Hassan II et Mohammed VI, les rois «verts» du Maroc moderne

Le Maroc s'est fait un nom en tant que leader climatique. Le pays revendique certains des plus grands projets d'énergie propre au monde. (Photo/AFP)
Le Maroc s'est fait un nom en tant que leader climatique. Le pays revendique certains des plus grands projets d'énergie propre au monde. (Photo/AFP)
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Publié le Vendredi 26 novembre 2021

Hassan II et Mohammed VI, les rois «verts» du Maroc moderne

  • Le roi Mohammed VI a pu bénéficier d’un terrain balisé pour poursuivre une dynamique enclenchée déjà par son père, feu Hassan II, lequel avait, durant les années 1980, posé les jalons d’une métamorphose de la carte énergétique du pays.
  • Le premier village électrifié grâce à la technologie photovoltaïque a vu le jour en 1985 à Douar Dbibzat à El-Kelaa des Srarhna, près de Marrakech. Il s’agit du premier village africain électrifié en énergies renouvelables

CASABLANCA: «Le Maroc s'est fait un nom en tant que leader climatique. Le pays revendique certains des plus grands projets d'énergie propre au monde», lisait-on dans un article du média britannique BBC, publié le 19 novembre dernier. Le 9 novembre, le Maroc pointait au 5e rang mondial dans l’Indice de performance du changement climatique de 2022, aux côtés du Danemark, de la Suède, de la Norvège et du Royaume-Uni. L’indice révélé à l’occasion de la COP26 à Glasgow met en avant les efforts consentis par 60 pays dans la lutte contre le réchauffement climatique.

C’est un secret de polichinelle. Le Royaume du Maroc qui a multiplié ces dernières années les projets et les chantiers titanesques dans le domaine des énergies renouvelables est très souvent cité comme exemple en la matière, non seulement au niveau régional ou continental, mais également à l’échelle mondiale. La centrale solaire d’Ouarzazate qui s’étend sur 3 000 hectares est aujourd’hui la plus grande centrale au monde et lui a valu les éloges de plusieurs institutions et organisations internationales.

Depuis près d’une décennie, le Royaume chérifien est dans les radars des plus grands noms du domaine des énergies renouvelables. Des investissements importants dans le solaire, l’éolien et l’hydraulique ont été injectés dans les quatre coins du pays. Le Royaume présente en effet un potentiel énorme et un cadre incitatif propice à ces investissements, mais qui attire le plus ces investisseurs c’est la viabilité d’une stratégie ambitieuse et volontariste du secteur, une feuille de route suivie de très près et portée au plus haut sommet de l’État par le roi Mohammed VI. La vision clairvoyante du Monarque a été formulée en 2009 par la stratégie énergétique du pays, basée essentiellement sur les énergies renouvelables et le développement de l'efficacité énergétique, et qui s’est fixée comme objectif de porter la part des énergies renouvelables dans la puissance électrique installée à plus de 52% en 2030.

Les énergies propres représentent 37% du mix énergétique

Douze années après son lancement, cette stratégie s’avère concluante puisqu’aujourd’hui les énergies renouvelables contribuent d'environ 20% dans la production de l'énergie électrique, pour une puissance électrique de 37%. Le ratio de dépendance énergétique s’est réduit de 7 points de pourcentage entre 2009 et aujourd’hui. De même, pas moins de 50 projets d’énergies renouvelables ont vu le jour et une soixantaine sont dans le pipe. La capacité installée de sources renouvelables a atteint 3 950 MW, dont 710 MW de source solaire, 1 430 MW de source éolienne et 1 770 MW de source hydroélectrique.

Des chiffres qui font la fierté de ce pays d’Afrique du Nord qui, grâce à la perspicacité et l’engagement de ses gouvernants et du roi Mohammed VI, peut se targuer de ses performances et réalisations en matière de lutte contre le changement climatique, dépassant largement plusieurs pays développés.

