Plus ou moins de nucléaire ? Les candidats à la présidentielle appelés à se positionner

La "piscine" surmontant le coeur du réacteur de la centrale de Chinon 2, à Avoine. Le parc nucléaire français vieillit et une décision stratégique s'impose pour décider de l'avenir énergétique de la France. (Photo, AFP)
La "piscine" surmontant le coeur du réacteur de la centrale de Chinon 2, à Avoine. Le parc nucléaire français vieillit et une décision stratégique s'impose pour décider de l'avenir énergétique de la France. (Photo, AFP)
La centrale de Chinon 1, à l'arrêt et transformée en musée par EDF. A l'instar de plusieurs autres centrales françaises, sa construction remonte aux années soixante. (Photo, AFP)
La centrale de Chinon 1, à l'arrêt et transformée en musée par EDF. A l'instar de plusieurs autres centrales françaises, sa construction remonte aux années soixante. (Photo, AFP)
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Publié le Mardi 12 octobre 2021

Plus ou moins de nucléaire ? Les candidats à la présidentielle appelés à se positionner

  • Le parc nucléaire français vieillit, les candidats doivent choisir entre la construction de nouveaux réacteurs ou investir dans les énergies de transition
  • Macron annonce son plan mardi : investir dans la technologie des petits réacteurs, mais réduire la filière à 50% du mix énergétique contre 70% actuellement
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Le coeur du réacteur de la centrale de Civeaux. Photo prise en 2016, lors de l'opération de révision complète effectuée chaque dix ans. (Photo, AFP)

 

PARIS : Tout miser dessus ? Réduire sa part ? Ou en sortir progressivement ? Le débat sur le nucléaire est au cœur de la campagne présidentielle au moment où la facture d'énergie des Français bondit, tandis qu'Emmanuel Macron s'apprête à annoncer de nouveaux investissements.

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En 2020, c'était au tour de la centrale de Chinon 2 de faire sa révision complète effectuée chaque dix ans. (Photo, AFP)

 

"Le point crucial" sur lequel les candidats doivent se positionner, "ce n'est pas pour ou contre le nucléaire, mais « êtes-vous pour la construction de nouveaux réacteurs »", au moment où le parc nucléaire français vieillit, souligne auprès de l'AFP Daniel Boy, directeur de recherche au Cevipof.

Dans ce débat sensible, les Français sont partagés: 51% se disent "favorables" à la construction de nouveaux réacteurs "dans les prochaines années", contre 49% qui affirment l'inverse, selon un sondage Ifop pour le JDD publié début octobre.

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L'alternateur de la centrale de Saint-Laurent-des-Eaux. (Photo, AFP)

 

Emmanuel Macron, lui, se positionne clairement: il présente mardi "France 2030", un plan de plusieurs dizaines de milliards d'euros, qui prévoit notamment la construction de petits réacteurs nucléaires dits SMR ("Small Modular Reactors").

Après avoir programmé la fermeture progressive de douze réacteurs vieillissants, le chef de l'Etat compte ainsi réinvestir dans la filière, avec l'objectif d'une part du nucléaire réduite à 50% du "mix énergétique" d'ici à 2035, contre quelque 70% actuellement.

Pour les écologistes, c'est niet.

"On ne va pas mettre de l'argent aujourd'hui dans des petits réacteurs qui seront disponibles dans au moins 20 ans, quand on aura gagné, ou perdu, la bataille du climat", a critiqué le candidat EELV Yannick Jadot lundi sur franceinfo.

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Et voici l'énergie du futur: le chantier d'un réacteur d'un genre nouveau, celui de la fusion nucléaire, où on essaiera de créer une chaleur égale à celle du Soleil afin de produire une énergie propre sans combustible radioactif ou fossile. C'est le projet ITER, avec un budget de 30 milliards d'euros lors de son lancement, auquel contribuent 6 pays: La Chine, les USA, la Russie, la Corée du Sud, l'Inde et l'UE. Le réacteur à plasma, appelé Tokamak, a son siège à  Saint-Paul-les-Durance, au sud ouest de la France. (Photo, AFP) 

 

M. Jadot juge possible de sortir du nucléaire "en 20 ans", "progressivement", mais se dit "pragmatique" - "s'il faut mettre cinq ans de plus, on mettra cinq ans de plus" - et "parfaitement responsable" - "personne ne dit qu'on va fermer les centrales nucléaires demain".

