La France prend la présidence tournante de l'UE à trois mois de la présidentielle

Le président français Emmanuel Macron, le 17 décembre 2021. (Photo, AFP)
Le président français Emmanuel Macron, le 17 décembre 2021. (Photo, AFP)
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Publié le Vendredi 31 décembre 2021

La France prend la présidence tournante de l'UE à trois mois de la présidentielle

  • A compter du 1er janvier, la France, succédant à la Slovénie, préside pour six mois le Conseil de l'Union européenne
  • C'est la 13e présidence semestrielle tournante exercée par la France depuis 1958 et la première depuis 2008

PARIS: La France prend samedi la présidence tournante de l'Union européenne en pleine tourmente, de la déferlante Omicron aux bruits de botte russes aux portes de l'Ukraine, un potentiel tremplin pour Emmanuel Macron vers la présidentielle.

"Cette présidence lui offre une plateforme bienvenue pour mettre en avant son bilan européen, se distinguer de certains de ses concurrents et porter de nouvelles revendications, de nouvelles idées", résume Claire Demesmay, chercheuse au centre franco-allemand Marc-Bloch à Berlin.

A compter du 1er janvier, la France, succédant à la Slovénie, préside pour six mois le Conseil de l'Union européenne qui représente les intérêts des 27 Etats-membres face à la Commission et au Parlement européens.

Elle va devoir jouer de son influence pour faire avancer certains sujets et dégager des compromis à 27 même si cet exercice d'"honnête courtier", très encadré, lui interdit d'être à la fois juge et partie.

Les ministres français présideront concrètement les réunions de leurs homologues européens dans leur domaine de compétence (agriculture, santé, intérieur...)

C'est la 13e présidence semestrielle tournante exercée par la France depuis 1958 et la première depuis 2008.

Elle va aussi se télescoper avec le scrutin présidentiel des 10 et 24 avril et les législatives de juin en France.

Un scénario déjà vécu en 1995, à quelques nuances près. François Mitterrand tirait alors sa révérence après deux mandats - Jacques Chirac lui succèdera en mai - là où Emmanuel Macron sera très probablement candidat à sa réélection.

"La France aura (de facto) une période très courte pour la présidence - et un agenda très ambitieux. Trois mois, c'est très, très bref. Ça va être très sportif", observe Claire Demesmay.

«Leadership européen»

Emmanuel Macron, déjà élu en 2017 sur un programme pro-européen, a fixé comme objectif de la "PFUE" (présidence française de l'UE selon un sigle raccourci) de rendre "l'Europe puissante dans le monde".

"Il ne peut pas arriver au premier tour, le 10 avril, sans avoir obtenu quelques résultats de sa présidence européenne. C'est la difficulté pour lui mais ce peut être aussi une vraie chance", estime Sébastien Maillard, directeur de l'Institut Jacques Delors à Paris.

La future présidence française a mis en avant trois priorités - des salaires minimum dans toute l'UE, la régulation des géants du numérique et une taxe carbone aux frontières - sur lesquelles elle peut espérer des résultats.

Le sommet des chefs d'Etat et de gouvernement informel des 10 et 11 mars en France, qui doit aborder la réforme du pacte de stabilité et de croissance, un thème cher à la France, peut aussi s'avérer "un coup de maître politique", relève Sébastien Maillard.

"Faire une démonstration de force de son leadership européen, entouré de ses homologues à un mois du premier tour, ça peut conforter sa stature", note-t-il.

Les crises offrent aussi une tribune de premier plan. En 2008, Nicolas Sarkozy s'était posé en leader de l'Europe lors de la crise financière déclenchée par la faillite de la banque Lehman Brothers et l'offensive militaire russe en Géorgie.

Emmanuel Macron pourrait faire entendre la voix de l'Europe dans les négociations russo-américaines à venir sur l'Ukraine et la sécurité en Europe.

