«Tirer vers le haut»: quand la politique phare de Boris Johnson déraille

Boris Johnson quitte le 10 Downing Street à Londres, le mercredi 6 juillet 2022 (Photo, AP).
Boris Johnson quitte le 10 Downing Street à Londres, le mercredi 6 juillet 2022 (Photo, AP).
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Publié le Dimanche 10 juillet 2022

«Tirer vers le haut»: quand la politique phare de Boris Johnson déraille

  • Lorsque le Premier ministre Boris Johnson a remporté une victoire écrasante aux élections de 2019 en promettant de «tirer vers le haut» des villes comme Bradford, cela a donné de l'espoir aux élus locaux
  • Mais depuis son élection, il y a eu peu de progrès tangibles, voire même une dégradation de la situation, accusent ses opposants

BRADFORD, Royaume-Uni : Toutes les 10 à 20 minutes, un train arrive à la gare de Bradford. Le conducteur en sort, marche jusqu'en queue de train puis reprend le trajet.

Une routine fastidieuse mais nécessaire car on ne peut pas traverser en train Bradford, même si la ville du West Yorkshire -- la sixième plus grande d'Angleterre -- n'est pas en bout de ligne.

Depuis des décennies, les élus locaux réclament une solution et lorsque le Premier ministre Boris Johnson a remporté une victoire écrasante aux élections de 2019 en promettant de «tirer vers le haut» des villes comme Bradford, cela leur a donné de l'espoir. Ce programme, au cœur des succès électoraux du dirigeant dans les classes populaires, visait justement par ce genre de mesures à améliorer le quotidien de régions qui se sentent délaissées.

Mais quand deux ans plus tard, son gouvernement a finalement annoncé un plan de modernisation ferroviaire, ce fut la déception : le projet de gare était passé à la trappe.

Cette décision a provoqué la colère dans cette ville de 535.000 habitants, s'ajoutant aux déceptions suscités par un Premier ministre longtemps apprécié des classes populaires et désormais affaibli par les scandales.

«J'ai été vraiment déçue et dégoûtée», a témoigné Mandy Ridyard, directrice financière de Produmax, une société d'ingénierie aérospatiale basée à Bradford, soucieuse que la ville soit mieux connectée pour attirer une main-d'œuvre innovante.

«Nous essayons de rattraper notre retard. Donc ne pas investir (...) c'est vraiment de la folie parce qu'il y a de telles opportunités», a-t-elle déclaré.

- Promesse électorale -

Si au niveau international, Boris Johnson est surtout connu pour le Brexit, au niveau national, il a placé la lutte contre les disparités régionales au cœur de son programme politique.

En 2019, cette promesse a aidé le conservateur à arracher des dizaines de circonscriptions au parti travailliste dans des régions défavorisées du centre et du nord de l'Angleterre.

Mais depuis son élection, il y a eu peu de progrès tangibles, voire même une dégradation de la situation, accusent ses opposants.

Et malgré des démonstrations occasionnelles d'unité nationale telles que les récentes célébrations du jubilé de platine d'Elizabeth II, le Royaume-Uni est plus divisé que jamais, entre les désirs d'indépendance de l'Ecosse et la poussée des partis républicains favorables à la réunification en Irlande du Nord.

«Tirer vers le haut», analyse Mike Cartwright, de la chambre de commerce du West Yorkshire «C'était un slogan merveilleux (...) et ils s'en sont tirés pendant longtemps, sans expliquer ce que cela signifie et comment on met ça en oeuvre».

- «Oubliés» -

Avec ce programme, Bradford et des villes des environs ont reçu des financements supplémentaires, et la région a été désignée «zone d'investissement dans l'éducation».

La région du West Yorkshire devrait aussi bénéficier de nouvelles compétences décentralisées.

Mais alors qu'à Londres, une nouvelle ligne a récemment ouvert après avoir coûté environ 19 milliards de livres (22,5 milliards d'euros), la colère des habitants de Bradford contre le projet de gare avorté ne retombe pas.

D'autant que cette décision va à l'encontre d'une étude réalisée par le cabinet de conseil «People, Places, Policy and Data Unit» qui a révélé que parmi les 20 plus grandes villes britanniques, Bradford souffrait des pires connexions.