Il prône ainsi d'investir dans toute la palette des énergies renouvelables (éolien, photovoltaïque, hydraulique, géothermie, biomasse) et dans l'isolation des logements.

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Et voici l'énergie du futur: le chantier d'un réacteur d'un genre nouveau, celui de la fusion nucléaire, où on essaiera de créer une chaleur égale à celle du Soleil afin de produire une énergie propre sans combustible radioactif ou fossile. C'est le projet ITER, avec un budget de 30 milliards d'euros lors de son lancement, auquel contribuent 6 pays: La Chine, les USA, la Russie, la Corée du Sud, l'Inde et l'UE. Le réacteur à plasma, appelé Tokamak, a son siège à  Saint-Paul-les-Durance, au sud ouest de la France. (Photo, AFP) 

 

Sur la même ligne, le candidat de La France insoumise Jean-Luc Mélenchon veut toutefois aller plus vite, estimant qu'un horizon 2030, "c'est trop long".

Face aux dix années de retard et quelque 16 milliards d'euros de surcoûts du chantier de l'EPR de Flamanville (Manche), il compte abandonner ce type de projets ainsi que celui de "grand carénage" du parc existant (estimé à 40 milliards par EDF), au profit d'un bouquet énergétique "100% renouvelables" et d'une "sobriété dans la consommation" d'énergie.

Les candidats Vert et LFI font figure d'exception dans les rangs de la gauche.

Au Parti socialiste, Anne Hidalgo ne parle pas de sortir du nucléaire: sans plus de précisions, elle dit vouloir "aller beaucoup plus vite" que l'objectif de M. Macron à l'horizon 2035, ce qui "passe par le développement des énergies renouvelables".

Le patron du PS Olivier Faure considère, lui, le nucléaire comme une énergie "de transition": à utiliser tant que les renouvelables ne sont pas en capacité de prendre complètement le relais de l'atome.

L'ex-PS Arnaud Montebourg et le PCF Fabien Roussel prônent également un "mix énergétique" alliant nucléaire et renouvelables.

Zéro émission de carbone, facture moindre pour les consommateurs, indépendance énergétique sont les arguments mis en avant par la droite, pro-nucléaire de longue date.

Dans leur projet présidentiel, Les Républicains prônent d'"arrêter la fermeture des centrales nucléaires" et de "prolonger la durée de vie des réacteurs jusqu’à 60 ans". Des idées reprises par les candidats à l'investiture pour 2022.

L'ex-LR Valérie Pécresse compte ainsi "accorder à EDF le lancement d’une série industrielle de six nouveaux EPR" et relancer "le projet de réacteur de 4e génération Astrid", tandis que Xavier Bertrand (ex-LR) promet un programme nucléaire "digne de ce nom", avec l'annonce "dès l'été 2022" de la construction de nouveaux réacteurs.

Le LR Michel Barnier entend "réévaluer un certain nombre de décisions" comme "celle de fermer 12 réacteurs d'ici 2035".

A l'extrême droite, Marine Le Pen a promis, si elle est élue, de lancer "immédiatement" la construction de trois nouveaux EPR" et le "grand carénage" du parc actuel de centrales.

A droite comme à l'extrême droite, les éoliennes concentrent les critiques des candidats.