Si le Maroc est aujourd’hui leader en matière d’énergies renouvelables, ce n’est pas le fruit du hasard. Ce que peu savent, c’est que les engagements du Maroc ne datent pas de 2009, année du lancement de sa stratégie. Le roi Mohammed VI a, en effet, pu bénéficier d’un terrain balisé pour poursuivre une dynamique enclenchée déjà par son père, feu Hassan II. Le défunt monarque avait, durant les années 1980, posé les jalons d’une métamorphose de la carte énergétique du pays.

Lancement d’un centre des énergies renouvelables en 1982

«Si le Maroc figure aujourd’hui parmi les leaders mondiaux en matière d’énergies renouvelables, il faut savoir qu’il était parmi les pionniers dans ce domaine. L’épopée du Maroc dans ce domaine est faite de plusieurs grandes dates et de phases historiques importantes. Le défunt roi Hassan II avait créé le 6 mai 1982 un centre de développement des énergies renouvelables à Marrakech. Un centre pionnier au niveau mondial à cette époque», se rappelle pour Arab News en français Abdelali Dakkina, ancien directeur du pôle stratégie et développement à l’Agence marocaine pour l’efficacité énergétique (AMEE) et ex-membre de la délégation marocaine chargée des négociations climatiques au niveau des COP.

Le début des années 80 du siècle dernier a été marqué par des tensions régionales énergétiques dues aux deux chocs pétroliers de 1973 et 1979. Plusieurs pays ont lancé des réflexions pour ne plus dépendre énergétiquement de l’extérieur, l’objectif étant de trouver des solutions alternatives aux énergies fossiles – ce à quoi s’est attelé le Centre de Marrakech. Les experts de l’époque ont défini quatre énergies renouvelables où le Maroc dispose d’un potentiel avéré: l’éolien, le solaire, la biomasse et l’hydraulique. Plusieurs projets pilotes ont ainsi été lancés dans plusieurs régions du pays, en fonction de leur particularité géographique.

Le premier village «vert» en Afrique

«Nous avons réalisé plusieurs projets de démonstration. Nous avions déjà une expérience grâce au programme des barrages durant les années 1960. On s’est intéressé en priorité au solaire dans ses deux composantes, le thermique et l’électrique», se remémore Abdelali Dakkina. Le premier village électrifié grâce à la technologie photovoltaïque a ainsi vu le jour en 1985 à Douar Dbibzat à El-Kelaa des Srarhna, près de Marrakech. Il s’agit du premier village africain électrifié en énergies renouvelables. Cette même année, le Maroc a éclairé plusieurs de ses rues, administrations, mosquées, écoles et villages grâce au photovoltaïque. Ce fut le début de l’implémentation de la vision voulue par Hassan II. En parallèle, les équipes du Centre de développement des énergies renouvelables de Marrakech ont lancé plusieurs projets pilotes de biomasse au sein de quelques fermes marocaines.

Des dizaines de digesteurs y sont installés pour la valorisation de la biomasse en produisant du méthane, un gaz à pouvoir calorifique important. La formule prend, puisqu’à la fin des années 1980, 500 digesteurs sont installés partout au Maroc et des coopératives adoptent cette alternative énergétique que ce soit pour l’agriculture ou leurs besoins quotidiens. Une source viable intéressante voit ainsi le jour dans le monde rural. D’ailleurs, le principal défi de feu Hassan II était d’électrifier le monde rural rapidement et de manière efficiente. En 1995, il lance le Programme d'électrification rurale global (PERG) qui a connu une réussite notamment grâce à son mode de financement participatif innovant et l’emploi des énergies renouvelables.