«C'était un peu comme si nous avions de nouveau été oubliés», a déclaré Josie Barlow, responsable d'une banque alimentaire qui a bénéficié d'une subvention pour aider à acheter un bâtiment.

Elle a ajouté qu'ils étaient «vraiment reconnaissants» pour cette manne de 225.000 livres mais a souligné l'importance d'investir dans les infrastructures.

Autrefois capitale de la laine, Bradford est maintenant classé cinquième zone la plus défavorisée et sixième en terme de taux de chômage à l'échelle nationale, selon l'indice de pauvreté du gouvernement en 2019.

«Des investissements, des grandes entreprises où beaucoup de gens sont employés, c'est ce dont nous avons besoin» défend Josie Barlow.

À Redcar, à une centaine de kilomètres au nord-est de Bradford, le programme dédié du gouvernement pour «tirer vers le haut» certaines régions a aidé à rénover un ensemble de logements dégradé et en proie à la criminalité.

Ce n'est «qu'un exemple de là où cela a fait une différence», assure Clare Harrigan, directrice du développement de Beyond Housing, qui loue de nombreux logement à loyers modérés.

«Nous vivions dans la misère jusqu'à ce que tout cela commence» raconte Sandra Cottrell, une habitante de 64 ans.

Pour autant, elle est sceptique quant aux ambitions de Boris Johnson, qui suscite beaucoup de défiance. «Je ne crois pas ce qu'il raconte».

«Levelling up» britannique: de quoi s'agit-il ?

Victorieux lors de élections de fin 2019, le Premier ministre britannique Boris Johnson avait promis de «niveler et d'unir le pays». Mais ses opposants critiquent un slogan vague sans stratégie cohérente pour remplir les objectifs affichés.

- Qu'est-ce que le «levelling up»? -

L'objectif affiché consiste à s'attaquer au déficit dont souffrent certaines régions frappées depuis des décennies par un déclin économique en stimulant création d'emploi, formation et productivité.

Il nécessite investissements et politiques dans des domaines allant du transport à la décentralisation, et fixe des objectifs à atteindre d'ici à 2030.

Mais le gouvernement conservateur insiste: il ne s'agit pas d'une redistribution de richesses. «Nous ne pensons pas qu'on peut rendre les régions pauvres du pays en rendant les régions riches plus pauvres», a déclaré Boris Johnson l'année dernière.

- Quand cela a-t-il commencé ? -

Les références remontent à des décennies, mais Boris Johnson a déployé le slogan - aux côtés de sa promesse de «réaliser le Brexit» pendant la campagne électorale de 2019.

Tous deux faisaient partie de son programme, représentant un appel aux électeurs traditionnels de l’opposition travailliste dans le centre et le nord de l'Angleterre.

- Pourquoi est-ce nécessaire? -

Le Royaume-Uni présente parmi les disparités régionales les plus criantes chez les pays développés, selon de nombreux organismes comme l'Institute for Fiscal Studies.

Londres et le sud-ouest de l'Angleterre surpassent le reste du pays dans tous les domaines, productivité, emploi, richesse relative.

Cette tendance vieille de plusieurs décennies a été en partie alimentée par des dépenses publiques plus élevées dans ces régions dans la recherche et l'innovation, un facteur clé pour la productivité, ainsi que des investissements plus importants dans l'éducation.

- Quelles sont les régions ciblées ? -

Le calendrier du gouvernement est si large que le tant attendu document d'orientation publié en février comportait des sections pour que toutes les régions reçoivent financements et projets, y compris à Londres et le Sud-Ouest.

Mais intrinsèquement, cette politique cible les villes laissées pour compte, en particulier dans les anciennes régions industrielles du centre et du nord de l'Angleterre et les régions côtières déshéritées.

- Qu'est-ce qui est inclus ? -

Le document de plus de 300 pages comporte 12 «missions» à accomplir d'ici à 2030 dans tous les domaines, de la délinquance en passant par la santé ou le logement.

Le programme prévoit un éventail de réformes à court et long terme et des promesses de financement.

