BCE: veillée d'armes avant la sortie annoncée des taux négatifs

 La directrice générale du Fonds monétaire international, Christine Lagarde, s'exprime à la Brookings Institution le 12 avril 2012 à Washington, DC. (Photo de CHIP SOMODEVILLA / GETTY IMAGES NORTH AMERICA / Getty Images via AFP)
La directrice générale du Fonds monétaire international, Christine Lagarde, s'exprime à la Brookings Institution le 12 avril 2012 à Washington, DC. (Photo de CHIP SOMODEVILLA / GETTY IMAGES NORTH AMERICA / Getty Images via AFP)
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Publié le Lundi 06 juin 2022

BCE: veillée d'armes avant la sortie annoncée des taux négatifs

  • Ce contexte d'incertitude place la BCE devant un choix cornélien. Ne pas relever les taux risquerait d'alimenter un peu plus les tendances inflationnistes
  • Les relever trop vite pourrait précipiter la récession, en pesant sur la capacité d'emprunt des ménages et des entreprises

FRANCFORT : Le choc d'inflation a eu raison du soutien à l'économie : la Banque centrale européenne va préparer le terrain jeudi à la sortie de sa politique controversée de taux négatifs, en commençant par remballer son dernier outil de rachat de dettes.

La réunion du Conseil des gouverneurs, exceptionnellement délocalisée à Amsterdam, devrait amorcer un tournant historique après des années de politique d'argent pas cher et abondant.

Certes minoritaires dans les instances de décision de la BCE, les "faucons", partisans d'un resserrement des vannes du crédit, ont réussi ces derniers temps à imposer leur vue sur la nécessité d'agir avec détermination contre la forte inflation.

Le moment choisi est grave, en pleine flambée des prix aggravée par la guerre en Ukraine et qui grignote le pouvoir d'achat, sur fond de croissance atone, en France comme en Allemagne.

Ce contexte d'incertitude place la BCE devant un choix cornélien. Ne pas relever les taux risquerait d'alimenter un peu plus les tendances inflationnistes, notamment via les revalorisations salariales.

Les relever trop vite pourrait précipiter la récession, en pesant sur la capacité d'emprunt des ménages et des entreprises.

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Évolution des taux de refinancement et de dépôt de la Banque centrale européenne depuis 2008 / AFP / Patricio ARANA AND Paz PIZARRO

Même si le choc d'inflation n'a pas la même intensité dans tous les pays de la zone euro, l'unanimité entre gouverneurs de banques centrales s'est faite pour ressortir l'arme des taux d'intérêt.

Impossible de rester les bras croisés face à une inflation qui a atteint 8,1% sur un an en mai en zone euro. Du jamais vu depuis l'instauration de la monnaie unique et un niveau quatre fois supérieur à l'objectif de la BCE fixé à 2%.

Le débat ne porte désormais que sur l'amplitude du cycle de hausse, alors que les taux n'ont pas été augmentés depuis 2011.

Fin du «QE» en juillet

D'autres banques centrales confrontées à une forte inflation, la Fed américaine et la Banque d'Angleterre, ont déjà engagé un cycle de hausse des taux.

Côté BCE, la communication fin mai de la présidente Christine Lagarde a clarifié les intentions de l'institut.

Dans une tribune remarquée, la Française a estimé "approprié que la politique (monétaire, ndlr) revienne à des paramètres plus normaux" face à une inflation appelée à durer.

Elle a aussi dessiné la feuille de route des mois à venir.

La réunion de jeudi devrait acter la fin "au début du troisième trimestre", soit début juillet, des rachats nets de dette sur le marché, a-t-elle écrit.

Cette arme non conventionnelle utilisée à partir de 2015 n'a plus de raison de durer. En achetant des actifs (notamment des titres de dette publique) sur les marchés, la BCE a maintenu ces derniers années des taux d'intérêt plancher, permettant aux ménages, entreprises et États de se financer à de bonnes conditions.

L'acte deux de la normalisation interviendra en juillet pour décider la fin des taux d'intérêt négatifs "d'ici la fin du troisième trimestre", a ajouté l'ancienne ministre française de l'Économie.