Le défi de l’électrification du monde rural

«Depuis l’indépendance du Maroc, plusieurs programmes ont été lancés pour électrifier 41 000 villages au niveau national. On atteignait un objectif de 70 villages par an. C’était très lent. Grâce au PERG, nous avons réalisé un sursaut remarquable, nous sommes passés à 1 000 villages annuellement. Ce programme était suivi de près par Hassan II. C’était le branle-bas au niveau du centre de Marrakech, de l’Office national de l’électricité et tous les services concernés», nous confie Abdelali Dakkina. Et d’ajouter: «En cinq ans, nous avons acquis une certaine expertise terrain et technique. Nous avons installé, selon les spécificités géographiques, des centrales hydrauliques, des groupes électrogènes, des extensions du réseau électrique, des digesteurs… Toutes les solutions étaient déployées, en particulier celles exploitant les énergies renouvelables.»

Le Maroc, notamment le monde rural, s’est véritablement métamorphosé en peu de temps et le rythme s’est nettement accéléré en l’espace de cinq ans. En 2000, l’objectif a été carrément multiplié par quatre (4 400 villages électrifiés par an). Résultat: le taux d’électrification du monde rural est passé de 16% en 1995 à 80% en 2010. Une prouesse.

Le Programme d'électrification rurale global a été ainsi le catalyseur de la stratégie marocaine des énergies renouvelables, en posant les jalons de cette stratégie et en acquérant une certaine expertise pour mener à bien les grands chantiers énergétiques. C’est dans ce sens qu’en 1999 le premier parc éolien en production concessionnelle voit le jour au Maroc. Situé dans la commune de Tleta Taghramt, près de la ville de Tétouan au nord du Maroc, le parc éolien Abdelkhalek Torrès dispose d’une puissance installée de 50 MW et a nécessité 510 millions de dirhams (1 dirham marocain = 0,096 euro) d’investissements avec des partenaires français.

À noter que le Maroc est réputé mondialement pour son climat très propice pour l’installation de parcs éoliens, grâce à des sites ventés toute l’année et de vents jouissant d’une bonne vitesse, notamment au niveau de la région du Nord, des couloirs de Taza et de Midelt. Le nombre d’heures de fonctionnement d’une centrale éolienne au nord du Royaume est de plus de 4 700, soit 50% plus que les centrales situées en mer du Nord comme en Norvège, au Danemark ou en Allemagne.

Que ce soit pour l’éolien, le solaire ou l’hydraulique, le Maroc dispose d’énormes acquis depuis le siècle dernier. Rien que pour l’hydraulique, feu Hassan II a initié depuis les années 1960 la politique visionnaire des barrages, l’une des réalisations phares de l’ère de ce monarque réputé être le bâtisseur du Maroc moderne. Aujourd’hui, le Maroc, pays agricole de premier plan, dispose de près de 150 barrages, ce qui lui permet de limiter l’impact de son stress hydrique.

8% des besoins en électricité de la Grande-Bretagne

Le règne de son fils, le roi Mohammed VI, s’inscrit dans la continuité de cette vision axée sur le développement durable et inclusif pour le bien de la population marocaine et des générations futures. Mohammed VI a, en revanche, appuyé sur l’accélérateur en adoptant une stratégie des énergies renouvelables très ambitieuse, ayant notamment pour objectif la réduction de la dépendance énergétique de l’extérieur et en se positionnant comme futur exportateur d’énergie propre. Le pays sera d’ailleurs le récipiendaire d’un projet gigantesque initié par le Britannique Xlinks. Ce dernier investira dans une centrale électrique, solaire et éolienne, de 10,5 GW dans la région de Guelmim-Oued Noun, au sud du Maroc, et qui devra alimenter le Royaume-Uni en énergie propre à travers un câble sous-marin de 3 800 km de long. Le projet, dont la construction débutera en 2025, alimentera 7 millions de foyers britanniques en énergie d'ici à 2030, soit 8% des besoins en électricité de la Grande-Bretagne. Le Maroc a mobilisé le foncier nécessaire à ce projet, soit 1 500 km2 carrés, l’équivalent de plus de 210 000 terrains de football.

