ISTANBUL: Washington aurait entamé des pourparlers sur le transfert de ses équipements militaires essentiels de la base aérienne d’Incirlik au sud de la Turquie vers l’île grecque de Crète, signe apparent de sa frustration face à l’aventurisme régional d’Ankara.
Par ailleurs, les relations entre la Grèce et les États-Unis ont atteint un niveau historique qui contraste fortement avec les liens de plus en plus tendus entre la Turquie et la Grèce.
Le ministre grec des Affaires Étrangères, Nikos Dendias, a rencontré le Secrétaire d’État Mike Pompeo dimanche, un jour après que le représentant américain a discuté de la Crète avec le Premier ministre grec Kyriakos Mitsotakis.
La visite de Pompeo dans la région, la deuxième au cours des deux dernières semaines, est considérée par certains experts comme un avertissement symbolique à Ankara, qui signifierait que les États-Unis ont d'autres options concernant leurs moyens de défense.
La fermeture potentielle de la base aérienne d’Incirlik et le blocage de l'accès américain au site ont longtemps été utilisés par Ankara pour faire chanter les décideurs américains en période de crise bilatérale.
Cependant, selon le quotidien britannique The Times, ce sont les États-Unis qui envisagent maintenant de transférer leurs équipements principaux, y compris leur arsenal nucléaire, d’Incirlik vers la base de la baie de Souda en Crète.
Les États-Unis ont récemment levé sur Chypre un embargo de trois décennies sur les armes, permettant la vente d'équipements de défense non létaux — un autre pilier du partenariat américain en matière de sécurité, la nation insulaire visant également à restreindre l'accès naval russe.
Le discours anti-occidental persistant de la Turquie, son insistance à conserver le système de défense antimissile S-400 de fabrication russe malgré les avertissements de l'Occident, ainsi que la coopération américaine avec la milice kurde syrienne YPG — qu'Ankara considère comme un groupe terroriste —sont à l’origine du différend récent entre les États-Unis et la Turquie.
L’alternative à Incirlik a récemment été proposée par le sénateur américain Ron Johnson, qui préside le sous-comité des affaires étrangères du Sénat.
Johnson aurait déclaré que la présence américaine en Turquie était menacée, ce qui est l'une des raisons pour lesquelles Washington « renforce » sa présence en Crète.
« Je sais que nombreux sont ceux qui attribuent une valeur stratégique considérable à Incirlik. La base a une fonction politique importante et est considérée comme un symbole politique de la relation entre les États-Unis et la Turquie », a affirmé Aaron Stein, directeur de recherche à l'Institut de recherche sur la politique étrangère, à Arab News.
« Avant la guerre contre Daech, c’était un trou perdu, sans avion assigné et avec peu à faire. La principale raison pour laquelle elle reste ouverte est parce qu'il s'agit d'une installation de stockage d'armes nucléaires », a-t-il ajouté.
Stein a indiqué que les États-Unis envisageaient de construire des bases en Grèce, notamment dans la baie de Souda et à Andravida.
« C'est le lieu convenable. La Grèce est ouverte à une plus grande présence américaine, pour l'instant, et les tensions avec Ankara sont considérables », a-t-il lancé.
La base aérienne d’Incirlik, qui est contrôlée par l’armée turque, a été ouverte pour les opérations aériennes menées par la coalition occidentale dirigée par les États-Unis en juin 2015, afin de lancer des frappes contre Daech en Syrie.
Au cours des 30 dernières années, l’armée américaine avait le droit d’utiliser la base turque pour les opérations de l’OTAN. Environ 2 500 soldats sont hébergés à la base, qui abrite un escadron d'avions A-10 Warthog et des dizaines d'armes nucléaires.
En décembre, le président turc Recep Tayyip Erdogan a menacé de fermer les bases d’Incirlik et de Kurecik si Washington imposait des sanctions pour l'achat du système de défense aérienne russe.
Par ailleurs, une sixième série de pourparlers militaires techniques entre la Turquie et la Grèce menée par l'OTAN, pour résoudre le conflit de la Méditerranée orientale, s'est tenue mardi à Bruxelles, quelques heures après que la Turquie a effectué un exercice naval au large des eaux grecques.
Max Hoffman, analyste de la Turquie du Center for American Progress basé à Washington, estime que les pourparlers avec la Grèce font partie d’un effort à plus long terme des États-Unis pour protéger les bases et l'accès, compte tenu des risques politiques dans les relations avec la Turquie , ainsi qu’une approche de politique étrangère de plus en plus agressive d'Erdogan.
« Les États-Unis ont également élargi leurs options en Jordanie et ont commencé à consolider leurs liens avec Chypre », a-t-il précisé à Arab News.
Selon Hoffman, les États-Unis feront part de leurs inquiétudes à la Turquie si Erdogan continuait sur cette voie de confrontation.
« C'est le reflet de la profonde inquiétude au sein du gouvernement américain concernant la trajectoire de la Turquie, malgré la ligne directe d'Erdogan avec Trump », a-t-il ajouté.
Ce texte est la traduction d’un article paru sur Arabnews.com