La guerre en Ukraine rebat les cartes à Vienne

Ned Price, porte-parole du Département d'Etat, déclare que la Russie ne pourra pas utiliser l'accord iranien pour échapper aux sanctions (Photo, AFP).
Ned Price, porte-parole du Département d'Etat, déclare que la Russie ne pourra pas utiliser l'accord iranien pour échapper aux sanctions (Photo, AFP).
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Publié le Mercredi 16 mars 2022

La guerre en Ukraine rebat les cartes à Vienne

La guerre en Ukraine rebat les cartes à Vienne
  • La communauté internationale se préparait à accueillir «l’évènement» qui marquerait le retour des États-Unis et de l’Iran à l’accord de 2015
  • Les Russes exigent qu’une clause soit ajoutée à l’accord final, visant à exempter les relations commerciales entre Moscou et Téhéran des sanctions occidentales

Il aura fallu une guerre d’une ampleur mondiale en Ukraine pour freiner la marche vers le retour à l’accord sur le nucléaire iranien. Pourtant c’est bien cette guerre qui risque de mettre en péril tous les efforts déployés par les partis concernés dans les pourparlers de qui se tiennent à Vienne depuis des mois. Dix jours plus tôt, Iraniens, Européens et Américains parlaient d’un accord imminent qui aurait pu intervenir dans les jours suivants. La communauté internationale se préparait à accueillir «l’évènement» qui marquerait le retour des États-Unis et de l’Iran à l’accord de 2015, ainsi qu’à l’avènement d’une nouvelle phase au niveau des rapport entre Téhéran et l’Occident.
Très vite après l’élection de Joe Biden, son administration, héritée en bonne partie de celle de l’ancien président Barack Obama, a pris ses distances des positons de l’administration de l’ex-président Donald Trump, lançant avec les partenaires européens (E3- France, Grande Bretagne, Allemagne) le processus d’un retour à la table des négociations avec pour but de relancer l’accord de 2015 (JCPOA) dont Trump s’était retiré en 2018. Dès son entrée à la Maison Blanche, Biden a lancé une politique d’ouverture non déclarée envers Téhéran. La milice houthie pro iranienne du Yémen avait été retirée de la liste des organisations terroristes annonçant une nouvelle phase d’apaisement avec le régime iranien. Cette phase tranchait cependant avec un regain de tension entre Washington et ses alliés traditionnels au Moyen-Orient, se voyant soumis à des pressions exercées par l’administration à plusieurs niveaux. Les conseils de Biden sur le dossier iranien avaient misé sur l’ancien président iranien Hassan Rouhani et son ministre des Affaires étrangères Mohammed Jawad Zarif, pensant que cette ouverture aurait pour conséquence de favoriser le choix par le guide Ali Khamenei soutenu par l’alliance des religieux et des militaires, d’un successeur à Rouhani à la présidence qui serait issu du camp des réformateurs. C’est bien le contraire qui s’est produit. Ebrahim Raïssi, figure emblématique du camp des conservateurs radicaux a été élu le 18 juin dernier. Il faudra attendre environ cinq mois pour relancer les pourparlers à Vienne. Ces derniers ont été houleux et les exigences iraniennes ont semblé irréalistes, Téhéran demandant la levée de toutes les sanctions américaines sans exceptions. Quatre mois plus tard alors que l’Occident se prépare à une crise majeure en Europe du fait du dossier ukrainien, Washington accepte de lever une grande partie des sanctions qui n’étaient pas reliées au programme nucléaire.


La guerre en Ukraine aura raison d’un mauvais accord qui était sur le point d’être signé
Ali Hamade


C’est une victoire pour Téhéran qui réussit avec l’appui des Européens, pressés de réussir à faire accepter les américains de retirer le guide Ali Khamenei et plusieurs dignitaires, ainsi que les brigades des «gardiens de la révolution» tous sanctionnés pour des atteintes aux droits de l’homme et pour des actes terroristes. Début mars, on annonçait dans les chancelleries européennes que l’accord était imminent. Le conseiller du président Biden pour l’Iran, Robert Malley se réjouissait déjà de cette percée majeure dans les pourparlers qui scellerait un accord pourtant jugé par beaucoup d’observateurs comme étant trop complaisant vis-à-vis de Téhéran car ne prolongeant pas la durée initiale de l’accord, dont maintes dispositions viendraient à terme en 2025, tout en  donnant à l’Iran la possibilité de libérer des dizaines de milliards de dollars gelés dans les banques étrangères, et surtout d’accéder au marché du pétrole à un moment de crise mondiale aiguë.
Tout était prêt pour l’acte final, or les Russes alliés de l’Iran lui mettent des bâtons dans les roues: ils exigent qu’une clause soit ajoutée à l’accord final, visant à exempter les relations commerciales entre Moscou et Téhéran des sanctions occidentales prises à l’encontre de la Russie en réponse à l’invasion de l’Ukraine. Les Iraniens tombent des nues. Ils font allusion à des «interférences étrangères» qui menaceraient la conclusion de l’accord. Mais très vite, les pressions moscovites étoufferont les plaintes à peine camouflées des Iraniens. L’Occident ne pourra pas faire de concession en pleine confrontation avec la Russie. Tout le monde finira par plier bagages et quitter Vienne. La guerre en Ukraine aura raison d’un mauvais accord qui était sur le point d’être signé. À court terme, les exigences de Moscou joueront à la défaveur de Téhéran, pressée de libérer ses fonds gelés, et de mettre à disposition 100 millions de barils de pétrole de ses réserves prêtes à l’exportation pour compenser le manque d’approvisionnement actuel. Mais à long terme, elle profitera aux Iraniens qui jouiront d’un temps supplémentaire à l’abris des restrictions d’un accord afin d’avancer dans leur programme nucléaire militaire qui avait fait ces dernières années un grand bond. L’Iran se rangera derrière ses alliés sûrs; Moscou et Pékin. Les cartes sont ainsi rebattues.

Ali Hamade est journaliste éditorialiste au journal Annahar, au Liban.
Twitter: @AliNahar
NDLR: Les opinions exprimées dans cette rubrique par leurs auteurs sont personnelles, et ne reflètent pas nécessairement le point de vue d’Arab News.