«Le bilan à mi-parcours de la stratégie des énergies renouvelables est très satisfaisant. Grâce au projet de Xlinks, le Maroc va dépasser largement ses objectifs de 52% d’énergies renouvelables dans le mix énergétique en 2030. On va atteindre facilement les 60%. C’est énorme et c’est très réalisable», estime Abdelali Dakkina, à condition, selon lui, de sécuriser les financements des projets prévus et d’assurer une intégration industrielle locale, une territorialisation de l’expertise et un renforcement des capacités.

Maigre consolation pour le régime algérien

En attendant, le Maroc peut s’enorgueillir de l’efficacité de ses choix stratégiques. Début novembre 2021, alors que certains pseudo-analystes algériens s’attendaient à un impact important sur le Maroc suite à l’arrêt du gazoduc Maghreb-Europe, aucune coupure d’électricité majeure n’a été enregistrée. Maigre consolation pour les généraux algériens. «Le Maroc a été préparé à ce genre d’événements. Depuis la coupure de l’approvisionnement du gaz algérien, le Maroc n’a pas enregistré de problèmes et de coupures d’électricité. Le gaz naturel ne compte en effet que pour 10% dans le mix énergétique du Maroc, soit la moitié de la part des énergies renouvelables», précise Abdelali Dakkina. À bon entendeur!

 

 

 


Le Liban accuse Israël de menacer la stabilité alors que les forces de l’ONU préparent leur retrait

Une ambulance de la Croix-Rouge libanaise passe devant des véhicules blindés de la Force intérimaire des Nations unies au Liban lors d'une patrouille près de Marjayoun, dans le sud du Liban, l'année dernière. (AFP)
Une ambulance de la Croix-Rouge libanaise passe devant des véhicules blindés de la Force intérimaire des Nations unies au Liban lors d'une patrouille près de Marjayoun, dans le sud du Liban, l'année dernière. (AFP)
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  • Un émissaire de l’ONU accuse Israël de compromettre les « progrès durement acquis » en sapant la souveraineté et l’intégrité territoriale du Liban par des frappes aériennes et des violations frontalières
  • Le commandant de l’armée libanaise a présenté au gouvernement son deuxième rapport d’étape sur un plan visant à étendre l’autorité de l’État sur l’ensemble du territoire et à réserver le port d’armes aux seules institutions étatiques

NEW YORK: Le Liban a averti que les frappes aériennes et violations frontalières israéliennes risquent de compromettre les progrès réalisés vers la stabilité dans le sud du pays, alors que la mission de maintien de la paix des Nations unies entame sa phase préparatoire en vue d’un retrait progressif.

S’exprimant devant la Quatrième Commission de l’Assemblée générale de l’ONU, le représentant permanent du Liban, Ahmad Arafa, a salué le renouvellement récent du mandat de la Force intérimaire des Nations unies au Liban (FINUL) en vertu de la résolution 2790 du Conseil de sécurité, qui prolonge son mandat jusqu’au 31 décembre 2026, avant un retrait « ordonné, sûr et coordonné » dans l’année suivante.

« Les Forces armées libanaises œuvrent sans relâche pour assurer la pleine application de la résolution 1701 », a rappelé Arafa, évoquant le texte qui avait mis fin à la guerre de 2006 entre Israël et le Hezbollah.

Cette résolution appelle au désarmement de toutes les milices au Liban, y compris le Hezbollah, que les États-Unis considèrent comme une organisation terroriste et dont ils exigent la démilitarisation.

L’accord de cessez-le-feu de novembre 2024 avec Israël prévoit également le désarmement du Hezbollah et l’établissement d’un monopole étatique sur les armes. Si Israël et plusieurs pays y voient une exigence de désarmement total du Hezbollah, le mouvement chiite affirme que cette obligation ne concerne que le sud du Liban.

