DHAKA: Baz Mohammed Timoory n’arrive pas à cacher son angoisse en se souvenant de cette nuit où treize membres de sa famille, y compris sa mère, ont été tués lors de raids aériens à la périphérie de la province de Kunduz, dans le nord de l'Afghanistan.
Un an et demi s’est déjà écoulé depuis l'attaque. Pourtant, l'ouvrier de 30 ans ignore toujours si la frappe a été menée par le gouvernement afghan ou par les troupes américaines stationnées dans le pays.
«Il est difficile de voir mourir son frère, ses neveux, ses nièces, sa mère et ses sœurs», confie Timoory à Arab News depuis Kunduz, une province agricole verdoyante à 340 km au nord de Kaboul. Cependant, il se dit prêt à «pardonner et à oublier le passé», alors que le gouvernement et les négociateurs talibans mènent des discussions à Doha pour mettre fin à des décennies de conflit dans ce pays ravagé par la guerre.
«Je ne cherche pas à me venger. Je veux que les deux parties s’accordent pour rétablir la paix en Afghanistan», ajoute-t-il.
Timoory n'est pas le seul à éprouver ce sentiment.
Selon un rapport de l'Organisation des nations unies (ONU) publié en février, le conflit a fait 100 000 morts en Afghanistan depuis 2009.
L’ONU admet que ce nombre serait beaucoup plus élevé s'il prenait en compte les civils morts lors des conflits précédents. «On veut mettre fin à la guerre dans le pays, pour permettre aux survivants de vivre en sécurité et en harmonie et pour que les enfants ne perdent plus leurs parents, et les femmes, leurs maris», déclare Bashir Ahmad.
Il est le fils aîné de l'officier de police Nasir Ahmad qui, d’après sa famille, a été tué lors d'une attaque des talibans trois semaines auparavant.
La famille Ahmad fait partie d'un groupe de victimes et de survivants qui se disent prêts à «pardonner» aux talibans, à condition que ces derniers «choisissent le chemin de la paix».
Cependant, d'autres ont réclamé le «rétablissement de la justice» et la punition des talibans.
Pour eux, «les victimes de la guerre estiment qu’une paix accomplie sans un mécanisme qui traiterait les violations généralisées du passé, sera, dans le meilleur des cas, une paix fragile. Pire encore, le conflit reprendra après une brève pause».
Leur déclaration a été publiée à Kaboul la semaine dernière à la veille des négociations qui ont débuté à huis clos samedi à Doha et s’adresse aux deux parties prenantes.
Pourtant, même si les deux parties se mobilisent pour mettre fin aux combats et protéger les droits des femmes et des minorités, les négociations s’annoncent longues et compliquées. Avec quarante-deux négociateurs de chaque côté, dont cinq femmes pour le gouvernement de Kaboul, personne ne représente pour autant directement les familles des victimes.
Fawzia Koofi est une des négociatrices du gouvernement. Interrogée sur leur exclusion des négociations, elle explique: «Il n'est pas certain que l'équipe restera telle quelle jusqu'à la fin des pourparlers. Avec le temps, il est possible qu'il y ait de nouveaux membres et des changements.»
Les négociations tant attendues sont basées sur un accord qui a été signé en février dernier entre les États-Unis et les talibans dont le bureau politique est au Qatar depuis 2013.
Initialement prévus le 10 mars, les pourparlers inter-afghans ont été retardés à plusieurs reprises, principalement en raison du ralentissement de la libération d'environ 5 000 prisonniers talibans, en échange d'otages du gouvernement que le groupe militant détenait.
Plus précisément, le président afghan, Ashraf Ghani, avait tardé à libérer 320 prisonniers talibans encore en détention, qui étaient accusés de crimes graves par plusieurs pays, dont la France et l'Australie.
Entre-temps, le gouvernement et les États-Unis ont été accusés d’avoir mené des opérations contre les talibans qui ont causé la mort de plusieurs civils.
Lors des pourparlers qui se tiennent au Qatar, les militants des droits de l'homme ont exhorté les parties à «entendre les voix des civils». Pour eux, les discussions en cours ainsi que l'accord de février ne protègent pas les droits des victimes.
Lal Gul Lal est le président de l'Organisation afghane des droits de l'homme, financée par des donateurs. Selon lui, «environ 600 000 civils ont été tués au cours des dix-neuf dernières années».
«En Afghanistan, la crise persiste et les accords de paix précédents ont échoué en partie parce que les atrocités et les meurtres du passé n’ont pas été résolus et que la justice n’a pas été rétablie, poursuit-il, en référence au retrait de l'ex-Union soviétique d'Afghanistan dans les années 1980. Les accords de paix ultérieurs ont été conclus, mais ils se sont rapidement effondrés.»
«Si nous demandons que justice soit rendue, c'est pour établir la paix ; justice et paix sont interdépendantes. Les voix des victimes doivent être entendues», ajoute-t-il.
Signé après que les talibans ont été écartés du pouvoir, l’accord de Bonn de 2001 a appelé à une justice de transition. Toutefois, selon lui, «les pressions et les intérêts aussi bien étrangers qu’internes, ont entravé sa mise en œuvre en Afghanistan».
Shaharzad Akbar est la présidente de la Commission indépendante des droits de l'homme nommée par le gouvernement. Pour elle, les victimes devraient disposer d'une plate-forme pour faire valoir leurs doléances, et les «pourparlers doivent reconnaître leurs souffrances et prendre en considération leurs besoins humanitaires».
«Nous reconnaissons toutes les victimes civiles des conflits, qui ont souffert de violence, y compris les attaques suicides, les frappes aériennes, les raids de nuit, les bombes en bord de route et bien plus encore. Ce n'est pas seulement une exigence du droit international et des bonnes pratiques, mais aussi un devoir des équipes de négociation et un droit des victimes dans l'islam», a-t-elle déclaré.
Ce texte est la traduction d'un article paru sur Arabnews.com