En localisant sa production et en affirmant son indépendance, elle se positionne comme une force émergente dans le secteur mondial de la défense. Pendant ce temps, de nombreux pays du Moyen-Orient et d'Afrique du Nord dépendent encore fortement des fournisseurs occidentaux pour leurs besoins militaires. La domination des États-Unis, de la France et du Royaume-Uni dans le commerce des armes de la région reste indéniable, les États-Unis exportant à eux seuls pour environ 30 milliards de dollars d'équipements de défense vers les pays de la région MENA en 2023.
La réussite de la Turquie constitue un modèle convaincant pour les pays de la région MENA et offre de précieuses leçons en matière de renforcement de la souveraineté militaire. En encourageant leurs propres industries de défense, les pays de la région peuvent réduire leur dépendance à l'égard des fournisseurs étrangers, améliorer leur sécurité et soutenir la stabilité régionale.
Ankara est désormais reconnue comme une puissance militaire mondiale, classée neuvième sur 145 pays dans l'indice 2025 de Global Firepower. Cette réussite est due à ses systèmes d'aviation et de défense avancés, comme le drone Bayraktar TB2. Les exportateurs turcs de produits de défense, tels qu'Aselsan et Turkish Aerospace Industries, ont soutenu cette croissance, conformément à l'objectif du président Recep Tayyip Erdogan de faire de la Turquie un leader en matière de technologie de défense.
En 2023, le budget de recherche et de développement de la Turquie en matière de défense a atteint 3 milliards de dollars, ce qui a permis à la production locale de dépasser les 80 % et de soutenir un réseau de 3 500 entreprises. En 2024, la Turquie avait vendu près de 300 produits de défense à 183 pays, l'Europe étant son principal marché. Sa stratégie d'exportation s'aligne également sur un programme diplomatique plus large, renforçant les liens avec le Conseil de coopération du Golfe, l'Asie centrale et l'Afrique, tout en affirmant une plus grande indépendance vis-à-vis des fournisseurs occidentaux et de l'OTAN. En fait, sur un marché traditionnellement dominé par les États-Unis et les fabricants européens, la Turquie s'est taillé une place en proposant des produits moins chers et des livraisons plus rapides, en s'appuyant sur d'importants stocks destinés à l'origine à ses propres forces armées.
La réussite de la Turquie est un modèle convaincant, qui offre des leçons précieuses pour le renforcement de la souveraineté militaire.
Zaid M. Belbagi
La réussite de la Turquie constitue un modèle précieux pour les pays de la région MENA qui cherchent à renforcer leurs capacités de défense. En s'inspirant de l'expérience de la Turquie, de ses succès comme de ses difficultés, ces pays peuvent renforcer leur autonomie stratégique.
La nature évolutive de la guerre moderne suggère que les pays de la région MENA devraient passer de l'acquisition de systèmes avancés individuels à la promotion de l'intégration dans de multiples domaines. Linus Terhorst a récemment souligné, lors d'une conférence à Riyad sur les capacités du champ de bataille du XXIe siècle, que la sécurité à long terme de la région MENA dépendait non pas d'acquisitions motivées par le prestige, mais de l'intégration. La doctrine des opérations multidomaines, qui relie les capacités terrestres, aériennes, maritimes, cybernétiques et spatiales en un système unifié, est la clé d'une sécurité durable. L'histoire montre que les forces intégrées sont plus performantes que la simple supériorité matérielle.
Pour des pays comme l'Arabie saoudite, le Bahreïn et le Maroc, la réalisation de l'autonomie stratégique passe par l'adoption d'opérations multidomaines comme fondement de la planification future de la défense. Cette doctrine met l'accent sur la liaison transparente des capacités entre les domaines, ce qui signifie que les informations circulent facilement, que les décisions sont prises plus rapidement et que les actions sont coordonnées pour un impact maximal. Ce niveau d'intégration exige plus que l'importation de technologies prêtes à l'emploi, il nécessite la mise en place d'écosystèmes nationaux qui favorisent l'innovation, tels que les institutions de recherche et les startups qui se concentrent sur les technologies à double usage comme les drones alimentés par l'intelligence artificielle et la cyberdéfense. En investissant dans ces domaines, les pays de la région MENA peuvent créer des solutions de défense cohérentes et autonomes.
L'Arabie saoudite donne la priorité à la production locale de matériel de défense afin de parvenir à une autosuffisance technologique à long terme. Par l'intermédiaire de l'Autorité générale des industries militaires et des Industries militaires d'Arabie saoudite, Riyad passe de la dépendance à l'égard des importations à la fabrication locale. En 2023, près de 20 % des dépenses militaires ont été localisées, bien que le Royaume ait encore dépensé 7,5 milliards de dollars en importations de défense, y compris des systèmes avancés.