Les députés s'apprêtent à baisser le rideau sur la partie «recettes» du budget de l'Etat

Les députés bouclent lundi huit jours de débats sur la partie "recettes" du budget de l'Etat, sans espoir de voter sur ce premier volet mardi comme initialement prévu. Mais à l'heure où chacun dresse un premier bilan, il semble peu probable que le texte puisse trouver une majorité dans l'hémicycle. (AFP)
Les députés bouclent lundi huit jours de débats sur la partie "recettes" du budget de l'Etat, sans espoir de voter sur ce premier volet mardi comme initialement prévu. Mais à l'heure où chacun dresse un premier bilan, il semble peu probable que le texte puisse trouver une majorité dans l'hémicycle. (AFP)
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  • Au menu lundi, la poursuite des discussions sur la justice fiscale, avec notamment des amendements sur la taxation des plus-values immobilières, ou les droits de succession
  • La ministre des Comptes publics Amélie de Montchalin devrait dresser un bilan des mesures adoptées jusqu'à présent

PARIS: Les députés bouclent lundi huit jours de débats sur la partie "recettes" du budget de l'Etat, sans espoir de voter sur ce premier volet mardi comme initialement prévu. Mais à l'heure où chacun dresse un premier bilan, il semble peu probable que le texte puisse trouver une majorité dans l'hémicycle.

Au menu lundi, la poursuite des discussions sur la justice fiscale, avec notamment des amendements sur la taxation des plus-values immobilières, ou les droits de succession.

La ministre des Comptes publics Amélie de Montchalin devrait dresser un bilan des mesures adoptées jusqu'à présent.

Les députés s'empareront mardi en séance du budget de la Sécurité sociale, rejeté en commission vendredi.

Celui-ci doit faire l'objet d'un vote solennel le 12 novembre, après lequel pourront reprendre les discussions sur le projet de loi de finances, jusqu'au plus tard le 23 novembre à minuit - les délais constitutionnels obligeant alors le gouvernement à transmettre le texte au Sénat. Le gouvernement tablait ces jours-ci sur un vote le 18 novembre pour la partie "recettes" du budget de l'Etat.

Mais d'ores et déjà le rapporteur général du Budget, Philippe Juvin (LR), anticipe son rejet: "Je ne vois pas très bien comment cette partie 1 pourrait être votée, parce qu'en fait elle ne va satisfaire personne", a-t-il dit sur LCI dimanche.

En cas de rejet de cette première partie, le projet de budget partirait au Sénat dans sa version initiale.

"Ecœurement" 

L'adoption du texte nécessiterait l'abstention des socialistes et des écologistes (et le vote positif de la coalition gouvernementale). Or rien ne la laisse présager à ce stade.

Le chef des députés PS, Boris Vallaud, a ainsi fait part dans une interview à La Tribune Dimanche de son "écœurement", après le rejet vendredi de la taxe Zucman sur le patrimoine des ultra-riches, et alors que la gauche peine de manière générale à "mettre de la justice dans ce budget".

"Si on devait nous soumettre le budget aujourd'hui, nous voterions évidemment contre, en sachant tout ce que cela implique, à savoir la chute du gouvernement", a ajouté celui dont le groupe avait décidé de laisser sa chance à Sébastien Lecornu en ne le censurant pas.

Les écologistes se montrent eux aussi sévères, vis-à-vis du gouvernement mais aussi des socialistes, dont ils semblent critiquer une quête du compromis à tout prix: "Je ne comprends plus ce que fait le PS", a déclaré la patronne des députés écolos Cyrielle Chatelain sur franceinfo vendredi soir.

Mais le texte ne fait pas seulement des mécontents à gauche. Le gouvernement a lui aussi marqué ses réticences face à des votes souvent contraires à ses avis, qui ont abouti à alourdir la pression fiscale.

"Je pense qu'il faut qu'on arrête de créer des impôts (...) Aujourd'hui, si je compte les mesures sur l'impôt des multinationales, sur les rachats d'actions, sur la taxe sur les super-dividendes et l'ensemble des amendements qui ont été votés, le taux de prélèvements obligatoires atteindrait au moins (...) 45,1% du PIB, c'est plus qu'en 2013 où il était à 44,8%", a fustigé Amélie de Montchalin vendredi soir.