Selon cette politique entamée en 2014 et qui a suscité des flots de critiques, en Allemagne surtout, les banques sont taxée - de -0,5% à ce jour -  sur leurs dépôts confiés aux banques centrales, afin de les inciter à les distribuer en crédits.

Taux : quel rythme de hausse ?

Pour ramener ce taux à zéro, une hausse de 0,25% en juillet suivie d'une autre de 0,25% en septembre est le scénario de "référence" selon Philip Lane, chef économiste de la BCE, dont la voix pèse dans la discussion.

Certains "faucons" verraient bien la BCE frapper plus fort d'entrée, avec une hausse des taux de 50 points de base dès juillet.

En tout état de cause, les nouvelles prévisions économiques publiées jeudi, en prenant en compte la guerre en Ukraine, aideront pour définir la tonalité du revirement monétaire.

L'Europe, plus exposée aux conséquences de la guerre en Ukraine, a une "très forte probabilité" d'entrer en "récession", a averti Jane Fraser, patronne de la banque américaine Citigroup, à Francfort.

Une récession "gérable" selon elle, car non structurelle. La BCE a raison de relever ses taux, a-t-elle ajouté, pour empêcher que l'inflation ne se "transforme en spirale" entre prix et salaires.

De la déflation au choc énergétique: le grand écart de la BCE

L'actuelle flambée des prix en zone euro, aggravée par la guerre en Ukraine, contraint la Banque centrale européenne à accélérer le retrait de ses soutiens à l'économie, en planifiant une hausse de ses taux, probablement cet été.

Il y a moins de dix ans, l'institut de Francfort avait dû employer les grands moyens pour éloigner le spectre de la déflation. Il doit désormais tenter de ramener l'inflation dans la cible visée de 2%, un pari non sans risques.

La bataille contre la déflation

En 2014, la courbe des prix est désespérément plate, flirtant avec la déflation, un poison pour l'économie car cela perturbe les comportements des consommateurs et des entreprises.

La BCE décide donc début 2015 un "assouplissement quantitatif" à l'américaine, une politique monétaire par laquelle une banque centrale rachète massivement de la dette publique ou d'autres actifs financiers afin d'injecter de l'argent dans l'économie.

Face à la pandémie de coronavirus, elle renforce encore son intervention: un nouveau bazooka, le "programme de rachat d'urgence face à la pandémie" (PEPP), a ainsi permis de mars 2020 à mars 2022 d'injecter 1 850 milliards d'euros pour racheter de la dette.

Depuis 2014, ce sont plus de 5 000 milliards de dettes d'États et d'entreprises qui ont été ramassés sur les marchés par la BCE. Ce montant colossal a permis d'abaisser les coûts d'emprunt, pour relancer la consommation et les investissements.

Mais ces mesures n'ont que marginalement agi sur les prix, la BCE voyant toujours lui échapper son objectif de 2%. Jusqu'à ce que la guerre en Ukraine ne change radicalement la donne.

Que faire face au nouveau choc d'inflation ?

Longtemps la BCE a jugé temporaire la remontée d'inflation liée aux perturbations des chaînes d'approvisionnement, au moment où l'économie repartait après le choc du Covid-19.

Mais l'invasion russe de l'Ukraine a aggravé le phénomène tout en le généralisant: à la flambée des tarifs de l'énergie s'ajoute celle des prix alimentaires, sur lesquels la BCE n'a pas d'influence.

Malgré tout, il est acquis qu'une hausse des taux d'intérêt va démarrer cet été, avec la sortie de l'ère des taux négatifs prévue en septembre.

Cela va renchérir le crédit, la BCE espérant que cela abaisse les pressions inflationnistes, alors que l'agrégat en zone euro évolue à un niveau record supérieur à 8% sur un an en mai.

Si les attentes d'inflation se stabilisent à 2% sur le moyen terme, cela permettra à la BCE d'évoluer vers ce qu'on appelle le taux d'intérêt neutre, parfois appelé taux d'intérêt naturel: il est censé soutenir l'économie sans créer de surchauffe sur les prix.

Les niveaux de taux naturel, obtenus en soustrayant l'inflation du taux nominal "devraient être proches de zéro, même négatifs selon de nombreux calculs", a récemment expliqué Philip Lane, chef économiste de la BCE.

