Le producteur égyptien Mohammed Hefzy parle de controverse, de Suits Arabia et d’optimisme

M. Hefzy a joué un rôle considérable dans le développement de l’industrie cinématographique arabe. (Photo fournie)
M. Hefzy a joué un rôle considérable dans le développement de l’industrie cinématographique arabe. (Photo fournie)
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Publié le Vendredi 08 avril 2022

Le producteur égyptien Mohammed Hefzy parle de controverse, de Suits Arabia et d’optimisme

  • Le producteur et scénariste égyptien est à l’origine de plusieurs des films et séries les plus médiatisés du Moyen-Orient sortis ces deux dernières années
  • «Je sais que je ne serai jamais le genre de cinéaste qui fait ce qui plaira à tout le monde, mais j’ai beaucoup d’espoir pour l'avenir. Restons optimistes», explique le producteur à Arab News

DUBAÏ: Personne ne fait parler la région comme le producteur de cinéma Mohammed Hefzy. Grâce à sa société Film Clinic, M. Hefzy a joué un rôle considérable dans le développement de l’industrie cinématographique arabe, en offrant un refuge aux cinéastes visionnaires et enthousiastes et en veillant à ce que leurs voix soient entendues dans le monde entier.

Aujourd’hui, en tant que scénariste de la nouvelle série la plus attendue du ramadan, Suits Arabia, le producteur utilise sa propre voix pour insuffler une nouvelle vie à l’une des séries télévisées américaines les plus populaires de la dernière décennie.

«Soyons clairs: il ne s’agit pas d’une adaptation exacte», explique M. Hefzy à Arab News. «Nous avons essayé de rester très fidèles à la série originale, car elle fonctionne vraiment bien, et on ne change pas une équipe qui gagne. Mais en même temps, elle a une âme qui lui est propre.»

«Une bonne adaptation doit se suffire à elle-même pour devenir une série à succès. Et c’est ce que nous avons essayé de faire», poursuit M. Hefzy. «Avec Suits, nous devions maintenir la dynamique de base entre les personnages, tout en étant culturellement fidèles à l’Égypte. C’était un énorme défi, et il fallait s’entourer des bonnes personnes pour le relever.»

Mohammed Hefzy est le scénariste de la nouvelle série la plus attendue du ramadan, Suits Arabia (Photo fournie)
Mohammed Hefzy est le scénariste de la nouvelle série la plus attendue du ramadan, Suits Arabia (Photo fournie)

Bien que la série Suits Arabia n’ait été annoncée que récemment, son parcours pour devenir la pièce principale du programme du ramadan 2022 d’OSN+ a commencé il y a plus de trois ans, lorsque le producteur a été contacté par Tarek el-Ganainy, PDG de TVision Media Productions, pour écrire.

Bien que M. Hefzy ait d’abord tenté de refuser le projet, en raison de son emploi du temps chargé en tant que producteur prolifique et directeur du Festival international du film du Caire, le charme de Suits s’est avéré trop fort. Cette série raconte l’histoire d’un homme qui ment pour obtenir un emploi dans un cabinet d’avocats grâce à sa mémoire photographique et d’un avocat impitoyable qui devient son plus proche allié.

«La série a vraiment beaucoup de bonnes idées. Elle est très bien construite, pleine de dialogues rapides, drôles et vraiment géniaux. Je savais que pour faire cela en Égypte, il faudrait faire preuve d’une grande habileté, tout en proposant des personnages remarquables qui, je le savais, pourraient être transposés d’une culture à l’autre. C’est ce qui distingue Suits de beaucoup d’autres séries», souligne M. Hefzy.