Les entreprises saoudiennes ont formé des coentreprises avec des sociétés telles qu'Airbus, Boeing et Lockheed afin de faciliter le transfert de technologie, l'objectif étant que 50 % des dépenses de défense soient réalisées localement. Le programme naval avec Navantia, qui comprend les corvettes Avante 2200 et le système de gestion de combat HAZEM, illustre cette stratégie. Les accords de compensation avec des plates-formes telles que le ravitailleur multirôle A330 renforcent les capacités nationales en matière de formation, de maintenance et de production de composants. La division électronique de Saudi Arabian Military Industries produit désormais localement des sous-systèmes de commandement, de contrôle, de communication, d'informatique, de renseignement, de surveillance et de reconnaissance.
Dans le même temps, le Maroc se positionne comme un centre aérospatial émergent et un acteur clé dans les partenariats stratégiques. La promulgation en 2021 de la loi 10-20 a établi un cadre juridique solide pour le développement d'une industrie de défense marocaine, permettant aux entreprises locales de fabriquer, d'importer et d'exporter des équipements de défense sous la supervision de l'État. Cela a conduit à des projets concrets, tels que des coentreprises avec l'entreprise israélienne BlueBird Aero Systems pour produire des drones localement.
Il devient de plus en plus évident que le renforcement des capacités militaires est essentiel pour garantir la sécurité à long terme
Zaid M. Belbagi
L'industrie aérospatiale marocaine, centrée sur Casablanca, comprend des entreprises telles que MATIS Aerospace et Thales, qui contribuent aux objectifs de fabrication de matériel de défense. Si les principales plates-formes de défense sont encore largement importées, le pays a jeté les bases de l'industrialisation de certains systèmes. Le défi consiste désormais à trouver un équilibre entre les partenariats internationaux et la recherche et le développement nationaux afin de garantir l'interopérabilité avec les partenaires mondiaux tout en favorisant les capacités autonomes.
Bahreïn est en train de se créer une niche dans le domaine du soutien et de la maintenance navale, bien qu'il dépende encore des importations pour les principales plates-formes. Le chantier naval arabe de construction et de réparation fournit des services fiables de maintenance, de réparation et de révision à la force de défense de Bahreïn et aux marines régionales. En 2022, la création de l'institution de développement des industries militaires a marqué une étape importante vers la production locale, en particulier dans le domaine de la construction navale et des munitions. Le rôle croissant de Bahreïn en tant que centre de réparation régional renforce l'écosystème de défense du Golfe et contribue à diversifier les capacités de défense de la région MENA.
Dans un monde multipolaire, les fournisseurs de systèmes militaires avancés sont confrontés à une concurrence accrue, les États exigeant l'assemblage local, le transfert de technologie et la participation à la chaîne de valeur. Cette évolution offre aux entreprises locales l'occasion d'acquérir progressivement les compétences nécessaires à la conception et à la production de systèmes locaux, tout en acquérant des connaissances précieuses sur des plateformes complexes.
À ce titre, l'expérience de la Turquie est riche d'enseignements : le succès ne réside pas dans le nombre de plateformes acquises, mais dans la qualité de leur intégration. Ankara a développé une industrie de défense compétitive capable de fabriquer et d'exporter des systèmes tels que les drones TB2 vers plus de 50 pays grâce à des accords de partage du travail et à l'intégration de l'industrie locale dans les chaînes d'approvisionnement internationales.
Toutefois, la viabilité budgétaire est une préoccupation croissante, car le coût des avions de combat devrait doubler tous les 20 ans, les coûts du cycle de vie constituant le principal fardeau. Des pays comme l'Arabie saoudite et le Maroc risquent de s'endetter de manière insoutenable et d'être inefficaces s'ils poursuivent des achats axés sur le prestige sans plan à long terme. Une approche plus pratique se concentre sur les investissements stratégiques dans des capacités intégrées, en donnant la priorité aux systèmes de commandement, de contrôle, de communication, d'informatique, de renseignement, de surveillance et de reconnaissance, afin de créer des réseaux cohérents. L'ingénierie numérique, les outils de simulation et les systèmes sans pilote offrent des alternatives rentables aux coûteuses plateformes habitées, favorisant ainsi la durabilité à long terme.
Alors que la dynamique géopolitique continue d'évoluer, en particulier dans la région instable du Moyen-Orient et de l'Afrique du Nord, il devient de plus en plus évident que le renforcement des capacités militaires est essentiel pour garantir la sécurité à long terme. En renforçant leur indépendance stratégique et en développant des écosystèmes adaptables, les pays de la région MENA peuvent mieux faire face à l'évolution des menaces. Cette approche permettra d'aligner l'ambition technologique sur la sécurité à long terme et de positionner la région en tant que leader en matière d'innovation dans le domaine de la défense.
Zaid M. Belbagi est commentateur politique et conseiller auprès de clients privés entre Londres et le Conseil de coopération du Golfe.
X : @Moulay_Zaid
NDLR: Les opinions exprimées par les auteurs dans cette section leur sont propres et ne reflètent pas nécessairement le point de vue d'Arab News.