En d'autres termes, pour une inflation attendue à 2%, le taux nominal fixé par la BCE devrait se situer entre 0% et 2%.

Voilà pour la théorie. Car le succès de cette feuille de route "dépendra de la guerre en Ukraine, de la volatilité du marché obligataire en périphérie, des changements dans l'impulsion budgétaire des États et du rythme du resserrement de la Fed américaine", explique Frederik Ducrozet, chef économiste chez Pictet Wealth Management.

Quels sont les risques pour les pays fragiles ?

La BCE veut stopper en juillet son dernier programme de rachat d'actifs encore en vigueur, tout en pariant que cela ne dégradera pas les conditions financières en zone euro.

L'écart entre les rendements des obligations d'État de pays très endettés, comme l'Italie, et ceux de l'Allemagne servant de référence, s'est récemment creusé mais reste éloigné des niveaux ayant enclenché la crise de la dette des années 2010.

Certains mettent néanmoins en garde contre le risque de voir un nouveau déséquilibre en zone euro si les pays les plus endettés commencent à inquiéter les investisseurs et les marchés.

Si les tensions devaient s'accentuer, la BCE a déjà évoqué la possibilité de mettre en place un "instrument anti-fragmentation", qu'elle n'a pas détaillé.

A condition, prévient Gilles Moec, chef économiste chez AXA, qu'un "accord politique au conseil des gouverneurs sur sa définition puisse être trouvé."


Kering vend sa beauté à L'Oréal pour se relancer

Le groupe français de luxe Kering, malmené depuis plusieurs années, vend sa division beauté à son compatriote L'Oréal pour 4 milliards d'euros, ce qui devrait lui permettre de réduire son endettement et continuer son redressement. (AFP)
Le groupe français de luxe Kering, malmené depuis plusieurs années, vend sa division beauté à son compatriote L'Oréal pour 4 milliards d'euros, ce qui devrait lui permettre de réduire son endettement et continuer son redressement. (AFP)
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  • L'information avait été dévoilée samedi par le Wall Street Journal: Kering cède au numéro un mondial des cosmétiques L'Oréal sa division beauté, créée en 2023 avec notamment l'achat de la marque de parfums de luxe Creed pour 3,5 milliards de dollars
  • La cession, annoncée dans la nuit de dimanche à lundi, est saluée par les marchés à l'ouverture de la Bourse de Paris lundi, où l'action Kering gagnait plus de 5% dans les premiers échanges

PARIS: Le groupe français de luxe Kering, malmené depuis plusieurs années, vend sa division beauté à son compatriote L'Oréal pour 4 milliards d'euros, ce qui devrait lui permettre de réduire son endettement et continuer son redressement.

L'information avait été dévoilée samedi par le Wall Street Journal: Kering cède au numéro un mondial des cosmétiques L'Oréal sa division beauté, créée en 2023 avec notamment l'achat de la marque de parfums de luxe Creed pour 3,5 milliards de dollars.

La réalisation de l'opération est prévue au premier semestre 2026.

La cession, annoncée dans la nuit de dimanche à lundi, est saluée par les marchés à l'ouverture de la Bourse de Paris lundi, où l'action Kering gagnait plus de 5% dans les premiers échanges.

L'accord comprend également "l'établissement des licences de 50 ans pour les marques iconiques de Kering" (Gucci, Bottega Veneta et Balenciaga), L'Oréal possédant déjà depuis 2008 la licence Yves Saint Laurent.

Le partenariat inclut "les droits de conclure un accord de licence exclusif d'une durée de cinquante ans pour la création, le développement et la distribution des produits parfum et beauté de Gucci, démarrant après l'expiration de la licence actuelle avec Coty, dans le respect des obligations du groupe Kering au titre de l'accord de licence existant".

Selon une note des analystes de HSBC, la licence arrive à expiration chez l'américain Coty en 2028.

Il est également inclus un "partenariat exclusif, prévu sous la forme d'une co-entreprise à 50/50, qui permettra de créer des expériences et des services combinant les capacités d'innovation de L'Oréal et la connaissance approfondie des clients du luxe de Kering".