"Sorcellerie fiscale" 

Le ministre de l'Economie Roland Lescure a lui mis en garde contre la "sorcellerie fiscale" et le vote de mesures "totalement inopérantes". Particulièrement dans son viseur, une "taxe Zucman" sur les multinationales censées rapporter 26 milliards d'euros, selon son initiateur Eric Coquerel, le président LFI de la commission des Finances.

Montré du doigt par la droite pour son soutien à la mesure, le Rassemblement national a assumé son vote: le président du RN Jordan Bardella a défendu sur X un "mécanisme de lutte contre la fraude fiscale des grandes multinationales étrangères".

Sur France Inter dimanche, le vice-président du RN Sébastien Chenu a cependant fustigé un budget "de bric et de broc", qui crée "beaucoup d'impôts" sans s'attaquer "aux dépenses toxiques".

Vendredi, reconnaissant les limites de la discussion budgétaire pour parvenir à une copie d'ensemble cohérente, le Premier ministre a demandé "à l'ensemble des ministres concernés" de réunir les représentants des groupes pour "essayer de se mettre d'accord sur les grands principes de l'atterrissage d'un texte pour la Sécurité sociale et pour le projet de loi de finances".

 


France: les députés rejettent l'emblématique taxe Zucman, au grand dam de la gauche

Des députés du Rassemblement national applaudissent lors de l'examen des textes par la "niche parlementaire" du groupe d'extrême droite Rassemblement national, à l'Assemblée nationale, la chambre basse du parlement français, à Paris, le 30 octobre 2025. (AFP)
Des députés du Rassemblement national applaudissent lors de l'examen des textes par la "niche parlementaire" du groupe d'extrême droite Rassemblement national, à l'Assemblée nationale, la chambre basse du parlement français, à Paris, le 30 octobre 2025. (AFP)
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  • L’Assemblée nationale a refusé la proposition de taxe de 2 % sur les patrimoines supérieurs à 100 millions d’euros (228 voix contre 172), symbole des tensions entre gauche et droite sur la justice fiscale
  • Le Premier ministre Sébastien Lecornu tente d’éviter une censure et de sauver le budget 2026 en multipliant les concessions à la gauche

PARIS: Les députés français ont rejeté vendredi l'emblématique taxe Zucman sur la taxation des ultra-riches, au grand dam de la gauche, à laquelle le Premier ministre Sébastien Lecornu a tenté de donner des gages pour parvenir à faire voter un budget.

Les parlementaires sont engagés dans de difficiles débats pour arriver à un compromis sur ce sujet qui relève du casse-tête dans un paysage politique très fragmenté, sans majorité nette à l'Assemblée nationale depuis la dissolution décidée en juin 2024 par Emmanuel Macron.

Défendue par la gauche, la taxe Zucman, qui visait à instaurer un impôt minimum de 2% sur les patrimoines de plus de 100 millions d'euros, a été rejetée par 228 députés contre 172.

Cette proposition, qui cristallisait les débats budgétaires, s'inspire des travaux du discret économiste Gabriel Zucman, chantre de la justice fiscale pour la gauche et adversaire des entreprises pour la droite et les libéraux, jusqu'au patron de LVMH, qui le qualifie de "pseudo universitaire".

Les députés ont également rejeté une version de compromis de cette taxe, proposée par les socialistes.

"Vous faites, par votre intransigeance, je le crains, le mauvais chemin", a dénoncé le socialiste Boris Vallaud. Le chef des députés PS a appelé dans la foulée à voter le rétablissement de l'Impôt de solidarité sur la fortune (ISF) supprimé en 2017.

De son côté, la droite s'est réjouie: "On est contre les augmentations d'impôts qui vont tuer de l'emploi et tuer de l'activité économique", a réagi le chef des députés Les Républicains (LR), Laurent Wauquiez.

Le Premier ministre Lecornu a réfuté l'existence d'un "impôt miracle pour rétablir la justice fiscale", et demandé à ses ministres de réunir les représentants de groupes politiques pour tenter de trouver une voie d'atterrissage et s'accorder sur un budget pour 2026.