Le gouvernement a annoncé pour ce faire des milliards de livres sterling d'investissements, dont 2,4 milliards de «fonds villes» et 2,6 milliards de «fonds de prospérité partagée» pour compenser les précédents fonds régionaux européens, et 4,8 milliards de «fonds nivellement».

D'autres initiatives comprennent la relocalisation d'emplois dans l'administration de Londres et du Sud-Ouest, la création de 10 ports francs, et encourager la décentralisation.

Le ministre des Finances Rishi Sunak a également modifié la manière dont les subventions pour l'investissement sont calculées afin que les projets ayant un important impact régional soient prioritaires.

- Où en est-on ? -

Les promesses de Boris Johnson sur le sujet ont subi un feu constant de critiques, lui reprochant de n'être qu'un slogan transformé en politique aux ambitions irréalistes, trop large et gravement sous-financée.

Cercles de réflexion, universitaires et autres se sont tous penchés sur les progrès du gouvernement ces derniers mois, les jugeant insuffisants.

L'Institute for Government a estimé que la douzaine de missions «ne réduira pas les inégalités régionales», tandis qu'une analyse de Bloomberg a conclu qu'elles s'élargissaient en réalité sous Boris Johnson.

Ses détracteurs affirment que le dirigeant conservateur, qui a survécu récemment à un vote de défiance, a été détourné par une série de scandales. Ses défenseurs mettent en avant la pandémie et la crise du coût de la vie, et avertissent que de nouveaux investissements mettront du temps à porter leurs fruits.

Mais récemment, une commission parlementaire a critiqué à son tour le modèle de financement pour distribuer les fonds, accusant le gouvernement de «jouer» des milliards de livres.

Villes «oubliées» dans le Nord de l'Angleterre, les habitants témoignent

A Redcar, dans le Nord-Est de l'Angleterre, les signes de la prospérité industrielle d'antan sont omniprésents. Triste souvenir d'une époque révolue pour des habitants nostalgiques et qui se sentent délaissés par Londres.

Les aciéries de Teesside -- qui furent un temps les plus importantes du Royaume-Uni -- dominent le paysage à des kilomètres à la ronde et rappellent l'époque où l'acier de la ville était utilisé dans le monde entier, y compris pour construire le célèbre Harbour Bridge de Sydney.

«Quand les aciéries ont fermé, ça a juste été horrible», se souvient Sandra Cottrell, 64 ans.

Cette mère de quatre enfants a vu l'industrie s'effondrer petit à petit ces deux dernières décennies. «Mon fils et tout le monde travaillait là bas (...) Il n'avait toujours connu que les aciéries et il a ensuite dû aller travailler à Manchester», raconte-t-elle à l'AFP.

Alors ici, les habitants ne croient pas vraiment dans le grand projet de «Levelling Up» (nivellement par le haut) des régions post-industrielles défavorisées du pays, projet phare du premier ministre Boris Johnson.

M. Johnson avait fait du rééquilibrage régional l'une des ses grandes promesses de campagne pro-Brexit et a annoncé des objectifs à l'horizon 2030 en termes de hausse des salaires, d'amélioration des transports, d'accès à internet ou encore de hausse du niveau scolaire ou de baisse de l'insécurité.

- Disparition de l'aciérie -

«Honnêtement, je ne sais pas» quoi en attendre, confie Mme Cottrell alors que dans le centre-ville de Redcar, de nombreuses boutiques ont fermé ou ont été remplacées par des enseignes à bas prix.

Des signes timides de renouveau sont tout de même observables. Des travaux de régénération de la ville -qui avait acquis une réputation locale de criminalité, de pauvreté et de négligence- progressent, financés en partie par le programme de «Levelling Up».

«C'est ce dont on a besoin par ici. J'ai juste l'impression qu'on a été laissés un peu de côté, mais ils se rendent compte qu'on est là maintenant», affirme Cath Smith, une voisine de 60 ans.

Elle aussi se souvient avec nostalgie des années 1970, quand «tout le monde travaillait» dans la région. A l'époque, son père et la plupart des hommes sont embauchés à l'aciérie, alors propriété de l'État.