"L'ajout de ces marques extraordinaires complète parfaitement notre portefeuille existant et élargit considérablement notre présence dans de nouveaux segments dynamiques de la beauté de luxe (...) Gucci, Bottega Veneta et Balenciaga sont toutes des marques de couture exceptionnelles qui présentent un énorme potentiel de croissance", déclare le directeur général de L'Oréal, Nicolas Hieronimus, cité dans le communiqué.

"Etape décisive pour Kering"

"Cette alliance stratégique marque une étape décisive pour Kering", déclare son directeur général, Luca de Meo, cité dans le communiqué, "ce partenariat nous permet de nous concentrer sur ce qui nous définit le mieux : notre puissance créative et l'attractivité de nos Maisons".

Cette annonce survient un mois seulement après l'entrée en fonction de Luca de Meo, chargé de redresser le groupe malmené depuis plusieurs années par les difficultés de sa marque phare Gucci, qui assure à elle seule 44% du chiffre d'affaires et les deux tiers de la rentabilité opérationnelle mais n'en finit pas de traverser une mauvaise passe.

"Nous devrons continuer à nous désendetter et, là où cela s'impose, rationaliser, réorganiser et repositionner certaines de nos marques", avait déclaré Luca de Meo le jour de sa nomination le 9 septembre. .

"Le nouveau directeur général de Kering semble déjà vouloir marquer les esprits. Luca de Meo a déclaré que le redressement du bilan constituait une priorité, et qu'une vente de la division beauté permettrait de réduire significativement l'endettement" du groupe, retient lundi Adam Cochrane, analyste de Deutsche Bank.

Kering a annoncé en juillet une chute de 46% de son bénéfice net au premier semestre, à 474 millions d'euros, un plongeon de 16% de son chiffre d'affaires, à 7,6 milliards d'euros, et un endettement de 9,5 milliards d'euros.

Cette vente à L'Oréal devrait permettre au groupe de diminuer sa dette. Les 4 milliards d'euros seront "payables en numéraire à la réalisation de l'opération prévue pour le premier semestre 2026", précise le communiqué.

L'Oréal versera également des redevances à Kering pour l'utilisation des marques sous licence.

L'Oréal a de son côté publié en juillet un chiffre d'affaires semestriel en hausse de 1,6% à 22,47 milliards. Les ventes semestrielles de sa division luxe ont progressé de 1% à plus de 7,65 milliards d'euros.

Le groupe de cosmétiques a également été cité en septembre dans le testament de Giorgio Armani, qui a demandé à ses héritiers de céder à moyen terme son empire à un géant comme LVMH, L'Oréal ou EssilorLuxottica.

L'Oréal possède la licence Armani pour les parfums et cosmétiques depuis 1988.


L’intelligence artificielle, levier d’émancipation pour les femmes selon la directrice de la DCO

Interrogée par Arabnews en français en marge des Rencontres économiques de l’Institut du monde arabe à Paris, El Haddaoui affiche un optimisme mesuré : « On ne peut pas dire que l’intelligence artificielle est une bonne ou une mauvaise chose en soi, explique-t-elle, mais je suis très optimiste quant aux opportunités qui existent pour les femmes. » (Photo fournie)
Interrogée par Arabnews en français en marge des Rencontres économiques de l’Institut du monde arabe à Paris, El Haddaoui affiche un optimisme mesuré : « On ne peut pas dire que l’intelligence artificielle est une bonne ou une mauvaise chose en soi, explique-t-elle, mais je suis très optimiste quant aux opportunités qui existent pour les femmes. » (Photo fournie)
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  • Pour la directrice générale de la Digital Cooperation Organization (DCO), Hajar El Haddaoui, l’intelligence artificielle (IA) représente une opportunité considérable pour les femmes sur le marché du travail, à condition toutefois de réduire les fractures
  • Interrogée par Arabnews en français en marge des Rencontres économiques de l’Institut du monde arabe à Paris, El Haddaoui affiche un optimisme mesuré

PARIS: Pour la directrice générale de la Digital Cooperation Organization (DCO), Hajar El Haddaoui, l’intelligence artificielle (IA) représente une opportunité considérable pour les femmes sur le marché du travail, à condition toutefois de réduire les fractures numériques, de renforcer la coopération internationale et d’intégrer cette technologie au cœur des stratégies nationales de développement.