Arafa a précisé que le commandant de l’armée libanaise avait remis au Conseil des ministres son deuxième rapport d’avancement sur le plan visant à étendre l’autorité de l’État à tout le territoire et à limiter la détention d’armes aux seules institutions légitimes.

Il a toutefois accusé Israël de compromettre les « progrès durement acquis » par des violations continues de la souveraineté libanaise — frappes aériennes, occupation persistante de certaines zones et création de « prétendues zones tampons ».

Selon Arafa, la FINUL a rapporté plus de 7 000 violations de l’espace aérien libanais par Israël depuis la cessation des hostilités en novembre dernier. Ces frappes, a averti la mission onusienne, violent la résolution 1701, « menacent la sécurité des civils et sapent les avancées vers une solution politique et diplomatique ».

Le Liban a également dénoncé les attaques israéliennes visant le personnel et les positions de la FINUL, qualifiées de « violation flagrante du droit international ».

Arafa a exprimé sa gratitude envers la direction de la FINUL et les pays contributeurs de troupes pour leur « dévouement et leurs sacrifices » depuis la création de la mission en 1978, appelant à éviter tout « vide sécuritaire » durant la période de transition à venir, tout en préservant la stabilité et le respect de la souveraineté nationale.

Ce texte est la traduction d’un article paru sur Arabnews.com


«Le sang coulait encore»: le calvaire des réfugiés d’El-Facher arrivés au Tchad

Les FSR, en guerre contre l’armée régulière depuis avril 2023, ont pris le contrôle le 26 octobre de cette ville du Darfour, une région de l'ouest du Soudan déjà ensanglantée dans les années 2000. (AFP)
Les FSR, en guerre contre l’armée régulière depuis avril 2023, ont pris le contrôle le 26 octobre de cette ville du Darfour, une région de l'ouest du Soudan déjà ensanglantée dans les années 2000. (AFP)
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  • "Ils ont appelé sept infirmiers et les ont réunis dans une pièce. Nous avons entendu des coups de feu et j’ai vu le sang couler sous la porte", raconte avec émotion à l’AFP l'adolescent de 16 ans
  • La vidéo, comme de nombreuses autres filmées par les FSR lors de leur entrée dans la ville, a été partagée sur les réseaux sociaux

TINE: Après 11 jours de trajet, Mounir Abderahmane atteint enfin le camp de Tiné, dans la province du Wadi Fira au Tchad, après avoir fui El-Facher, au Soudan, le 25 octobre.

Lorsque des paramilitaires des Forces de soutien rapide (FSR) ont envahi la ville, il veillait son père, militaire dans l'armée régulière blessé quelques jours plus tôt, à l'hôpital saoudien.

"Ils ont appelé sept infirmiers et les ont réunis dans une pièce. Nous avons entendu des coups de feu et j’ai vu le sang couler sous la porte", raconte avec émotion à l’AFP l'adolescent de 16 ans.

La vidéo, comme de nombreuses autres filmées par les FSR lors de leur entrée dans la ville, a été partagée sur les réseaux sociaux. Mounir quitte aussitôt la ville avec son père, qui mourra quelques jours plus tard sur la route qui devait le mener au Tchad.

Les FSR, en guerre contre l’armée régulière depuis avril 2023, ont pris le contrôle le 26 octobre de cette ville du Darfour, une région de l'ouest du Soudan déjà ensanglantée dans les années 2000.

Deux semaines après la prise de la ville, les réfugiés atteignent le Tchad, à plus de 300 km de là. Une poignée d’entre eux, accueillis dans le camp de transit de Tiné, livrent leurs témoignages à l’AFP.

"Coques d'arachides" 

Après 18 mois de siège, tous évoquent une intensification des bombardements à partir du 24 octobre, précédant l’entrée des paramilitaires.

