Perdre espoir au Moyen-Orient n'est pas une option

Une femme est assise au milieu de bâtiments endommagés dans le quartier Al-Myassar d'Alep, en Syrie (Photo, Reuters).
Une femme est assise au milieu de bâtiments endommagés dans le quartier Al-Myassar d'Alep, en Syrie (Photo, Reuters).
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Publié le Samedi 19 septembre 2020

Perdre espoir au Moyen-Orient n'est pas une option

Perdre espoir au Moyen-Orient n'est pas une option
  • Même si la situation semble très sombre aujourd’hui au Moyen-Orient, elle l’est toujours moins que pendant les croisades ou les attaques de hordes de Gengis Khan
  • Le rôle de la communauté internationale devait être de jouer un rôle de soutien à la région tout en intervenant efficacement contre ceux qui tentent de la perturber

Le magazine Foreign Policy a publié ce mois-ci un article provocateur intitulé « La fin de l'espoir au Moyen-Orient », qui concluait que la région « a toujours eu des problèmes, et qu’elle avait presque dépassé le point de non retour. »

L'auteur Steven Cook, du Council on Foreign Relations, a justifié une telle vision pessimiste en soulignant que la région « est devenue une dystopie marquée par la violence, la résurgence de l'autoritarisme, l’effondrement économique et les conflits régionaux, sans solution claire en vue. »

L'article s'inscrit dans une longue tradition de dystopies sur le Moyen-Orient. Après tout, la vision apocalyptique la plus connue de la fin du monde provient de notre région. Il existe des traditions dystopiques identiques en Occident et ailleurs, et de nombreux livres, films, chansons et œuvres d'art qui ont annoncé la fin du monde, la fin de la « civilisation occidentale », la fin de l'Europe ou la fin de l'Amérique, mais jusqu’ici, ils se sont trompés à chaque fois.

L’article de Steven Cook est certes plus nuancé et argumenté que beaucoup de ces œuvres, mais reste tout aussi sombre et inexact.

Tout en accordant plus de poids aux facteurs internes dans la déstabilisation chronique du Moyen-Orient, l’auteur pointe à juste titre le doigt sur une autre source de désespoir : la perturbation par différents pouvoirs extérieurs de l’équilibre délicat qui régnait dans la région jusqu’à récemment. Il mentionne ainsi les « Russes en Syrie et en Libye, les Turcs dans les deux mêmes pays, ou l'Iran en Syrie, au Liban et au Yémen ». Il évoque également le rôle déstabilisateur que les États-Unis ont parfois joué involontairement. L'invasion de l'Irak en 2003, qui a été menée contre l'avis de ses partenaires du Golfe, en est une claire illustration.

Cook critique également « l'environnement international permissif » qui a toléré et même contribué à encourager les sources de déstabilisation dans la région. S’il identifie correctement plusieurs sources internes et externes d'instabilité et de misère au Moyen-Orient, il oublie de parler de la manière de les gérer. Le fait de perdre espoir prive dangereusement les habitants de la région de pouvoir changer leur situation actuelle, comme ils l’ont fait à maintes reprises par le passé.

Une résilience à travers les siècles

Cette région a survécu à des périodes plus difficiles que celles qu’elle traverse actuellement. Au cours de ses 6000 ans d’histoire, elle a atteint des sommets et touché le fond à de nombreuses reprises, en raison de guerres cruelles, de maladies et de catastrophes naturelles dévastatrices. Mais au cours de ces millénaires, le Moyen-Orient a aussi surpassé tous les autres, grâce à l’invention de l’écriture et de l’alphabet, de l’agriculture et de nombreuses autres innovations que nous tenons aujourd'hui pour acquises.

Il a été le berceau de grandes religions suivies par la plupart des hommes dans le monde. La région du Moyen-Orient et de l'Afrique du Nord compte aujourd'hui près de 600 millions de personnes, pour la plupart jeunes. Elle est riche en cultures diverses et dynamiques, et elle est dotée de plus de ressources naturelles qu’elle en a besoin. Il est peu probable qu’une population aussi résiliente à travers l’histoire succombe au désespoir et finisse par mourir, comme semble parfois le suggérer Cook.  

