PARIS: En dressant le portait d’Olfa Feki, on ne peut qu'être frappé par son extrême intelligence et son choix judicieux des mots. On en ressort grandi tant intellectuellement qu'humainement. Elle a en elle un profond altruisme, et cela se ressent dans les projets qu'elle entreprend.
Les voyages formateurs
Durant ses études d'architecture, Olfa Feki va, durant son temps libre, travailler en tant que fixeuse pour des photographes et artistes étrangers tels que la légende Joseph Koudelka, connu notamment pour ses photos magnifiques des ruines antiques du bassin méditerranéen, et le portraitiste Kehinde Wiley, venus tous deux en Tunisie peu de temps après la révolution. «Ces connexions m’ont permis de collaborer avec World Press et l’agence Magnum dans l’organisation d’ateliers éducatifs relatifs au domaine de la photographie. J'étais tombée amoureuse de la photo.»

C'est ainsi que sa carrière de commissaire d'exposition a commencé. Ce qui compte pour Olfa Feki, ce n'est pas seulement de choisir une thématique puis de la décortiquer en rassemblant des projets et en écrivant des textes éclairants, mais surtout de décloisonner les projets artistiques. «La manière de les présenter à une audience qui n'est pas habituée à aller voir des expositions est ce qui m'intéresse le plus. J'essaie de simplifier les textes, les présentations et la scénographie pour que ce soit accessible au plus grand monde. C'est ma petite touche.»
Cet amour particulier pour la photographie va l'amener à voyager et à assister à de nombreux festivals et expositions en Europe, dans un premier temps, puis en Afrique et au Moyen-Orient. «Je n'avais jamais pensé que le monde arabe m'intéresserait. Les possibilités qui s'ouvraient à moi étaient plus présentes en Europe. Mais j'ai eu un déclic lorsque j'ai voyagé en Égypte. J'avais une autre image de ce pays. C'est alors que j'ai décidé de visiter le monde arabe et des pays comme l'Arabie Saoudite ou le Maroc.»
Elle s'intéressera à la question du regard notamment lors de l’exposition de l’Institut du monde arabe (IMA) pour la deuxième Biennale des photographes du monde arabe en 2017. «Pour les Occidentaux, tous les pays arabes sont pareils. J'ai passé une bonne partie de ma carrière à montrer que c'est nous qui donnons aux Occidentaux cette image biaisée et statique qu'ils ont de nous.»
Olfa Feki nous éclaire sur un mouvement culturel qui s'intéresse de près à cette problématique en Tunisie. «Il y a une nouvelle génération d'artistes qui me donne beaucoup d'espoir. J'ai découvert ce mouvement qui est contre le système des marchés et des galeries qui n'exposent que des artistes confirmés et connus par peur de ne pas vendre. Ce mouvement ne s'intéresse pas à la vente, mais plutôt à montrer le regard de ces artistes sur le monde. J'ai toutefois peur qu'il y ait une coupure très franche entre ces deux générations.»
«Voyager m'a permis de découvrir un grand nombre de choses qui n'étaient pas présentes en Tunisie. Énormément de métiers artistiques très importants n'y sont pas reconnus. J'ai commencé à recenser toutes ces problématiques et à réfléchir à la façon dont on peut essayer de contribuer à trouver des solutions.»
Fondatrice d'une plate-forme éducative
Pour toutes ces raisons, elle a fondé Kerkennah 01, festival international de photographie et d'art visuel, qu'elle préfère présenter comme une plate-forme éducative et d'échange. Le choix du lieu est hautement symbolique. «Cette île représente parfaitement le marché culturel tunisien. Nous avons deux grandes îles en Tunisie: Djerba la privilégiée et Kerkennah l'oubliée. Tout comme l'art, cette île est oubliée et jugée peu importante.»
En 2016, elle y organise une grande résidence où elle invite dix commissaires d’exposition qui ne connaissent pas la Tunisie et qui n’ont pas de liens avec ce pays. «Nous avons construit le festival en nous basant sur l'étude des problématiques et des lacunes du marché de l'art tunisien. La problématique majeure était le copinage. J’ai décidé de ne faire que de la direction artistique.»
La première édition du festival s’est tenue en juin 2018. Les différents acteurs ont su répondre à certaines lacunes, comme l'absence de formation au métier de médiateur. Quinze élèves tunisiens issus des écoles d'art ont été ainsi formés au métier de médiateurs en travaillant en binôme avec les élèves de l’École internationale des métiers de la culture et du marché de l'art (Iesa) de Paris et sous la direction des professeurs de l'école parisienne. La spécificité de ce festival, et ce qui en fait son intérêt, c’est de proposer des événements éducationnels. Les artistes ont eu l'opportunité de rencontrer les commissaires d'exposition et de leur donner leur portfolio. «Cela n’existe pas en Tunisie où il est très difficile de montrer son travail. Ce qui m'intéresse, c’est que le festival puisse créer des connexions solides. Cela a été un franc succès.»
Olfa Feki n'a pas peur de relever les défis, notamment celui de revenir travailler en Tunisie après le succès de Kerkennah. Elle a accepté d'être la commissaire d'exposition du festival Jaou Photo, consacré à la thématique du corps et de sa représentation photographique, qui va avoir lieu courant 2022. Une excellente nouvelle pour les artistes tunisiens et étrangers!







