Une ambiguïté constructive sauve la mise à l'Otan

Le président turc, Recep Tayyip Erdogan, assistant à une conférence de presse lors du sommet de l'Otan à Madrid, le 30 juin 2022 (Photo, Reuters).
Le président turc, Recep Tayyip Erdogan, assistant à une conférence de presse lors du sommet de l'Otan à Madrid, le 30 juin 2022 (Photo, Reuters).
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Publié le Mercredi 06 juillet 2022

Une ambiguïté constructive sauve la mise à l'Otan

Une ambiguïté constructive sauve la mise à l'Otan
  • Le premier résultat concret du sommet de l’Otan à Madrid a été que la Turquie a retiré son veto à l'adhésion de la Suède et de la Finlande à l'Otan
  • Les relations entre la Turquie et la Russie seront également concernées négativement d'une manière ou d'une autre par cette importante décision

Le sommet de l'Otan à Madrid la semaine dernière est de bon augure pour l'avenir, la Turquie, la Suède et la Finlande étant parvenues à une ambiguïté constructive.

Quelques semaines avant la réunion, le président turc avait déclaré avec insistance que «tant que Tayyip Erdogan serait à la tête de la République de Turquie, il ne serait pas possible d’accepter l'adhésion de la Suède et la Finlande à l'Otan».

À Madrid, toutes les parties ont fait des concessions, et une formulation mutuellement acceptable a été atteinte. Le premier résultat concret de la réunion a été que la Turquie a retiré son veto à l'adhésion de la Suède et de la Finlande à l'Alliance atlantique.

Selon The Economist: «Durant sa jeunesse, Recep Tayyip Erdogan a joué au football comme semi-professionnel. En tant que président de la Turquie, il n'a aucun scrupule à commettre des fautes professionnelles pour se frayer un chemin dans la politique internationale.»

Au terme d'un débat de quatre heures, un mémorandum a été adopté incluant plusieurs promesses pour la Turquie. La Suède et la Finlande ont ainsi confirmé que le PKK était une organisation terroriste proscrite; elles ne soutiendront pas le parti kurde syrien YPG ni l'organisation qualifiée de «Feto» en Turquie; elles agiront de bonne foi pour répondre positivement aux demandes d'extradition de la Turquie. Les deux pays ont aussi promis de lever leurs interdictions sur les ventes d'armes à Ankara et d'engager des poursuites contre les militants du PKK impliqués dans la collecte de fonds et le recrutement de militants, leurs autorités judiciaires interdisant de telles activités.

La plupart de ces engagements ne sont que des déclarations de fait, mais l'ambiguïté constructive incorporée dans le texte a sauvé la situation, et Erdogan a déclaré après la réunion que la Turquie avait obtenu tout ce qu'elle souhaitait.

L'accord n'est qu'un mémorandum qui ne sera pas ratifié par les différents Parlements, ce qui signifie qu'il sera mis en œuvre dans la mesure où toutes les parties feront preuve de la diligence nécessaire. Cependant, la Turquie pourrait à nouveau bloquer l'adhésion de la Suède et de la Finlande au stade de l'approbation parlementaire.

Par le passé, la Turquie qualifiait à la fois le PKK et le PYD/YPG d'organisations terroristes. La Suède et la Finlande, tout en admettant que le PKK était une organisation terroriste, se sont abstenues de qualifier le PYD/YPG comme tel. La Turquie a soutenu pendant des années que le PYD était une extension du PKK sur le territoire syrien et était donc également, de ce fait, une organisation terroriste. En acceptant de classer le PKK et le PYD/YPG dans des catégories différentes, Ankara a donné l'impression de considérer désormais qu'il ne s'agissait pas du même type d'organisation terroriste. C'est un recul de la position d'Ankara.

«Le premier résultat concret de la réunion a été que la Turquie a retiré son veto à l'adhésion de la Suède et de la Finlande à l'Otan»

Yasar Yakis

La Suède et la Finlande ont promis de donner suite aux demandes d'extradition de la Turquie, mais leurs critères pourraient ne pas être les mêmes. Ce qui pourrait provoquer un désaccord dans leur mise en application. Outre les critères juridiques, il existe également des critères politiques. À titre d’exemple, après que le vice-président irakien Tariq al-Hachimi a demandé l'asile en Turquie en 2012, Ankara a refusé la demande de Bagdad de l'extrader pour des motifs politiques.

Dès le départ, de nombreux analystes pensaient que les déclarations menaçantes de la Turquie concernant la Suède et la Finlande visaient principalement à obtenir le plus de concessions possible. Il reste à voir comment toutes les parties mettront en œuvre ce mémorandum, mais la meilleure politique pour la Turquie serait de s'abstenir de susciter davantage d'attentes.

Les conséquences de l'accord sont également très importantes. Erdogan et Joe Biden se sont réunis en marge du sommet pendant environ soixante-quinze minutes. Une discussion importante pour l'électorat d'Erdogan avant les prochaines élections nationales en Turquie.

L'attitude de la Russie va définitivement changer maintenant que l'Otan a déclenché le processus d'adhésion de la Suède et de la Finlande. Moscou aura, pour la première fois, une longue frontière terrestre avec un pays membre de l'Otan, en l’occurrence la Finlande. Helsinki n'apprécie peut-être pas d'être un voisin de la Russie mais, puisque la géographie fait partie du destin, les Finlandais se sentiront plus en sécurité maintenant qu'ils sont sur le point d’adhérer à l'Otan.

Aux yeux de Moscou, l'adhésion de la Suède et de la Finlande à l'Alliance n'est rien de moins qu'un empiétement de l’Otan vers sa zone d'influence. Cela doit être considéré comme le premier changement tangible au niveau de la structure de défense européenne.

Les relations entre la Turquie et la Russie seront également concernées négativement d'une manière ou d'une autre par cette importante décision. La Russie ne rompra pas ses relations avec la Turquie parce qu'Ankara a cédé aux pressions de la communauté euro-atlantique, mais leurs relations bilatérales pourraient désormais devenir moins cordiales.

Le président russe, Vladimir Poutine, a annoncé que Moscou réagirait en cas d'expansion des infrastructures militaires à proximité de sa frontière. Ce serait le début d'une escalade qui se poursuivrait probablement dans les années à venir. La Russie était autrefois considérée comme un «partenaire stratégique» après le démembrement de l'Union soviétique. Cependant, le nouveau concept stratégique de l'Otan la considère désormais comme «la menace la plus importante et la plus directe» du point de vue sécuritaire.

Indépendamment du consentement de la Turquie à l'adhésion de la Suède et de la Finlande, l'Alliance atlantique a également décidé d'augmenter sa Force de réaction en Europe de 40 000 à 300 000 soldats.

La tension a déjà commencé à monter entre l'Otan et la Russie, et personne ne peut dire quand elle retombera.

Yasar Yakis est un ancien ministre des Affaires étrangères de Turquie, et membre fondateur du parti AK au pouvoir.

Twitter: @yakis_yasar

NDLR: Les opinions exprimées dans cette rubrique par leurs auteurs sont personnelles, et ne reflètent pas nécessairement le point de vue d’Arab News.

Ce texte est la traduction d’un article paru sur Arabnews.com