Au cours des 1000 dernières années, la région a réussi à vaincre et à survivre à de multiples attaques, qui à l'époque semblaient être fatales. Entre le XIe et le XIIIe siècle, elle affronta et vainquit des croisés fanatiques venus de l'Ouest. Au cours des deux siècles suivants, elle a été envahie par des hordes de pilleurs provenant de l'Est, qui ont contrôlé une grande partie de la région et détruit des villes entières. Enfin, jusqu’à récemment, ce sont les puissances coloniales qui ont dominé la vie politique et économique de la région.

Mais le Moyen-Orient a survécu. Même si la situation semble très sombre aujourd’hui, elle l’est toujours moins que pendant les croisades ou les attaques de hordes de Gengis Khan. La région n’est pas autant désespérée que pendant la domination coloniale de puissances étrangères qui se sont succédé au fil des siècles. Cette région a fait preuve d'une grande résilience et a pu rebondir, retrouver sa prospérité après chaque choc.

Même pendant ses heures les plus sombres, le Moyen-Orient n’a jamais atteint les profondeurs abyssales atteintes par l’Europe, qui a vécu des guerres et des destructions sans fin qui ont abouti à la première et la seconde guerre mondiales, les conflits les plus destructeurs de l’histoire de l’humanité. Tout comme l’Europe a pu se ressaisir contre toute attente, le Moyen-Orient le peut aussi.

Perdre espoir, comme Cook le suggère, signifie que nous cessons de chercher une issue de sortie. De manière indirecte, Cook sous-entend que les échecs sont innés, qu’ils ne peuvent être résolus, et qu’il est futile de rechercher les causes et les moyens de sortir le Moyen-Orient du bourbier dans lequel il se trouve actuellement.

Une région pleine de potentiel

Cependant, abandonner n'est pas une option pour les personnes qui vivent dans cette région. Dans presque tous les conflits que l’auteur mentionne dans son article, il est possible de comprendre et de décortiquer les causes précises et retracer l’historique des faux pas et des erreurs qui ont été commis par des pouvoirs internes ou des forces extérieures.

Dans presque tous les conflits, la communauté internationale a, d’une manière ou d’une autre, prescrit une solution crédible et équitable. Il est également possible, dans la plupart des conflits, d'identifier les perturbateurs qui ont entravé ces solutions.

 

« Cette région a fait preuve d'une grande résilience et a pu rebondir et retrouver sa prospérité après chaque choc »

Dr Abdel Aziz Aluwaisheg

 

Laisser le Moyen-Orient seul face à ses problèmes ne devrait pas non plus être une option pour les étrangers. L'instabilité persistante dans cette région, qui est à la croisée de nombreuses routes commerciales, affecte négativement le reste du monde. Le fait qu'elle soit riche en sources d'énergie met en évidence son rôle essentiel dans la prospérité mondiale. La population de 600 millions d'habitants de cette région, avec ses besoins et ses habitudes de consommation croissantes pourrait représenter un marché florissant pour l’avenir. Elle pourrait également fournir une main-d’œuvre abondante aux entreprises et à l’industrie une fois la stabilité rétablie.

Cook a donné comme exemple de détresse et de désespoir le cas de la Lybie, mais ces dernières semaines et ces derniers jours, les Libyens lui ont donné tort. Ils ont cessé de se battre et ont entamé sérieusement un processus de paix et de réconciliation. D'autres régions du Moyen-Orient pourraient lui emboîter le pas, car les clés pour la résolution des conflits ont pour la plupart été identifiées. Le rôle de la communauté internationale devait être de jouer un rôle de soutien à la région tout en intervenant efficacement contre ceux qui tentent de la perturber.

Dr. Abdel Aziz Aluwaisheg est le Secrétaire général adjoint du Conseil de Coopération du Golfe pour les affaires politiques et les négociations, ainsi qu’éditorialiste de Arab News. Les opinions exprimées dans cet article sont personnelles et n’expriment pas nécessairement celles du CCG.

Twitter : @abuhamad1

NDLR : L’opinion exprimée dans cette page est propre à l’auteur et ne reflète pas nécessairement celle d’Arab News en français.

Ce texte est la traduction d'un article paru sur Arabnews.com