Mais après la privatisation en 1988, elle observe impuissante la disparition de l'industrie et accuse les gouvernements successifs de ne pas avoir soutenu les milliers de travailleurs ayant perdu leur emploi.

«Ils s'en fichaient», affirme Mme Smith. «C'est comme si nous n'existions pas.»

- «Oubliés» -

A Bradford, à une centaine de kilomètres plus au sud-ouest, c'est la laine et non l'acier qui avait rendu la ville prospère. Mais la nostalgie des habitants est la même qu'à Redcar.

«Quand j'étais petite, c'était juste fantastique», raconte Judith Holmes, 69 ans.

«Le commerce, la laine (...) Tous les magasins étaient ouverts. On prospérait, c'était vibrant, c'était fabuleux», se souvient-elle.

Bradford, sixième plus grande ville d'Angleterre avec une population parmi les plus jeunes d'Europe, connaît aussi le chômage et la pauvreté.

«Je suis convaincue que Bradford a été oubliée, c'est certain», affirme Mme Holmes en écho aux habitantes de Redcar.

«On nous a fait beaucoup de promesses mais ça ne s'est jamais concrétisé», martèle-t-elle. «Ca va prendre du temps de faire revenir (cette prospérité). Je pense que c'est possible, mais ils (les autorités) doivent s'y mettre dès maintenant plutôt que de dire +peut-être+ en distribuant des fonds ici et là.»

Cette ancienne employée de la Poste fait des ménages dans des bureaux deux fois par semaine pour joindre les deux bouts.

Comme à Redcar, elle est sceptique sur l'ambition du Premier ministre de corriger les grandes inégalités territoriales. «J'y croirai quand je le verrai», assure-t-elle.

«Je ne le verrai surement pas à mon âge mais j'espère que ça arrivera pour les autres, pour mes petits-enfants. J'espère qu'ils auront un futur plus réjouissant.»

Selon elle, le Premier ministre est déconnecté des réalités et «devrait venir ici passer quelques jours et galérer comme beaucoup de gens».

«Je n'ai rien contre Boris Johnson mais personnellement, je ne pense pas qu'il comprenne.»

 

 


L'ambassade suisse, qui représente les intérêts américains, rouvre en Iran

Le drapeau suisse flotte sur l'ambassade suisse, avec en arrière-plan la coupole du bâtiment du Reichstag, qui abrite la chambre basse du Parlement, le 23 novembre 2012 à Berlin. (AFP)
Le drapeau suisse flotte sur l'ambassade suisse, avec en arrière-plan la coupole du bâtiment du Reichstag, qui abrite la chambre basse du Parlement, le 23 novembre 2012 à Berlin. (AFP)
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  • Depuis dimanche, l'ambassade de Suisse « est à nouveau ouverte, après avoir été temporairement fermée le 20 juin en raison de l'instabilité de la situation dans le pays », indique un communiqué du ministère suisse des Affaires étrangères.
  • « Avec la réouverture de son ambassade à Téhéran, la Suisse peut à nouveau représenter directement sur place les intérêts américains en Iran, en sa qualité de puissance protectrice », ajoute le ministère. 

GENEVE : L'ambassade suisse à Téhéran pourra de nouveau représenter directement les intérêts américains en Iran, a annoncé la Suisse, qui a appelé les parties à « reprendre le chemin de la diplomatie ».

Depuis dimanche, l'ambassade de Suisse « est à nouveau ouverte, après avoir été temporairement fermée le 20 juin en raison de l'instabilité de la situation dans le pays », indique un communiqué du ministère suisse des Affaires étrangères.

L'ambassadrice Nadine Olivieri Lozano est revenue samedi dans la capitale iranienne par voie terrestre, en passant par l'Azerbaïdjan, accompagnée d'une petite équipe.

« Avec la réouverture de son ambassade à Téhéran, la Suisse peut à nouveau représenter directement sur place les intérêts américains en Iran, en sa qualité de puissance protectrice », ajoute le ministère. 

En l'absence de relations diplomatiques ou consulaires entre les États-Unis et l'Iran, la Suisse représente officiellement les intérêts américains dans ce pays depuis 1980, par l'intermédiaire de son ambassade à Téhéran.

