Chemin dangereux à venir alors que l'Irak est en proie à la violence des milices

Le siège du Parti démocratique kurde en feu lors d'une manifestation de la milice pro-iranienne et de leurs partisans à Bagdad, en Irak, le 17 octobre 2020 (Photo, AP)
Le siège du Parti démocratique kurde en feu lors d'une manifestation de la milice pro-iranienne et de leurs partisans à Bagdad, en Irak, le 17 octobre 2020 (Photo, AP)
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Publié le Mercredi 28 octobre 2020

Chemin dangereux à venir alors que l'Irak est en proie à la violence des milices

Chemin dangereux à venir alors que l'Irak est en proie à la violence des milices
  • Le problème majeur auquel l'Irak est confronté concerne les activités des différentes milices chiites qui font partie des Unités de mobilisation populaire
  • On craint une reprise de la violence sectaire qui a submergé le pays il y a dix ans

Ce mois a marqué le premier anniversaire des manifestations populaires qui, l’année dernière, ont balayé l’Irak, de Bagdad à Bassora. Largement fréquentées par des jeunes, les manifestations avaient exigé une réforme politique radicale, en particulier la transparence et la responsabilité dans la gouvernance.

Les manifestants ont été impitoyablement pris pour cible par les milices des Unités de mobilisation populaire (UMP). Il y a eu 600 personnes tuées et 26 000 blessés. Les critiques du grand ayatollah Ali al-Sistani en novembre 2019 ont fait tomber le gouvernement du Premier ministre, Adel Abdel Mahdi.

Après une accalmie due à la pandémie, les manifestants sont désormais de retour à Bagdad, reprenant leurs manifestations le 1er octobre avec des portraits des personnes tuées l'année dernière. Ils bénéficient désormais du soutien du nouveau Premier Ministre, Mustafa al-Kadhimi, qui a promis d’ériger un monument en mémoire des personnes tuées lors des manifestations, ainsi que des musées, des théâtres et des bibliothèques célébrant l’unité nationale et les sacrifices consentis par la jeunesse du pays.

Le problème majeur auquel l'Irak est confronté concerne les activités des différentes milices chiites qui font partie des UMP. Les UMP sont maintenant éclatées, avec des éléments «modérés» soutenant le gouvernement et des groupes radicaux qui sèment la violence contre diverses cibles: des jeunes chiites qui protestent contre les conditions nationales difficiles, des sunnites enlevés pour rançon ou meurtre, des partis kurdes et, surtout, des États-Unis cibles diplomatiques et militaires.

Cette menace de relance nationale a incité Al-Sistani, habituellement taciturne, à intervenir. Le mois dernier, il a appelé le gouvernement irakien à empêcher «certains groupes de diviser l'Irak» en revendiquant des sphères de contrôle exclusives pour eux-mêmes – une attaque claire contre l'activité militante. Il a également sollicité la confiscation des armes illégales, des actions contre la corruption et le renforcement des services de sécurité pour rendre justice aux victimes.

Quelques jours après cette réprimande virulente de la plus haute autorité religieuse du pays, les États-Unis ont lancé leur propre avertissement sévère. Le président irakien, Barham Salih, a convoqué une réunion de politiciens irakiens afin de les informer que le secrétaire d'État américain, Mike Pompeo, avait averti que, à moins que les attaques contre les installations américaines ne prennent fin, Washington fermerait son ambassade à Bagdad et ciblerait ensuite les milices concernées. Le ministre des Affaires étrangères Hoshyar Zebari a appelé les politiciens irakiens à faire face aux «défis posés par les milices armées» afin que l’Irak puisse «mettre fin à ce carnage et agir de manière responsable».

La scission entre les UMP est devenue évidente. Le chef des UMP, Falih Al-Fayyadh, a condamné toutes les attaques et affirmé que l'Organisation est une force de sécurité légale relevant des forces armées nationales.

Il est soutenu par Hadi al-Ameri, chef du bloc Fatah, qui a critiqué les récentes attaques contre des cibles américaines et britanniques et a exigé la protection de toutes les missions étrangères. Quatre milices qui faisaient partie des UMP se sont séparées et ont demandé à rejoindre les forces de l'État. De l’autre côté de la frontière, le ministre iranien des Affaires étrangères, Javad Zarif, a salué les propos d’Al-Sistani, tandis que le ministère des Affaires étrangères a condamné l’attaque contre un convoi britannique.

Cependant, les milices radicales restent imperturbables. Un porte-parole d'Asaib Ahl al-Haq a justifié les attaques contre l'ambassade américaine, affirmant que le bâtiment était «une base militaire d'une force d'occupation». À la fin de septembre dernier, de nouvelles attaques ont été menées contre une installation américaine à l'aéroport de Bagdad, qui ont frappé par erreur une maison voisine, ainsi que contre des troupes américaines à Irbil et contre des positions tenues par les Kurdes iraniens, qui sont décrits par Téhéran comme des terroristes.

Outre les cibles étrangères, la colère des militants a également été dirigée contre des ennemis nationaux. Le 17 octobre, des membres des UMP ont incendié le siège à Bagdad du Parti démocratique du Kurdistan (PDK) en réponse à l'appel du ministre des Affaires étrangères, Hoshyar Zebari, qui est un Kurde, pour que la zone verte officielle et diplomatique de la capitale soit «nettoyée des milices et de la présence des UMP».

Deux jours plus tard, douze personnes de la province de Salah ad-Din, à majorité sunnite, ont été enlevées puis tuées, très probablement par des membres d'Asaib Ahl al-Haq. Cela a fait craindre une reprise de la violence sectaire qui a submergé le pays il y a dix ans. Les parlementaires de la province ont demandé conjointement que tous les militants liés aux UMP et aux groupes politiques soient écartés.

On craint une reprise de la violence sectaire qui a submergé le pays il y a dix ans.

Cela semble être une tâche difficile. Le Premier ministre, Al-Kadhimi, a bousculé les services de sécurité avec de nouvelles nominations, faisant d’un ancien ministre de l'Intérieur son conseiller à la sécurité nationale et nommant un ancien ministre de la Défense à la tête des opérations de renseignement. Il a également lancé une campagne de répression contre les armes illégales dans les provinces du Sud dominées par les chiites. Cependant, malgré son enthousiasme, les progrès ont été lents, avec des informations selon lesquelles Al-Kadhimi ne dispose pas de la force nécessaire pour s'attaquer aux milices et aux marchands d'armes.

Une confrontation semble se préparer entre les nouveaux responsables de la sécurité autour d'Al-Kadhimi et des sections des blocs parlementaires chiites et les milices qui les soutiennent, ces dernières cherchant à destituer le Premier ministre ou à le faire démettre de ses fonctions.

À l’exception du Parlement vénal du pays, Al-Kadhimi bénéficie d’un soutien considérable et, dans un ordre politique réformé, il devrait obtenir le soutien populaire lors des élections prévues en juin de l’année prochaine. Cependant, le chemin vers ces élections se fera sur une corde raide, tendue au-dessus d’un marais dangereux.

 

Talmiz Ahmad est un auteur et ancien ambassadeur indien en Arabie saoudite, à Oman et aux Émirats arabes unis. Il est titulaire de la Ram Sathe Chair pour les études internationales, de la Symbiosis International University, à Pune, Inde.

NDLR : L’opinion exprimée dans cette page est propre à l’auteur et ne reflète pas nécessairement celle d’Arab News en français.

Ce texte est la traduction d’un article paru sur Arabnews.com