"L'Histoire lui offre peut-être une chance (de faire) émerger une vision européenne" sur ces enjeux, souligne Michel Duclos, ancien ambassadeur, dans une tribune au quotidien français L'Opinion.

«Fait accompli»

Ce pari pro-européen n'est pas sans risque dans un pays parmi les plus eurosceptiques de l'UE, où l'Europe reste perçue comme distante et bureaucratique. 

Seuls 29% des Français souhaitent ainsi plus d'intégration européenne, contre 50% des Italiens et 43% des Allemands, selon une étude EuropaNova réalisée pour le Journal du Dimanche (JDD).

"La présidence de l'UE peut contribuer à corriger cette appréciation en proposant une incarnation de l'Europe, au bénéfice et par la personne d'Emmanuel Macron", considère toutefois Pierre Sellal, ex-représentant de la France auprès de l'UE.

"En outre, les Français n'aiment rien tant que l'image ou l'impression d'une France +aux manettes+, qui inspire, conduit et dirige", ajoute-t-il.

La nouvelle vague de Covid-19 qui submerge l'Europe pourrait néanmoins gâcher la "fête" pour les quelque 400 réunions et événements programmés aux quatre coins de l'Hexagone.

Emmanuel Macron va aussi devoir faire montre de doigté vis-à-vis de partenaires qui se montreront "sévères" s'ils perçoivent des "tentatives d'instrumentalisation de la présidence à des fins électorales", avertit Pierre Sellal.

L'Allemagne, où le nouveau chancelier Olaf Scholz vient tout juste de succéder à Angeka Merkel, pourrait vite se sentir bousculée alors qu'elle présidera elle-même le G7 en 2022.

"Déjà en 2017, celui qui venait d’être élu président avait mis son voisin allemand sous pression, deux jours après les élections législatives en Allemagne, avec son discours de la Sorbonne et des propositions très ambitieuses sur l’Europe. Et aujourd’hui Macron place le tout nouveau gouvernement allemand devant le fait accompli", analyse le quotidien allemand Süddeutche Zeitung.

L'Allemagne soutient la France pour une Europe «plus souveraine»

BERLIN : La cheffe de la diplomatie allemande a assuré vendredi la France de son plein soutien pour sa présidence tournante de l'UE, affirmant partager l'objectif de parvenir à une Europe "plus souveraine", dans une déclaration à l'AFP.

"Nos amis français peuvent compter sur notre soutien du premier au dernier jour pour poser les bons jalons au sein de l'UE: pour une reprise économique durable, dans la lutte contre la crise climatique, dans la numérisation et pour une Europe plus souveraine dans le monde", a indiqué Annalena Baerbock.

A compter du 1er janvier, la France, succédant à la Slovénie, préside pour six mois le Conseil de l'Union européenne qui représente les intérêts des 27 Etats membres face à la Commission et au Parlement européens.

Pour Mme Baerbock, la présidence française constitue "une chance importante que nous voulons saisir ensemble pour renforcer l'Europe et la rendre apte à relever les défis de demain". 

L'Allemagne et la France, "en tant qu'amis les plus proches au coeur de l'Europe, portent une responsabilité particulière pour une Union européenne unie, capable d'agir et orientée vers l'avenir", a-t-elle ajouté.

La présidence française du Conseil de l'UE coïncide avec la présidence allemande du G7 qui débute également le 1er janvier. Berlin accueillera du 26 au 28 juin prochain en Bavière un sommet des dirigeants du G7. 

Le nouveau chancelier social-démocrate Olaf Scholz est depuis début décembre à la tête d'un gouvernement pro-européen, qui comprend également les écologistes et les libéraux.

Ces trois partis ont déjà souligné vouloir "accroître la souveraineté stratégique de l'Union européenne", au moment où l'UE est malmenée sur la scène internationale par les rivalités entre grandes puissances telles que les Etats-Unis, la Russie et la Chine.

Le président français Emmanuel Macron s'est lui fixé comme objectif de cette présidence européenne de rendre "l'Europe puissante dans le monde".