« Il est essentiel que toutes les parties reprennent sans délai le chemin de la diplomatie. À cet effet, la Suisse met à disposition ses bons offices et Genève peut accueillir des négociations », souligne le ministère suisse des Affaires étrangères.

Téhéran et Washington ont déjà mené cinq cycles de négociations sur le programme nucléaire iranien depuis le 12 avril. Un sixième cycle, initialement prévu le 15 juin sous la médiation du sultanat d'Oman, a été annulé après le déclenchement d'une guerre provoquée par une attaque israélienne contre l'Iran, deux jours plus tôt. 

Israël a affirmé vouloir empêcher l'Iran d'acquérir l'arme nucléaire et a mené des frappes contre des sites nucléaires iraniens, tuant plusieurs hauts gradés de l'armée ainsi que des scientifiques du programme. Dans la nuit du 21 au 22 juin, le président américain Donald Trump a ordonné des frappes aériennes visant trois installations nucléaires situées dans le centre de l'Iran.

Téhéran, qui nie vouloir se doter de l'arme atomique, a mené des frappes de représailles contre Israël avant l'entrée en vigueur d'un cessez-le-feu, le 24 juin.


Le Dalaï Lama célèbre son 90e anniversaire en prononçant une prière pour la paix

Le chef spirituel tibétain, le Dalaï Lama, assiste à une cérémonie de prière pour une longue vie au temple Tsuglakhang à Mcleodganj, Dharamshala, le 5 juillet 2025. (Photo de Niharika KULKARNI / AFP)
Le chef spirituel tibétain, le Dalaï Lama, assiste à une cérémonie de prière pour une longue vie au temple Tsuglakhang à Mcleodganj, Dharamshala, le 5 juillet 2025. (Photo de Niharika KULKARNI / AFP)
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  • Le Dalaï Lama a fêté dimanche ses 90 ans « en simple moine bouddhiste » avec une prière en faveur de la paix, au terme d'une semaine de célébrations.
  • Les psalmodies des moines bouddhistes ont résonné depuis le monastère de McLeod Ganj, dans le nord de l'Inde, où le Dalaï Lama passe l'essentiel de son temps depuis qu'il a fui la répression chinoise à Lhassa, au Tibet, en 1959. 

MC LEOD GANJ, INDE : Le Dalaï Lama a fêté dimanche ses 90 ans « en simple moine bouddhiste » avec une prière en faveur de la paix, au terme d'une semaine de célébrations dans les contreforts de l'Himalaya indien, où il vit en exil.

« Je ne suis qu'un simple moine bouddhiste. D'habitude, je ne participe pas aux célébrations d'anniversaire », a-t-il déclaré dans un message, alors qu'il avait fait part la veille de son rêve de vivre « encore 30 ou 40 ans ».

Drapé dans sa robe bordeaux et son écharpe jaune, le chef spirituel des Tibétains a adressé un sourire espiègle à des milliers de fidèles avant le début des prières.

Les psalmodies des moines bouddhistes ont résonné depuis le monastère de McLeod Ganj, dans le nord de l'Inde, où le Dalaï Lama passe l'essentiel de son temps depuis qu'il a fui la répression chinoise à Lhassa, au Tibet, en 1959. 

Au fil des célébrations qui se sont étalées sur toute la semaine, Tenzin Gyatso (son nom d'état civil) n'a pas pu éviter d'aborder le sujet épineux de l'après, alors que la Chine entend bien choisir un successeur à sa place.

Extrêmement attendu sur la question, il a affirmé mercredi que l'institution serait « perpétuée », déclenchant aussitôt une réaction ferme de Pékin, qui a affirmé que tout nom devait être « approuvé par le gouvernement central ».

De son côté, l'actuel Dalaï Lama a assuré que celui qui prendrait sa suite serait « forcément né dans le monde libre ».