Les scénaristes ont finalement choisi Asser Yassin pour le rôle de Harvey et Ahmed Dawoud pour celui de Mike. (Photo fournie)
Les scénaristes ont finalement choisi Asser Yassin pour le rôle de Harvey et Ahmed Dawoud pour celui de Mike. (Photo fournie)

La série a été marquée par un certain nombre de faux départs en coulisses, plusieurs grandes stars ayant signé et abandonné le projet en cours de développement, révèle M. Hefzy. Les auteurs-producteurs ont finalement choisi un noyau dur d’acteurs composé d’Asser Yassin (Harvey), Ahmed Dawoud (Mike), Saba Moubarak (Jessica), Rim Mostafa (Donna), Tara Emad (Rachel) et Mohammed Shahin (Louis). Pour M. Hefzy, ce groupe incarne parfaitement chaque personnage emblématique. Cependant, il a dû lui-même se retirer de l’écriture de la dernière série d’épisodes en raison de retards et confier le bureau d’écriture qu’il avait constitué à Yasser Abdel Magid.

S’il attribue une grande partie du mérite aux autres voix de la série, son empreinte est omniprésente dans Suits Arabia, d’autant plus qu’il a dû préparer le terrain pour s’adapter aux particularités juridiques de l’Égypte moderne, en veillant à ce qu’une série souvent très axée sur les détails juridiques s’adapte à sa culture d’adoption.

«Cela a demandé beaucoup de recherches, pour être honnête», confie M. Hefzy. Avec autant de projets en cours, le producteur a rarement le temps de réfléchir à son extraordinaire carrière. Outre Suits Arabia, Mohammed Hefzy travaille sur de nombreux projets de télévision et de cinéma, dont certains finiront probablement au Festival de Cannes ou sur la plus grande plate-forme de streaming du monde.

Mohammed Hefzy a produit le film Feathers. (Photo fournie)
Mohammed Hefzy a produit le film Feathers. (Photo fournie)

Néanmoins, avec un peu de prudence, M. Hefzy s’est confié sur la façon dont, au milieu des années 2000, son parcours d’écrivain l’a amené à devenir le producteur le plus important de la région, l’homme à l’origine de nombreux films et séries très médiatisés produits au cours des douze derniers mois, notamment Feathers, Amira, Le salon de Hoda, Souad, l’adaptation en arabe de Perfect Strangers et Bimbo de MBC. Personne ne voulait réaliser le genre de films qu’il produit maintenant.

«Je commençais à m’ennuyer un peu. À ce moment-là, même si cela ne faisait que cinq ans que j’écrivais, rédiger des scénarios pour des stars et créer ces véhicules pour des acteurs qui contrôlaient tout le processus créatif ne m’intéressait plus. La seule chose qui me protégeait était de travailler avec de grands réalisateurs qui avaient leur propre personnalité», explique M. Hefzy.

Lorsqu’il a fondé Film Clinic pour aider à former la prochaine génération de talents et fournir des conseils sur des projets existants, sa réputation a pris de l’ampleur, tout comme la confiance que les réalisateurs et les principaux financiers avaient en lui et son équipe. Après un faux départ comme agence de gestion de talents, M. Hefzy et Film Clinic se sont directement impliqués dans la production, ce qui a donné lieu à une série de succès continus.

Mohammed Hefzy assiste à la première du Salon de Hoda lors du Festival international du film de la mer Rouge. (Getty)
Mohammed Hefzy assiste à la première du Salon de Hoda lors du Festival international du film de la mer Rouge. (Getty)

«J’ai aujourd’hui la chance de pouvoir travailler avec certains des meilleurs talents d’Égypte. Film Clinic est aujourd’hui le premier endroit où ces talents viennent frapper à la porte, ce qui est vraiment un privilège», indique M. Hefzy. Cependant, il y a un prix à payer pour faire des films qui remettent en cause le statu quo et donner du pouvoir aux cinéastes qui souhaitent inspirer un véritable changement sociétal. Hefzy a payé ce prix. Au cours de l’année écoulée, notamment, nombre des films qu’il a produits ont suscité une réaction négative de la part de certains milieux en Égypte et dans la région.