La future présidence française a mis en avant trois priorités - des salaires minimum dans toute l'UE, la régulation des géants du numérique et une taxe carbone aux frontières - sur lesquelles elle peut espérer des résultats.


France: les députés rejettent l'emblématique taxe Zucman, au grand dam de la gauche

Des députés du Rassemblement national applaudissent lors de l'examen des textes par la "niche parlementaire" du groupe d'extrême droite Rassemblement national, à l'Assemblée nationale, la chambre basse du parlement français, à Paris, le 30 octobre 2025. (AFP)
Des députés du Rassemblement national applaudissent lors de l'examen des textes par la "niche parlementaire" du groupe d'extrême droite Rassemblement national, à l'Assemblée nationale, la chambre basse du parlement français, à Paris, le 30 octobre 2025. (AFP)
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  • L’Assemblée nationale a refusé la proposition de taxe de 2 % sur les patrimoines supérieurs à 100 millions d’euros (228 voix contre 172), symbole des tensions entre gauche et droite sur la justice fiscale
  • Le Premier ministre Sébastien Lecornu tente d’éviter une censure et de sauver le budget 2026 en multipliant les concessions à la gauche

PARIS: Les députés français ont rejeté vendredi l'emblématique taxe Zucman sur la taxation des ultra-riches, au grand dam de la gauche, à laquelle le Premier ministre Sébastien Lecornu a tenté de donner des gages pour parvenir à faire voter un budget.

Les parlementaires sont engagés dans de difficiles débats pour arriver à un compromis sur ce sujet qui relève du casse-tête dans un paysage politique très fragmenté, sans majorité nette à l'Assemblée nationale depuis la dissolution décidée en juin 2024 par Emmanuel Macron.

Défendue par la gauche, la taxe Zucman, qui visait à instaurer un impôt minimum de 2% sur les patrimoines de plus de 100 millions d'euros, a été rejetée par 228 députés contre 172.

Cette proposition, qui cristallisait les débats budgétaires, s'inspire des travaux du discret économiste Gabriel Zucman, chantre de la justice fiscale pour la gauche et adversaire des entreprises pour la droite et les libéraux, jusqu'au patron de LVMH, qui le qualifie de "pseudo universitaire".

Les députés ont également rejeté une version de compromis de cette taxe, proposée par les socialistes.

"Vous faites, par votre intransigeance, je le crains, le mauvais chemin", a dénoncé le socialiste Boris Vallaud. Le chef des députés PS a appelé dans la foulée à voter le rétablissement de l'Impôt de solidarité sur la fortune (ISF) supprimé en 2017.

De son côté, la droite s'est réjouie: "On est contre les augmentations d'impôts qui vont tuer de l'emploi et tuer de l'activité économique", a réagi le chef des députés Les Républicains (LR), Laurent Wauquiez.

Le Premier ministre Lecornu a réfuté l'existence d'un "impôt miracle pour rétablir la justice fiscale", et demandé à ses ministres de réunir les représentants de groupes politiques pour tenter de trouver une voie d'atterrissage et s'accorder sur un budget pour 2026.

Minoritaire, le quatrième gouvernement en moins d'un an et demi, le sixième depuis la réélection de M. Macron en mai 2022, a promis de laisser le dernier mot au Parlement. Mais la recherche d'un compromis reste très difficile entre un camp présidentiel fracturé, une gauche traversée de tensions et une extrême droite favorable à une union des droites.

- Le PS maintient la pression -

La pression est forte entre des délais très courts et l'inquiétude croissante sur la situation des finances publiques de la deuxième économie de l'UE dont la dette atteint 115% du PIB.

Tout en insistant sur la nécessité de réaliser d'importantes économies, le Premier ministre doit donc accepter des concessions, au risque de ne pas parvenir à doter l'Etat français d'un budget dans les temps ou de tomber comme ses prédécesseurs.

Pour convaincre les socialistes de ne pas le renverser, Sébastien Lecornu a déjà accepté de suspendre la réforme des retraites adoptée au forceps en 2023, une mesure approuvée vendredi en commission parlementaire.