Terrés dans des abris de fortune, des dizaines de personnes s’y entassent pour échapper aux drones. Ils n’ont pour seule nourriture "que des coques d’arachides", raconte Hamid Souleymane Chogar, 53 ans. Le 26 octobre, il s’échappe de sa cachette, "chaque fois que je montais prendre l’air, je voyais dans la rue de nouveaux cadavres, souvent des habitants du quartier que je connaissais", confie-t-il.

Il profite d’une accalmie nocturne pour fuir. Estropié en 2011 lors d'une précédente guerre "à cause des Janjawids" - des milices arabes ayant longtemps persécuté les tribus non arabes du Darfour –, il est hissé sur une charrette qui zigzague dans la ville entre les débris et les cadavres. Leur progression se fait sans parole ni lumière, pour ne pas alerter les paramilitaires.

Alors que les phares d’un véhicule des FSR balayent la nuit, Mahamat Ahmat Abdelkerim, 53 ans, se précipite dans une maison avec sa femme et ses six enfants. Le septième a été tué deux jours plus tôt dans une attaque de drone. "Il y avait une dizaine de cadavres, tous des civils. Leur sang coulait encore", explique-t-il derrière ses lunettes noires, qui cachent un œil gauche perdu quelques mois plus tôt lors d’un bombardement.

Mouna Mahamat Oumour, 42 ans, fuit avec ses trois enfants lorsqu’un obus frappe le groupe. "Quand je me suis retournée, j’ai vu le corps de ma tante déchiquetée. On l’a couverte d’un pagne et on a continué", raconte-t-elle en larmes. "Nous avons marché sans jamais nous retourner", ajoute-t-elle.

Arrivés au sud de la ville, au niveau de la tranchée construite par les paramilitaires pour l'encercler, les cadavres s’accumulent. "Ils remplissent la moitié de ce fossé de deux mètres de large et de trois mètres de haut", détaille Hamid Souleymane Chogar.

Des dizaines ? Des centaines ? Impossible d’estimer leur nombre en pleine nuit, dans cet espace qui s’étend à perte de vue.

Des analyses faites par le laboratoire de l'université américaine de Yale à partir d’images satellites croisées avec des vidéos postées par les FSR, évoquent la présence de nombreux corps dans cette tranchées et sur le talus voisin.

Samira Abdallah Bachir, 29 ans, a emprunté un autre passage, elle a dû descendre dans la tranchée, sa fille de deux ans dans les bras, ses deux autres enfants, âgés de 7 et 11 ans, marchant derrière elle. "On devait éviter les corps pour ne pas marcher dessus", décrit-elle.

Un système de racket 

Une fois sortis de la ville, les réfugiés subissent un nouveau calvaire. A chaque check-point sur les deux principales routes permettant de quitter la ville, les témoignages évoquent de nouvelles violences, viols et vols contre les populations civiles.

Après s'être fait voler son téléphone et son argent, Mahamat Ahmat Abdelkerim doit payer à chaque nouveau check point. "Les FSR ont des téléphones qu’ils mettent sur haut-parleur pour que nous contactions nos proches pour qu’ils nous envoient de l’argent", décrit-il.

Les sommes payées à chaque barrage varient entre 500.000 et un million de livres soudanaises selon les témoignages, soit entre 700 et 1.400 euros.

D’autres témoignages évoquent les ciblages ethniques des FSR. Ils disent "Vous êtes des noirs, des esclaves" raconte un réfugié tout juste arrivé à Tiné. "Ils mettent certains hommes de côté, les dépouillent et tirent au hasard sur eux."

Difficile de savoir combien de Soudanais réussiront à se réfugier au Tchad dans les prochaines semaines. Environ 90.000 personnes ont déjà fui la ville d’El-Facher depuis sa conquête par les paramilitaires, selon les derniers chiffres de l’ONU

Le HCR évoque de son côté "90.000 arrivées dans les trois prochains mois" alors que les violences se poursuivent au Darfour et que les affrontements entre l’armée et les paramilitaires poussent la population à fuir dans la région du Kordofan.