Le film Perfect Strangers de Wissam Smayra, par exemple, a suscité tellement de protestations de la part de dirigeants et de groupes socialement conservateurs que le débat a attiré l’attention du Washington Post et du New York Times, qui couvrent rarement la scène cinématographique arabe. Le film Amira de Mohammed Diab a été contraint de retirer sa candidature aux Oscars. Certains acteurs égyptiens ont quitté en trombe la projection de Feathers d’Omar el-Zohairy en raison de sa description brutale de la société égyptienne rurale. Soyons clairs: la controverse est une chose que M. Hefzy n’a ni souhaitée ni voulue.

Mohammed Hefzy a produit l’adaptation en langue arabe de Perfect Strangers. (Photo fournie)
Mohammed Hefzy a produit l’adaptation en langue arabe de Perfect Strangers. (Photo fournie)

«Je pense que la situation devient plus difficile pour les cinéastes indépendants. On a certainement l’impression qu’il y a plus de restrictions», dit-il. Cette expérience a incité M. Hefzy à s’interroger sur le type d’équilibre qu’il doit trouver dans ses projets, d’autant plus que certaines réactions lui ont été directement adressées.

«Je suis désormais habitué à ce qu’il y ait toujours beaucoup d’opinions contradictoires et de voix fortes sur les réseaux sociaux et dans les médias en général en Égypte», lance-t-il. «De plus, l’opinion publique égyptienne est devenue tellement divisée qu’il est impossible de plaire à tout le monde. Mais je n’en ferai pas abstraction; je dois rester prudent et vigilant, et je dois être capable de prévoir les réactions.»

Néanmoins, son engagement envers les vrais cinéastes et leurs voix persiste, car c’est la raison pour laquelle il a commencé ce parcours, et sa principale motivation pour le poursuivre. «Je sais que je ne serai jamais le genre de cinéaste qui fait ce qui plaira à tout le monde sans adhérer au sujet principal et au point de vue du réalisateur. J’ai tellement d’espoir pour l'avenir», dit M. Hefzy. «Alors, restons optimistes.»

 

Ce texte est la traduction d’un article paru sur Arabnews.com


Pour Liam Cunningham, star de « Game of Thrones », le monde « n'oubliera pas » ceux qui sont restés silencieux sur Gaza

L'acteur irlandais Liam Cunningham a déclaré que le public « n'oubliera pas » ceux qui n'ont pas exprimé leur soutien aux Palestiniens pendant le conflit entre Israël et le Hamas à Gaza. (AP/File Photo)
L'acteur irlandais Liam Cunningham a déclaré que le public « n'oubliera pas » ceux qui n'ont pas exprimé leur soutien aux Palestiniens pendant le conflit entre Israël et le Hamas à Gaza. (AP/File Photo)
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  • L'Irlandais est un ardent défenseur de la cause palestinienne depuis des décennies
  • « Ce qui me préoccupe, c'est que les personnes qui se sentent concernées et qui ne font rien sont, à mon avis, pires que celles qui ne se sentent pas concernées », a-t-il déclaré

LONDRES : L'acteur irlandais Liam Cunningham a déclaré que le public « n'oubliera pas » ceux qui n'ont pas exprimé leur soutien aux Palestiniens pendant le conflit actuel entre Israël et le Hamas à Gaza.

La star de « Game of Thrones » est un fervent défenseur des causes palestiniennes depuis des décennies. Lors d'une manifestation à Dublin menée par l'Irlando-Palestinien Ahmed Alagha, qui a perdu 44 membres de sa famille dans le récent assaut israélien contre Gaza, Cunningham a déclaré qu'il avait été félicité par ses pairs dans le passé pour son activisme.

« Ce qui me préoccupe, c'est que les personnes qui se sentent concernées et qui ne font rien sont, à mon avis, pires que celles qui ne se sentent pas concernées », a-t-il déclaré.