Face à la colère froide de la gauche après les votes de vendredi, il s'est dit prêt en outre à renoncer au gel des pensions de retraite et des minimas sociaux, des mesures parmi les plus contestées de cette séquence budgétaire et dont la suppression était dans le même temps votée en commission des Affaires sociales.

Le gouvernement comptait faire jusqu'à 3,6 milliards d'économies sur ces sujets, et pourrait compenser cela, au moins en partie, par une hausse de la Contribution sociale généralisée (CSG) sur le patrimoine.

Pour Sébastien Lecornu, il s'agit d'échapper à une censure du PS, qui maintient son étreinte et l'appelle à "encore rechercher le compromis" sous peine de devoir "repartir aux élections". A ce stade, "il n'y a pas de possibilité de voter ce budget", a lancé le patron des socialistes, Olivier Faure.

Si le Parlement ne se prononce pas dans les délais, le gouvernement peut exécuter le budget par ordonnance. Une loi spéciale peut aussi être votée permettant à l'Etat de continuer à percevoir les impôts existants l'an prochain, tandis que ses dépenses seraient gelées, en attendant le vote d'un réel budget.


France: le cimentier Lafarge jugé à partir de mardi pour financement du terrorisme

Une multinationale en procès, dans une affaire inédite: le groupe français Lafarge et d'anciens hauts responsables comparaissent à partir de mardi à Paris, soupçonnés d'avoir payé des groupes jihadistes, dont l'État islamique (EI), en Syrie jusqu'en 2014 dans le but d'y maintenir l'activité d'une cimenterie. (AFP)
Une multinationale en procès, dans une affaire inédite: le groupe français Lafarge et d'anciens hauts responsables comparaissent à partir de mardi à Paris, soupçonnés d'avoir payé des groupes jihadistes, dont l'État islamique (EI), en Syrie jusqu'en 2014 dans le but d'y maintenir l'activité d'une cimenterie. (AFP)
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  • Aux côtés de Lafarge, avalé en 2015 par le groupe suisse Holcim, seront jugés au tribunal correctionnel de Paris l'ancien PDG du cimentier, Bruno Lafont, cinq ex-responsables de la chaîne opérationnelle ou de la chaîne de sûreté et deux intermédiaires
  • Dans ce dossier, ils devront répondre de financement d'entreprise terroriste et, pour certains, de non-respect de sanctions financières internationales

PARIS: Une multinationale en procès, dans une affaire inédite: le groupe français Lafarge et d'anciens hauts responsables comparaissent à partir de mardi à Paris, soupçonnés d'avoir payé des groupes jihadistes, dont l'État islamique (EI), en Syrie jusqu'en 2014 dans le but d'y maintenir l'activité d'une cimenterie.

Aux côtés de Lafarge, avalé en 2015 par le groupe suisse Holcim, seront jugés au tribunal correctionnel de Paris l'ancien PDG du cimentier, Bruno Lafont, cinq ex-responsables de la chaîne opérationnelle ou de la chaîne de sûreté et deux intermédiaires syriens, dont l'un est visé par un mandat d'arrêt international et devrait donc être absent au procès.

Dans ce dossier, ils devront répondre de financement d'entreprise terroriste et, pour certains, de non-respect de sanctions financières internationales.

Le groupe français est soupçonné d'avoir versé en 2013 et 2014, via sa filiale syrienne Lafarge Cement Syria (LCS), plusieurs millions d'euros à des groupes rebelles jihadistes dont certains, comme l'EI et Jabhat al-Nosra, ont été classés comme "terroristes", afin de maintenir l'activité d'une cimenterie à Jalabiya, dans le nord du pays.

La société avait investi 680 millions d'euros dans ce site, dont la construction a été achevée en 2010.