"Des relocalisations sont en cours pour permettre de désengorger le camp de transit de Tiné et accueillir de nouveaux réfugiés", précise Ameni Rahmani, 42 ans, responsable de projet de Médecins Sans Frontières (MSF) à Tiné.

"Les arrivées augmentent encore faiblement mais nous sommes prêts à intensifier notre réponse et à renforcer nos équipes sur place."

Côté soudanais, après s’être retiré du Darfour-Nord suite à des attaques de drones sur des structures médicales depuis deux semaines, MSF prévoit d’y redéployer ces prochains jours ses équipes.

Le conflit au Soudan a fait des dizaines de milliers de morts, en a déplacé près de 12 millions d'autres et provoqué, selon l'ONU, la pire crise humanitaire au monde.

 


Soudan: des sources d'information cruciales emportées par la guerre

En septembre, le reporter de l'AFP avait déjà appris la mort de trois autres de ses sources locales, des hommes toujours prêts à répondre à "ses questions macabres" quand les communications le permettaient. Et toujours sous couvert d'anonymat pour des raisons de sécurité. (AFP)
En septembre, le reporter de l'AFP avait déjà appris la mort de trois autres de ses sources locales, des hommes toujours prêts à répondre à "ses questions macabres" quand les communications le permettaient. Et toujours sous couvert d'anonymat pour des raisons de sécurité. (AFP)
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  • Pendant des mois, le Dr Omar Selik, le Dr Adam Ibrahim Ismaïl, le cheikh Moussa et l'activiste Mohamed Issa ont transmis des informations à l'AFP sur cette ville inaccessible à toute aide extérieure
  • Le correspondant de l'AFP au Soudan, Abdelmoneim Abu Idris Ali, lui-même déplacé de la capitale Khartoum à Port-Soudan, les appelait souvent pour couvrir à distance la guerre sanglante entre l'armée du général Abdel Fattah Al-Burhane et les FSR

PORT-SOUDAN: "Les bombes se rapprochent", "ils tirent sur ceux qui tentent de fuir", "il y a seize morts"... Les informations sur les combats meurtriers et les exactions commises à El-Facher parviennent au monde grâce à de simples citoyens soudanais, restés sur place au péril de leur vie, sources cruciales pour l'AFP.

Cette grande ville de la région du Darfour (ouest) a été assiégée pendant 18 mois avant de tomber le 26 octobre dernier aux mains des paramilitaires des Forces de soutien rapide (FSR) du général Mohamed Hamdane Daglo.

Pendant des mois, le Dr Omar Selik, le Dr Adam Ibrahim Ismaïl, le cheikh Moussa et l'activiste Mohamed Issa ont transmis des informations à l'AFP sur cette ville inaccessible à toute aide extérieure, ensanglantée par des affrontements meurtriers, puis par des massacres commis par les paramilitaires.

Le correspondant de l'AFP au Soudan, Abdelmoneim Abu Idris Ali, lui-même déplacé de la capitale Khartoum à Port-Soudan, les appelait souvent pour couvrir à distance la guerre sanglante entre l'armée du général Abdel Fattah Al-Burhane et les FSR.

Ses quatre sources ont joué un rôle crucial et anonyme. Jusqu'à leur décès...

Adam Ibrahim Ismaïl a été arrêté par les FSR le 26 octobre, le jour de la prise d'El-Facher qu'il tentait de fuir. Il a été abattu le lendemain.

Jusqu'au bout, ce jeune médecin a "soigné les blessés et les malades" de l'hôpital saoudien, le dernier fonctionnel de la ville, selon un communiqué du syndicat des médecins soudanais.

C'est par ce communiqué qu'Abdelmoneim Abu Idris Ali a appris son décès.

Il lui avait parlé quelques jours plus tôt pour faire le point sur les bombardements du jour: "il avait une voix épuisée", se souvient-il. "Chaque fois que nous terminions un appel, il disait au revoir comme si c'était peut-être la dernière fois".