Interrogée par Arabnews en français en marge des Rencontres économiques de l’Institut du monde arabe à Paris, El Haddaoui affiche un optimisme mesuré : « On ne peut pas dire que l’intelligence artificielle est une bonne ou une mauvaise chose en soi, explique-t-elle, mais je suis très optimiste quant aux opportunités qui existent pour les femmes. »

« On voit de plus en plus de femmes s’intéresser à l’IA et aux algorithmes dans différents domaines ; il faut s’en saisir comme d’une opportunité », souligne El Haddaoui, dont l’organisation, fondée à Riyad en 2020, regroupe 16 États membres et compte plus de 40 partenaires issus des secteurs technologique et financier.

Œuvrant essentiellement autour de deux axes stratégiques — la résilience technologique et la prospérité numérique —, la DCO s’est vu accorder un siège d’observateur à l’Assemblée générale des Nations unies en 2022.

L’accès à l’intelligence artificielle n’est cependant pas uniforme à l’échelle mondiale, plaide El Haddaoui, dont l’organisation œuvre pour l’inclusivité numérique et technologique.
« Non, il n’y a pas d’égalité entre les pays, affirme-t-elle sans détour. Certains ont énormément investi dans l’IA et disposent des ressources nécessaires, tandis que d’autres en sont encore loin. »

Elle insiste sur l’importance de la coopération régionale pour réduire ces écarts : « Il faut échanger les bonnes pratiques et, surtout, soutenir les pays en retard par de grands investissements », souligne-t-elle, rappelant que « certains pays n’ont même pas la 5G, ce qui rend toute avancée en IA très difficile ».

Pour elle, la réduction de cette fracture nécessite des partenariats solides entre États, des échanges d’expériences et un appui financier ciblé, afin « de permettre à davantage de pays d’intégrer l’intelligence artificielle dans leurs priorités nationales ».

Cependant, les disparités ne sont pas seulement internationales, souligne El Haddaoui : elles sont également internes, car « dans certains pays, les zones rurales n’ont même pas accès à Internet, alors que d’autres régions abritent des hubs d’innovation très avancés », observe-t-elle.

Cette fracture numérique interne constitue, selon elle, un défi majeur. La solution passe par une stratégie globale d’éducation et d’inclusion : « Il faut prendre en compte l’éducation dès le plus jeune âge, développer des applications accessibles dans les langues locales et former les talents nationaux pour diffuser les connaissances liées à l’IA au sein même du pays. »

Ce n’est qu’une fois ces bases posées que la réduction de la fracture pourra s’étendre aux niveaux régional et mondial.

Interrogée sur le risque de voir le financement de l’IA se faire au détriment d’autres secteurs essentiels, El Haddaoui se veut rassurante : « Si l’intelligence artificielle est intégrée dans la stratégie numérique nationale et appliquée à tous les secteurs — santé, finance, économie ou éducation —, elle ne concurrence pas les autres investissements, elle les renforce », explique-t-elle.

Elle met toutefois en garde contre une approche sectorielle trop étroite : « Dans les pays où l’investissement est concentré uniquement sur l’IA sans vision transversale, le risque existe. Il ne faut pas répéter les erreurs commises lors de la transformation digitale dans certaines régions. L’IA doit être pensée comme une stratégie cross-industry, présente dans tous les secteurs et non en silo. »

Pour cette raison, ajoute-t-elle, la DCO travaille avec de nombreux États membres, dont le Maroc : « Nous sommes présents sur le terrain dans plusieurs pays membres afin d’accompagner le développement numérique local », précise-t-elle.


La ministre de la transition numérique marocaine: l’IA une opportunité pour l’émancipation des femmes

L’intelligence artificielle (IA) peut devenir un outil puissant pour renforcer la place des femmes dans la société et sur le marché du travail. C’est le message porté par la ministre marocaine de la Transition numérique, Amal El Fallah Seghrouchni. (Photo fournie)
L’intelligence artificielle (IA) peut devenir un outil puissant pour renforcer la place des femmes dans la société et sur le marché du travail. C’est le message porté par la ministre marocaine de la Transition numérique, Amal El Fallah Seghrouchni. (Photo fournie)
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  • Le Maroc multiplie les initiatives pour démocratiser l’accès à ces technologies
  • En juillet dernier, les Assises nationales de l’intelligence artificielle ont réuni 2 500 acteurs publics et privés

PARIS: L’intelligence artificielle (IA) peut devenir un outil puissant pour renforcer la place des femmes dans la société et sur le marché du travail.
C’est le message porté par la ministre marocaine de la Transition numérique, Amal El Fallah Seghrouchni, qui voit dans cette technologie une opportunité majeure pour réduire les fractures sociales et économiques, à condition de s’y préparer dès maintenant.