Plaintes 

Alors que les autres multinationales avaient quitté le pays en 2012, Lafarge n'a évacué cette année-là que ses employés de nationalité étrangère, et maintenu l'activité de ses salariés syriens jusqu'en septembre 2014, date à laquelle l'EI a pris le contrôle de l'usine.

Dans ce laps de temps, LCS aurait rémunéré des intermédiaires pour s'approvisionner en matières premières auprès de l'EI et d'autres groupes, et pour que ces derniers facilitent la circulation des employés et des marchandises.

L'information judiciaire avait été ouverte à Paris en 2017 après plusieurs révélations médiatiques et deux plaintes en 2016, une du ministère de l'Économie pour violation d'embargo, et l'autre de plusieurs associations et de onze anciens salariés de LCS pour financement du terrorisme.

Le nouveau groupe, issu de la fusion de 2015, qui a toujours pris soin de dire qu'il n'avait rien à voir avec les faits antérieurs à cette opération, avait entretemps lancé une enquête interne.

Confiée aux cabinets d'avocats américain Baker McKenzie et français Darrois, elle avait conclu en 2017 à des "violations du code de conduite des affaires de Lafarge".

Et en octobre 2022, Lafarge SA avait plaidé coupable aux États-Unis d'avoir versé à l'EI et Jabhat Al-Nosra près de 6 millions de dollars, et accepté d'y payer une sanction financière de 778 millions de dollars.

Une décision dénoncée par plusieurs prévenus du dossier français, à commencer par Bruno Lafont, qui conteste avoir été informé des paiements aux groupes terroristes.

Plus de 200 parties civiles 

Selon ses avocats, ce plaider-coupable, sur lequel s'appuient en partie les juges d'instruction français dans leur ordonnance, "est une atteinte criante à la présomption d'innocence, qui jette en pâture les anciens cadres de Lafarge" et avait "pour objectif de préserver les intérêts économiques d'un grand groupe".

Pour la défense de l'ex-PDG, le procès qui s'ouvre permettra d'"éclaircir" plusieurs "zones d'ombre du dossier", comme le rôle des services de renseignement français.

Les magistrats instructeurs ont estimé que si des remontées d'informations avaient eu lieu entre les responsables sûreté de Lafarge et les services secrets sur la situation autour du site, cela ne démontrait "absolument pas la validation par l'Etat français des pratiques de financement d'entités terroristes mises en place par Lafarge en Syrie".

Au total, 241 parties civiles se sont à ce jour constituées dans ce dossier. "Plus de dix ans après les faits, les anciens salariés syriens pourront enfin témoigner de ce qu'ils ont enduré: les passages de check-points, les enlèvements et la menace permanente planant sur leurs vies", souligne Anna Kiefer, de l'ONG Sherpa.

Lafarge encourt jusqu'à 1,125 million d'euros d'amende pour le financement du terrorisme. Pour la violation d'embargo, l'amende encourue est nettement plus lourde, allant jusqu'à 10 fois le montant de l'infraction qui sera retenu in fine par la justice.

Un autre volet de ce dossier est toujours à l'instruction, le groupe ayant aussi été inculpé pour complicité de crimes contre l'humanité en Syrie et en Irak.


Gérald Darmanin visé par une plainte d'avocats pour son soutien implicite à Sarkozy

Ce collectif d'une trentaine d'avocats se dit dans sa plainte, portée par Me Jérôme Karsenti, "particulièrement indigné par les déclarations du garde des Sceaux" faisant part "publiquement de sa compassion à l'égard de M. Sarkozy en soulignant les liens personnels qu'ils entretiennent". (AFP)
Ce collectif d'une trentaine d'avocats se dit dans sa plainte, portée par Me Jérôme Karsenti, "particulièrement indigné par les déclarations du garde des Sceaux" faisant part "publiquement de sa compassion à l'égard de M. Sarkozy en soulignant les liens personnels qu'ils entretiennent". (AFP)
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  • Le garde des Sceaux a rencontré mercredi à la prison de la Santé à Paris l'ancien président de la République, un de ses mentors en politique
  • Mais la plainte des avocats est née bien avant, juste après des déclarations de M. Darmanin sur France Inter le 20 octobre, à la veille de l'incarcération de M. Sarkozy

PARIS: Ils accusent Gérald Darmanin de "prendre position": un collectif d'avocats a porté plainte auprès de la Cour de justice de la République (CJR) contre le ministre de la Justice pour son soutien implicite à Nicolas Sarkozy, à qui il a rendu visite en prison.