Il a également affirmé que la responsabilité de désigner un successeur « reposerait exclusivement sur les membres du Ganden Phodrang Trust, le bureau de Sa Sainteté le Dalaï Lama ». « Personne d'autre n'a l'autorité requise pour se mêler de cette question. »

« Le voir fêter ses 90 ans aujourd'hui me comble de bonheur, mais m'emplit aussi d'une profonde tristesse », a confié Dorje Dolma, 27 ans, qui a fui le Tibet pour l'Inde. « Sa Sainteté a toujours été comme une figure paternelle pour moi. Sa bonne santé me réjouit, mais parfois, son âge m'inquiète. » 

« Symbole durable d'amour » 

Né le 6 juillet 1935, il est devenu, dès l'âge de deux ans, le 14^e chef spirituel et politique des Tibétains, identifié par la tradition bouddhiste comme la réincarnation de son prédécesseur.

Considéré comme un dangereux séparatiste par Pékin, il a reçu le prix Nobel de la paix en 1989 et incarne désormais dans le monde entier le combat pour la liberté du Tibet.

Ce vaste territoire himalayen, d'une taille comparable à celle de l'Afrique du Sud, a été envahi en 1950 par les troupes chinoises, qui en ont fait une province de la République populaire de Chine. Tenzin Gyatso n'y a jamais remis les pieds depuis son exil en Inde.

Le chef spirituel a reçu dimanche les vœux du Premier ministre du pays qui l'accueille.

« Je me joins aux 1,4 milliard d'Indiens pour adresser nos vœux les plus chaleureux à Sa Sainteté le dalaï-lama pour ses 90 ans », a déclaré dans un communiqué Narendra Modi. 

« Il est un symbole durable d'amour, de compassion, de patience et de discipline morale », a-t-il ajouté, lui souhaitant une « bonne santé et une longue vie ».

Dans un communiqué, le chef de la diplomatie américaine, Marco Rubio, a assuré que Washington était « engagé dans la promotion du respect des droits humains et des libertés fondamentales des Tibétains ».

D'autres personnalités, comme les anciens présidents des États-Unis Barack Obama, Bill Clinton et George W. Bush, ou l'acteur Richard Gere, qui soutient sa cause depuis longtemps, ont salué l'œuvre du dalaï-lama.

L'anniversaire de ce dernier marque la fin d'une semaine entière de célébrations en l'honneur de l'un des dirigeants religieux les plus populaires au monde, apprécié pour son humour et ses enseignements.

« Bien qu'il soit important de travailler au développement matériel, il est vital de se concentrer sur la paix de l'esprit en cultivant un bon cœur et en faisant preuve de compassion, pas seulement envers ses proches, mais envers tout le monde », a-t-il fait valoir dimanche.

« Ainsi, vous contribuerez à rendre le monde meilleur. »

La fête s'est terminée par la traditionnelle dégustation du gâteau, dont Tenzin Gyatso a mangé une part sous les chants : « Joyeux anniversaire ».


Les migrants, un sujet épineux au menu du sommet franco-britannique

 Depuis le début de l'année, plus de 21 000 migrants ont traversé la Manche. (Photo AFP))
Depuis le début de l'année, plus de 21 000 migrants ont traversé la Manche. (Photo AFP))
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  • La France est accusée de ne pas en faire assez, malgré les fonds qu'elle reçoit de Londres pour financer une partie des actions visant à sécuriser la frontière.
  • Sur les six premiers mois de 2025, le nombre de migrants ayant traversé la Manche a augmenté de 48 % par rapport à la même période l'année précédente.

LONDRES : Depuis le début de l'année, plus de 21 000 migrants ont traversé la Manche, un record qui accentue la pression sur le Premier ministre britannique, Keir Starmer, à la veille du sommet franco-britannique au cours duquel des mesures visant à enrayer ces arrivées devraient être annoncées.

La page des tensions post-Brexit est tournée et les relations entre Paris et Londres se sont considérablement réchauffées. Mais un sujet reste sensible : les migrants qui arrivent en Angleterre à bord de petites embarcations depuis le nord de la France.

Les images de canots surchargés quittant les plages françaises sont régulièrement diffusées dans les médias.

La France est accusée de ne pas en faire assez, malgré les fonds qu'elle reçoit de Londres pour financer une partie des actions visant à sécuriser la frontière.

Le travailliste Keir Starmer, arrivé au pouvoir il y a un an, a promis de « reprendre le contrôle des frontières ». Le chef du gouvernement est sous la pression du parti d'extrême droite Reform UK de Nigel Farage, qui progresse dans les sondages.