Nommée ministre en 2024, Seghrouchni est une pionnière de l’intelligence artificielle. Elle est même décrite par certains comme « l’Elon Musk du Maroc », mais elle se distingue de ce dernier par son engagement éthique et son attachement à l’inclusion et à la justice sociale liées à l’avènement des nouvelles technologies.
Dans le cadre de ses fonctions et responsabilités, elle poursuit sa quête d’une utilisation raisonnée de l’intelligence artificielle, au profit de tous.

Présente à Paris à l’occasion de la 16ᵉ édition des Rencontres économiques, organisées par l’Institut du monde arabe, la ministre a insisté, en réponse à Arab News en français, sur la nécessité d’intégrer les femmes dans cette révolution technologique.
« Aujourd’hui, l’intelligence artificielle est utilisée dans tous les secteurs de la vie professionnelle : la santé, l’agriculture, l’art, la culture, le droit ou encore la fintech », indique-t-elle. « Et si les femmes maîtrisent l’intelligence artificielle, elles peuvent accéder à un marché de l’emploi beaucoup plus vaste. »

Selon la ministre, l’IA permet aux femmes d’améliorer leur productivité et d’accéder à des ressources jusqu’ici moins accessibles, comme la traduction automatique, les calculs complexes ou la recherche d’informations ciblées : « autant d’usages concrets qui peuvent faciliter leur insertion professionnelle ».
Elle met également en avant le potentiel des outils d’IA pour les femmes entrepreneures, dirigeant des petites ou moyennes entreprises, qui peuvent ainsi s’appuyer sur le commerce électronique pour dépasser les limites des marchés locaux.
« Il existe aujourd’hui des plateformes qui permettent aux femmes d’accéder à un marché global grâce à l’intelligence artificielle », explique-t-elle.

La formation à l’IA représente un investissement, concède la ministre, mais celui-ci reste accessible et rentable. De nombreux programmes, soutenus par des organisations internationales ou des initiatives nationales, visent à réduire cette barrière financière.
« Nous avons lancé un programme qui s’appelle Elevate pour le commerce électronique : il aide gratuitement des femmes à accéder à ces plateformes », précise-t-elle. Et même si certaines formations sont payantes, les coûts restent modérés « au regard du retour sur investissement potentiel ».

La ministre reconnaît cependant l’existence de plusieurs niveaux de fracture : alphabétisation, numérique, et désormais intelligence artificielle.
Mais elle estime que « la question n’est pas de savoir s’il va y avoir une fracture, mais si nous allons pouvoir maîtriser ces technologies pour ne pas rester sur le bord du chemin », car il ne s’agit pas de subir ces transformations, mais « de les utiliser comme leviers de réduction des inégalités ».

Le Maroc multiplie les initiatives pour démocratiser l’accès à ces technologies. En juillet dernier, les Assises nationales de l’intelligence artificielle ont réuni 2 500 acteurs publics et privés.
Le pays a lancé des plateformes de formation, un programme de soutien aux start-up, ainsi qu’un vaste réseau d’instituts de recherche et de développement baptisé Jazari.

« Rien n’arrive tout seul », rappelle la ministre. « Le coût est là, mais aussi la volonté d’apporter les moyens humains, financiers et techniques nécessaires. C’est un grand chantier que nous voulons mener à bien, avec la détermination des femmes à monter dans ce que j’appelle le train de l’IA. »

La métaphore est claire : l’intelligence artificielle avance rapidement, et il faut savoir monter à bord au bon moment. En misant sur la formation, l’accès aux outils et l’accompagnement des femmes, la ministre entend faire de l’IA non pas une nouvelle ligne de fracture, mais une voie d’émancipation et d’ouverture.