Minoritaire, le quatrième gouvernement en moins d'un an et demi, le sixième depuis la réélection de M. Macron en mai 2022, a promis de laisser le dernier mot au Parlement. Mais la recherche d'un compromis reste très difficile entre un camp présidentiel fracturé, une gauche traversée de tensions et une extrême droite favorable à une union des droites.

- Le PS maintient la pression -

La pression est forte entre des délais très courts et l'inquiétude croissante sur la situation des finances publiques de la deuxième économie de l'UE dont la dette atteint 115% du PIB.

Tout en insistant sur la nécessité de réaliser d'importantes économies, le Premier ministre doit donc accepter des concessions, au risque de ne pas parvenir à doter l'Etat français d'un budget dans les temps ou de tomber comme ses prédécesseurs.

Pour convaincre les socialistes de ne pas le renverser, Sébastien Lecornu a déjà accepté de suspendre la réforme des retraites adoptée au forceps en 2023, une mesure approuvée vendredi en commission parlementaire.

Face à la colère froide de la gauche après les votes de vendredi, il s'est dit prêt en outre à renoncer au gel des pensions de retraite et des minimas sociaux, des mesures parmi les plus contestées de cette séquence budgétaire et dont la suppression était dans le même temps votée en commission des Affaires sociales.

Le gouvernement comptait faire jusqu'à 3,6 milliards d'économies sur ces sujets, et pourrait compenser cela, au moins en partie, par une hausse de la Contribution sociale généralisée (CSG) sur le patrimoine.

Pour Sébastien Lecornu, il s'agit d'échapper à une censure du PS, qui maintient son étreinte et l'appelle à "encore rechercher le compromis" sous peine de devoir "repartir aux élections". A ce stade, "il n'y a pas de possibilité de voter ce budget", a lancé le patron des socialistes, Olivier Faure.

Si le Parlement ne se prononce pas dans les délais, le gouvernement peut exécuter le budget par ordonnance. Une loi spéciale peut aussi être votée permettant à l'Etat de continuer à percevoir les impôts existants l'an prochain, tandis que ses dépenses seraient gelées, en attendant le vote d'un réel budget.


France: le cimentier Lafarge jugé à partir de mardi pour financement du terrorisme

Une multinationale en procès, dans une affaire inédite: le groupe français Lafarge et d'anciens hauts responsables comparaissent à partir de mardi à Paris, soupçonnés d'avoir payé des groupes jihadistes, dont l'État islamique (EI), en Syrie jusqu'en 2014 dans le but d'y maintenir l'activité d'une cimenterie. (AFP)
Une multinationale en procès, dans une affaire inédite: le groupe français Lafarge et d'anciens hauts responsables comparaissent à partir de mardi à Paris, soupçonnés d'avoir payé des groupes jihadistes, dont l'État islamique (EI), en Syrie jusqu'en 2014 dans le but d'y maintenir l'activité d'une cimenterie. (AFP)
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  • Aux côtés de Lafarge, avalé en 2015 par le groupe suisse Holcim, seront jugés au tribunal correctionnel de Paris l'ancien PDG du cimentier, Bruno Lafont, cinq ex-responsables de la chaîne opérationnelle ou de la chaîne de sûreté et deux intermédiaires
  • Dans ce dossier, ils devront répondre de financement d'entreprise terroriste et, pour certains, de non-respect de sanctions financières internationales

PARIS: Une multinationale en procès, dans une affaire inédite: le groupe français Lafarge et d'anciens hauts responsables comparaissent à partir de mardi à Paris, soupçonnés d'avoir payé des groupes jihadistes, dont l'État islamique (EI), en Syrie jusqu'en 2014 dans le but d'y maintenir l'activité d'une cimenterie.

Aux côtés de Lafarge, avalé en 2015 par le groupe suisse Holcim, seront jugés au tribunal correctionnel de Paris l'ancien PDG du cimentier, Bruno Lafont, cinq ex-responsables de la chaîne opérationnelle ou de la chaîne de sûreté et deux intermédiaires syriens, dont l'un est visé par un mandat d'arrêt international et devrait donc être absent au procès.