Le garde des Sceaux a rencontré mercredi à la prison de la Santé à Paris l'ancien président de la République, un de ses mentors en politique.

Mais la plainte des avocats est née bien avant, juste après des déclarations de M. Darmanin sur France Inter le 20 octobre, à la veille de l'incarcération de M. Sarkozy.

En confiant ce jour-là sa "tristesse" après la condamnation de M. Sarkozy et en annonçant lui rendre prochainement visite en prison, ce qu'il a fait depuis, M. Darmanin a "nécessairement pris position dans une entreprise dont il a un pouvoir d'administration", stipule la plainte que l'AFP a pu consulter.

M. Darmanin indiquait qu'il irait "voir en prison" M. Sarkozy pour s'inquiéter "de ses conditions de sécurité". Et d'ajouter: "J'ai beaucoup de tristesse pour le président Sarkozy", "l'homme que je suis, j'ai été son collaborateur, ne peut pas être insensible à la détresse d'un homme".

Ce collectif d'une trentaine d'avocats se dit dans sa plainte, portée par Me Jérôme Karsenti, "particulièrement indigné par les déclarations du garde des Sceaux" faisant part "publiquement de sa compassion à l'égard de M. Sarkozy en soulignant les liens personnels qu'ils entretiennent".

En "s'exprimant publiquement quant à sa volonté de rendre visite à M. Sarkozy en détention" ainsi "qu'en lui apportant implicitement son soutien", M. Darmanin a "nécessairement pris position" dans une entreprise dont il a aussi "un pouvoir de surveillance en tant que supérieur hiérarchique du parquet", déroulent les plaignants.

Juridiquement, ce collectif d'avocats porte plainte contre M. Darmanin pour "prise illégale d'intérêts", via une jurisprudence considérant que "l'intérêt" peut "être moral et plus précisément amical".

"Préjudice" 

"Il ne fait pas de doute que cet intérêt est de nature à compromettre l'impartialité et l'objectivité de M. Darmanin qui, en tant que ministre de la Justice, ne peut prendre position de cette manière dans une affaire pendante", argumentent les avocats.

Condamné le 25 septembre à cinq ans d'emprisonnement dans le dossier libyen pour association de malfaiteurs, l'ancien président a depuis déposé une demande de remise en liberté, que la justice doit examiner dans les prochaines semaines, avant son procès en appel en 2026.

Les propos de M. Darmanin sur France Inter avaient déjà ému la magistrature. Le plus haut procureur de France, Rémy Heitz, y avait vu un "risque d'obstacle à la sérénité" et donc "d'atteinte à l'indépendance des magistrats".

"S'assurer de la sécurité d'un ancien président de la République en prison, fait sans précédent, n'atteint en rien à l'indépendance des magistrats mais relève du devoir de vigilance du chef d'administration que je suis", s'était déjà défendu M. Darmanin sur X.

Pour le collectif d'avocats, "les déclarations" du ministre de la Justice, "suivies" de sa "visite rendue à la prison de la Santé", sont "susceptibles de mettre à mal la confiance que les justiciables ont dans la justice et leurs auxiliaires", que sont notamment les avocats.

Les "agissements" de M. Darmanin leur causent "ainsi un préjudice d'exercice et d'image qui rend nécessaire le dépôt de cette plainte auprès de la commission des requêtes" de la CJR, peut-on encore lire dans la plainte.

La CJR est la seule juridiction habilitée à poursuivre et juger les membres du gouvernement pour les crimes et délits commis dans l'exercice de leurs fonctions.