On a demandé à Cunningham s'il avait parlé à d'autres acteurs pour les convaincre de soutenir la cause palestinienne, mais il a répondu en disant qu'il ne pouvait répondre des autres, a rapporté The Independent.

Il a toutefois ajouté : « Internet n'oublie pas. Lorsque cela se produira, lorsque la CIJ (Cour internationale de justice) et la CPI (Cour pénale internationale) feront, je l'espère, leur travail honorablement, cela se saura », a-t-il déclaré.

« Et les gens qui n'ont pas parlé ne seront pas oubliés. Ce génocide est retransmis en direct et il n'est pas possible de dire que l'on ne savait pas. Vous saviez. Et vous n'avez rien fait. Vous êtes restés silencieux. Je dois pouvoir me regarder dans le miroir, et c'est pourquoi je parle », a-t-il ajouté.

Un mois après qu'Israël a lancé son assaut sur Gaza en réponse aux incursions du Hamas sur le territoire israélien, le 7 octobre, qui ont fait près de 1 200 morts et quelque 250 otages, Cunningham a déclaré que, pour les Irlandais, ignorer le traitement réservé aux Palestiniens reviendrait à « trahir » leur histoire.

« Si nous nous permettons d'accepter ce comportement, alors nous acceptons que cela nous arrive », avait-il déclaré à l'époque. « Nous devons défendre des normes. Nous devons défendre le droit international et cela nous réduit en tant qu'êtres humains si nous ne le faisons pas ».

L'assaut israélien sur Gaza a tué plus de 34 000 Palestiniens, dont environ deux tiers d'enfants et de femmes, selon les autorités sanitaires de l'enclave dirigées par le Hamas.

Ce texte est la traduction d'un article paru sur Arabnews.com


Le pape François à Venise, son premier déplacement en sept mois

Le pape François salue lors d'une audience avec des pèlerins hongrois dans la salle Paul VI du Vatican, le 25 avril 2024 (Photo, AFP).
Le pape François salue lors d'une audience avec des pèlerins hongrois dans la salle Paul VI du Vatican, le 25 avril 2024 (Photo, AFP).
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  • En se rendant à Venise pour la première fois depuis son élection en 2013, le pape entend d'abord rassurer sur sa capacité à assurer son ministère
  • Depuis sa visite à Marseille en septembre 2023, Jorge Bergoglio n'a plus voyagé

VATICAN: Le pape François, 87 ans, est attendu dimanche à Venise pour une visite éclair, son premier déplacement hors de Rome en sept mois en raison de son état de santé précaire.

Depuis sa visite à Marseille en septembre 2023, Jorge Bergoglio n'a plus voyagé. Une bronchite l'a contraint à annuler son voyage à Dubaï en décembre et son état général, de plus en plus fragile, à éviter les déplacements.

En se rendant à Venise pour la première fois depuis son élection en 2013, le pape entend d'abord rassurer sur sa capacité à assurer son ministère, quelques semaines après les inquiétudes suscitées par son accès de fatigue au moment des fêtes de Pâques.

François doit arriver en hélicoptère à 08H00 (06H00 GMT) à la prison pour femmes de l'île de la Giudecca, qui abrite le pavillon du Saint-Siège à la 60e Biennale d'art contemporain de Venise.

Dans cet ancien couvent qui accueille des femmes condamnées à de longues peines, l'évêque de Rome, sensible à la place des marginalisés, rencontrera les 80 détenues et visitera l'exposition qu'elles ont montée aux côtés de dix artistes.

A l'écart des projecteurs et de la foule, le pavillon du Saint-Siège est l'un des plus en vue de la prestigieuse manifestation d'art et propose aux visiteurs une expérience immersive et déroutante, où les œuvres côtoient les barbelés.

"Ce sera un moment historique puisqu'il sera le premier pape à visiter la Biennale de Venise", a estimé le conservateur de l'exposition, le cardinal portugais José Tolentino de Mendonça, lors d'une conférence de presse.