Dans ce dossier, ils devront répondre de financement d'entreprise terroriste et, pour certains, de non-respect de sanctions financières internationales.

Le groupe français est soupçonné d'avoir versé en 2013 et 2014, via sa filiale syrienne Lafarge Cement Syria (LCS), plusieurs millions d'euros à des groupes rebelles jihadistes dont certains, comme l'EI et Jabhat al-Nosra, ont été classés comme "terroristes", afin de maintenir l'activité d'une cimenterie à Jalabiya, dans le nord du pays.

La société avait investi 680 millions d'euros dans ce site, dont la construction a été achevée en 2010.

Plaintes 

Alors que les autres multinationales avaient quitté le pays en 2012, Lafarge n'a évacué cette année-là que ses employés de nationalité étrangère, et maintenu l'activité de ses salariés syriens jusqu'en septembre 2014, date à laquelle l'EI a pris le contrôle de l'usine.

Dans ce laps de temps, LCS aurait rémunéré des intermédiaires pour s'approvisionner en matières premières auprès de l'EI et d'autres groupes, et pour que ces derniers facilitent la circulation des employés et des marchandises.

L'information judiciaire avait été ouverte à Paris en 2017 après plusieurs révélations médiatiques et deux plaintes en 2016, une du ministère de l'Économie pour violation d'embargo, et l'autre de plusieurs associations et de onze anciens salariés de LCS pour financement du terrorisme.

Le nouveau groupe, issu de la fusion de 2015, qui a toujours pris soin de dire qu'il n'avait rien à voir avec les faits antérieurs à cette opération, avait entretemps lancé une enquête interne.

Confiée aux cabinets d'avocats américain Baker McKenzie et français Darrois, elle avait conclu en 2017 à des "violations du code de conduite des affaires de Lafarge".

Et en octobre 2022, Lafarge SA avait plaidé coupable aux États-Unis d'avoir versé à l'EI et Jabhat Al-Nosra près de 6 millions de dollars, et accepté d'y payer une sanction financière de 778 millions de dollars.

Une décision dénoncée par plusieurs prévenus du dossier français, à commencer par Bruno Lafont, qui conteste avoir été informé des paiements aux groupes terroristes.

Plus de 200 parties civiles 

Selon ses avocats, ce plaider-coupable, sur lequel s'appuient en partie les juges d'instruction français dans leur ordonnance, "est une atteinte criante à la présomption d'innocence, qui jette en pâture les anciens cadres de Lafarge" et avait "pour objectif de préserver les intérêts économiques d'un grand groupe".

Pour la défense de l'ex-PDG, le procès qui s'ouvre permettra d'"éclaircir" plusieurs "zones d'ombre du dossier", comme le rôle des services de renseignement français.

Les magistrats instructeurs ont estimé que si des remontées d'informations avaient eu lieu entre les responsables sûreté de Lafarge et les services secrets sur la situation autour du site, cela ne démontrait "absolument pas la validation par l'Etat français des pratiques de financement d'entités terroristes mises en place par Lafarge en Syrie".

Au total, 241 parties civiles se sont à ce jour constituées dans ce dossier. "Plus de dix ans après les faits, les anciens salariés syriens pourront enfin témoigner de ce qu'ils ont enduré: les passages de check-points, les enlèvements et la menace permanente planant sur leurs vies", souligne Anna Kiefer, de l'ONG Sherpa.

Lafarge encourt jusqu'à 1,125 million d'euros d'amende pour le financement du terrorisme. Pour la violation d'embargo, l'amende encourue est nettement plus lourde, allant jusqu'à 10 fois le montant de l'infraction qui sera retenu in fine par la justice.

Un autre volet de ce dossier est toujours à l'instruction, le groupe ayant aussi été inculpé pour complicité de crimes contre l'humanité en Syrie et en Irak.