« Les chiffres ne vont pas dans la bonne direction », souligne Peter Walsh, de l'Observatoire de la migration de l'université d'Oxford. 

Sur les six premiers mois de 2025, le nombre de migrants ayant traversé la Manche a augmenté de 48 % par rapport à la même période l'année précédente. Le record de 2022, avec 45 774 arrivées de migrants, pourrait bien être battu. 

Éviter les noyades 

Une loi sur le contrôle des frontières est actuellement en cours d'examen au Parlement britannique. Elle doit notamment donner davantage de pouvoir aux forces de l'ordre pour lutter contre les réseaux de passeurs.

Keir Starmer a besoin de la France, et cette question devrait être abordée lors du sommet franco-britannique de jeudi.

En février, les deux pays ont prolongé d'un an, jusqu'en 2027, le traité de Sandhurst, le cadre légal régissant les questions migratoires.

Sous la pression de Londres, Paris envisage de modifier la « doctrine » d'intervention des policiers et des gendarmes en mer afin de pouvoir intercepter les taxis-boats jusqu'à 300 mètres des côtes. Ces derniers embarquent en effet des migrants directement en mer pour éviter les contrôles sur les plages.

Selon le droit international de la mer, une fois qu'une embarcation est à l'eau, les autorités ne peuvent plus que procéder à des opérations de sauvetage. Elles n'interviennent pas pour intercepter les migrants afin d'éviter les noyades. 

La BBC a toutefois montré, vendredi, des forces de l'ordre françaises intervenant dans l'eau, non loin de la plage, et crevant un canot pneumatique chargé de migrants.

Downing Street a estimé qu'il s'agissait d'un « moment important » et s'est félicité de ces « nouvelles tactiques ».

Paris et Londres travaillent également sur un programme d'échange de migrants. Il s'agit d'un projet « pilote », selon plusieurs sources, une expérimentation qui reposerait sur le « principe un pour un ».

Le Royaume-Uni prendrait certains migrants, des « populations fragiles » selon une source française, et en échange, renverrait en France des personnes arrivées en bateau. Paris souhaiterait élargir cet accord à l'Union européenne afin que les réadmissions soient partagées entre plusieurs pays. 

L'effet Brexit 

Pourquoi le Royaume-Uni attire-t-il autant de migrants ?

Plusieurs responsables français, dont l'actuel garde des Sceaux et ancien ministre de l'Intérieur Gérald Darmanin, ont affirmé que les possibilités d'y travailler illégalement rendaient le pays particulièrement attractif.

Le gouvernement travailliste met l'accent sur la lutte contre le travail clandestin. Il affirme que les arrestations ont augmenté de 51 % de juillet 2024 à fin mai par rapport à l'année précédente.

Le chercheur Peter Walsh est toutefois sceptique quant à l'idée qu'il serait plus facile de travailler au noir au Royaume-Uni qu'en France. « Dans les deux pays, il faut prouver son droit à travailler », souligne-t-il.

« Les employeurs peu scrupuleux qui ne font pas ces vérifications risquent de sérieuses sanctions, comme en France. »

Selon lui, c'est surtout la langue et le regroupement familial qui attirent les migrants au Royaume-Uni. Il évoque également le Brexit : « Si un pays de l'UE vous a refusé l'asile, vous pouvez tenter votre chance au Royaume-Uni, qui ne sera pas informé de ce refus. »

Rishan Tsegay, une Erythréenne de 26 ans, est arrivée en Angleterre en 2015, cachée dans un camion. L'an dernier, elle est devenue citoyenne britannique et travaille comme infirmière.

Elle appelle Keir Starmer et Emmanuel Macron à offrir davantage de visas aux migrants fuyant des pays en guerre. « Ces gens viennent ici pour être en sécurité », raconte-t-elle à l'AFP. « On ne dit jamais que les réfugiés contribuent à la société, alors que certains jouent un rôle important. »

Selon le Home Office, les migrants ayant traversé la Manche entre mars 2024 et mars 2025 étaient principalement Afghans, Syriens, Érythréens, Iraniens et Soudanais.