Cela "démontre clairement la volonté de l'Eglise de consolider un dialogue fructueux et étroit avec le monde des arts et de la culture".

Messe place Saint-Marc 

Chiara Parisi, commissaire de l'exposition, a souligné "l'émerveillement" et "l'espérance" des détenues vis-à-vis de cette visite.

"Le pape agit au-delà de la parole" en se déplaçant auprès d'elles, des "personnes qui ont à cœur de jouer un rôle même quand elles sont dans une situation très dure", a-t-elle déclaré à l'AFP.

Le pape s'exprimera ensuite devant des jeunes à 10H00 (08H00 GMT) devant l'emblématique basilique Santa Maria della Salute, dont le dôme majestueux domine l'entrée sud du Grand Canal, à deux pas de la place Saint-Marc.

Après avoir rejoint la célèbre place grâce à un pont éphémère, il présidera une grande messe à 11H00 (09H00 GMT) en présence de nombreux responsables politiques et religieux. Il quittera la Lagune en début d'après-midi pour rentrer au Vatican.

Après Paul VI (1972), Jean-Paul II (1985) et Benoit XVI (2011), François est le quatrième pape à se rendre dans la Cité des Doges.

L'histoire de la Sérénissime est étroitement liée à celle de la papauté. Au XXe siècle, trois patriarches de Venise sont devenus papes.

Le diocèse de Venise est un des plus grands de la péninsule avec 125 paroisses. Venise est en outre l'un des rares patriarcats de l'Eglise latine.

La visite du pape intervient le week-end d'introduction d'une entrée payante de cinq euros pour les touristes à la journée: en tant qu'invité, il devrait en être exempté, mais les pèlerins non résidents y seront soumis.

Après ce déplacement, le jésuite argentin doit effectuer deux autres voyages dans le nord de l'Italie, à Vérone en mai et à Trieste en juillet.

Cette visite intervient aussi alors que le Vatican vient d'officialiser une ambitieuse tournée papale aux confins de l'Asie et de l'Océanie en septembre (Indonésie, Papouasie-Nouvelle-Guinée, Timor oriental et Singapour), le plus long voyage de son pontificat, qui s'annonce comme un ambitieux défi sur le plan physique.


Tanger, le «havre de liberté» des grands noms du jazz

Abdellah El Gourd, légende marocaine de la musique gnawa âgée de 77 ans, pose pour une photo dans la vieille ville de Tanger le 23 avril 2024 (Photo, AFP).
Abdellah El Gourd, légende marocaine de la musique gnawa âgée de 77 ans, pose pour une photo dans la vieille ville de Tanger le 23 avril 2024 (Photo, AFP).
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  • Cette année, la cité, bordée par la Méditerranée et l'Atlantique, a été désignée ville-hôte de la Journée internationale du jazz, par l'Unesco
  • Randy Weston et Abdellah El Gourd vont de leur côté repousser les limites de la création, devenant les précurseurs de la fusion entre sonorités jazz et gnaoua

TANGER: Au siècle dernier, Randy Weston, Idrees Sulieman ou Max Roach ont traversé l'Atlantique pour découvrir Tanger, devenue le repère des grands jazzmen américains. Un héritage qui sera célébré mardi dans la métropole du nord du Maroc, lors de la Journée internationale du jazz.

"La ville a eu un pouvoir d'attraction fascinant sur une vague d'intellectuels et musiciens. Ce n'est pas pour rien qu'un écrivain disait qu'il y avait toujours un paquebot qui chauffait à New York en partance pour Tanger", explique à l'AFP Philippe Lorin, fondateur d'un festival de jazz dans la grande ville portuaire.

Cette année, la cité, bordée par la Méditerranée et l'Atlantique, a été désignée ville-hôte de la Journée internationale du jazz, par l'Unesco. A partir de samedi, elle abrite des conférences et spectacles en plein air qui culmineront dans un grand concert mondial avec le pianiste Herbie Hancock et les bassistes Marcus Miller et Richard Bona ou le guitariste Romero Lubambo.