"Questions macabres" 

En septembre, le reporter de l'AFP avait déjà appris la mort de trois autres de ses sources locales, des hommes toujours prêts à répondre à "ses questions macabres" quand les communications le permettaient. Et toujours sous couvert d'anonymat pour des raisons de sécurité.

Les trois ont été tués dans une frappe de drone sur une mosquée d'El-Facher qui a fait au moins 75 morts le 19 septembre.

"Beaucoup de ces 75 personnes avaient fui pour sauver leur vie quelques jours auparavant, mais le drone des FSR les a rattrapées", a précisé Abdelmoneim Abu Idris Ali.

Les voix des sources "me permettaient de dépeindre El-Facher", dit-il. "À travers eux, j'entendais les gémissements des blessés, les peines des endeuillés, la douleur de ceux que broie la machine de guerre", raconte-t-il depuis Port-Soudan.

Avant que la guerre n'éclate, les journalistes pouvaient parcourir le troisième plus grand pays d'Afrique jusque dans ses régions les plus reculées, comme le Darfour.

C'est ainsi que le reporter aguerri de l'AFP a rencontré le cheikh Moussa qui lui a ouvert la porte de son modeste logement en 2006, prélude à deux décennies d'amitié. Il connaissait bien moins les trois autres, faute de temps pour échanger dans une région soumise aux coupures de communication fréquentes.

"Cacher" sa tristesse 

Egalement disparu, le Dr Omar Selik, qui a été loué par de nombreux journalistes internationaux, a vu le système de santé d'El-Facher s'effondrer au fil des mois. Après avoir évacué sa famille dans une zone moins dangereuse, ce médecin continuait de sauver des vies, jusqu'à son propre décès.

"Il me parlait comme s'il s'adressait à la famille d'un patient, annonçant la mort d'un être cher et essayait toujours de cacher la pointe de tristesse dans sa voix lorsqu'il me donnait un bilan des victimes", se souvient Abdelmoneim Abu Idris Ali.

Mohamed Issa, lui, est mort à 28 ans, après des mois à traverser les lignes de front pour apporter nourriture, eau, médicaments aux familles piégées à El-Facher.

"Chaque fois que je lui demandais ce qui se passait, sa voix résonnait joyeusement: +rien de grave inch'Allah, je suis un peu loin, mais je vais aller voir pour toi!+ On ne pouvait pas l'arrêter".

Mohamed Issa se précipitait sur les lieux des frappes, chargeant les blessés sur des charrettes pour les emmener à l'hôpital ou dans n'importe quel lieu susceptible de prodiguer des soins d'urgence, explique le correspondant.

Chassé de son village 

Le cheikh Moussa avait, lui, été chassé de son village il y a 22 ans, au tout début de la guerre du Darfour, par les milices arabes Janjawid, dont les FSR sont les héritières. Il a ensuite vécu dans différents lieux accueillant les réfugiés ballottés au gré des attaques des paramilitaires.

"La violence éclatait encore et encore devant sa porte, mais son rire ne s'est jamais éteint", dit le journaliste de l'AFP.

Quand les bombes ont commencé à pleuvoir sur El-Facher, "il parlait sans fin de la douleur que son peuple subissait, mais si vous lui demandiez comment lui allait, il répondait juste: +alhamdulillah, grâce à Dieu+".

À chaque appel téléphonique, "je l'imaginais assis en tailleur à l'ombre devant sa porte, vêtu d'une djellaba d'un blanc éclatant et d'une calotte assortie, toujours souriant malgré les horreurs qui l'entouraient", se remémore le journaliste de l'AFP.

"Chaque mort est une tragédie que nous sommes habitués à rapporter, mais c'est une autre forme de chagrin lorsqu'il s'agit de quelqu'un avec qui vous avez partagé un repas, quelqu'un dont vous entendiez la voix chaque jour".