Le cosmopolitisme de Tanger puise ses racines dans son statut d'ancienne zone internationale, administrée par plusieurs puissances coloniales de 1923 jusqu'en 1956 quand le Maroc a pris son indépendance.

Son rayonnement a été alimenté par le passage d'écrivains et poètes du mouvement littéraire de la "beat generation" mais aussi de jazzmen afro-américains "en quête de leurs racines africaines", souligne l'historien Farid Bahri, auteur de "Tanger, une histoire-monde du Maroc".

"Tanger était un havre de liberté comme l'est la musique jazz", note M. Lorin.

Weston débarque à Tanger 

"La présence des musiciens américains à Tanger était également liée à une diplomatie américaine très active", complète l'historien marocain.

Le célèbre pianiste Randy Weston a posé ses valises durant cinq ans à Tanger après une tournée dans 14 pays africains en 1967, organisée par le département d'Etat américain.

Le virtuose de Brooklyn a joué un rôle déterminant dans la construction du mythe de la ville du détroit, à laquelle il a dédié son album "Tanjah" (1973).

"Randy était un homme d'exception aimable et respectueux, il a beaucoup donné à la ville et ses musiciens", confie à l'AFP Abdellah El Gourd, un maître gnaoua (musique spirituelle originaire d'Afrique de l'ouest, introduite par les descendants d'esclaves), ami et collaborateur du pianiste américain décédé en 2018.

Un autre moment charnière de cette épopée est l'enregistrement en 1959 d'une session musicale avec le vénérable trompettiste Idrees Sulieman, le pianiste Oscar Dennard, le contrebassiste Jamil Nasser et le batteur Buster Smith au studio de la Radio Tanger International (RTI) à l'invitation de Jacques Muyal.

Ce Tangérois d'à peine 18 ans, animateur d'une émission de jazz sur RTI, produit alors, avec les moyens du bord et sans le savoir, un album de référence qui circulera dans les cercles de jazz avant son édition sous le titre "The 4 American Jazzmen In Tangier" en 2017.

«Expérience unique»

Randy Weston et Abdellah El Gourd vont de leur côté repousser les limites de la création, devenant les précurseurs de la fusion entre sonorités jazz et gnaoua.

"La barrière de la langue n'a jamais été un problème car notre communication se faisait à travers les gammes. Notre langage était la musique", raconte M. El Gourd, dans une salle de répétition aux murs tapissés de photos souvenirs de tournées internationales notamment avec Weston et le saxophoniste Archie Shepp.

Une longue collaboration qui donnera naissance 25 ans plus tard à l'album "The Splendid Master Gnawa Musicians of Morocco" (1992).

En 1969, le pianiste américain décide d'ouvrir un club de jazz baptisé "African Rythms Club" au-dessus du célèbre cinéma Mauritania.

"On répétait là-bas, Randy y invitait ses amis musiciens. C'était une belle époque", se remémore le maâlem (maître) de 77 ans qui a parcouru le monde aux côtés de Weston.

Puis en 1972, l'Américain se lance dans la folle aventure d'organiser un premier festival de jazz à Tanger avec des invités de marques dont le percussionniste Max Roach, le flûtiste Hubert Laws, le contrebassiste Ahmed Abdul-Malik, le saxophoniste Dexter Gordon mais aussi Abdellah El Gourd.

"C'était une expérience assez unique car c'était la première fois qu'on jouait devant un public aussi nombreux", se souvient le musicien, jusqu'alors habitué aux performances gnaouas réservées à l'époque à des cercles restreints.

L'expérience ne durera qu'une seule édition mais inspirera Philippe Lorin pour créer, près de trois décennies plus tard, le festival Tanjazz, organisé chaque année en septembre.