Le trafic de filles rohingyas est une conséquence prévisible du génocide

Des réfugiés rohingyas font la queue pour recevoir des aides dans le camp de réfugiés de Kutupalong, près de Cox’s Bazar, au Bangladesh (Photo, Reuters).
Des réfugiés rohingyas font la queue pour recevoir des aides dans le camp de réfugiés de Kutupalong, près de Cox’s Bazar, au Bangladesh (Photo, Reuters).
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Publié le Mercredi 17 août 2022

Le trafic de filles rohingyas est une conséquence prévisible du génocide

Le trafic de filles rohingyas est une conséquence prévisible du génocide
  • Le mois dernier, les autorités indiennes ont commencé à enquêter sur un réseau de trafic de jeunes filles rohingyas à une échelle industrielle
  • Depuis 2017, les Rohingyas sont confinés et privés d’opportunités économiques, incapables de rentrer chez eux en raison de l’état de guerre dans lequel se trouve le Myanmar

Les guerres et les génocides entraînent de nombreuses horreurs et crimes. Beaucoup d’entre eux sont prévisibles et, à l’ère de l’information instantanée, tristement routiniers et accueillis dans l’indifférence générale. Mais sous la surface des conflits, de nouvelles profondeurs de sauvagerie peuvent souvent être cachées, et lorsqu’on les découvre, elles font froid dans le dos.

Le mois dernier, les autorités indiennes ont commencé à enquêter sur un réseau de trafic de jeunes filles rohingyas à une échelle industrielle. Six hommes ont été arrêtés dans le cadre de ce que la National Investigation Agency (NIA) indienne a qualifié de «vaste complot bien conçu visant à exploiter les migrants illégaux et à déstabiliser le ratio de population et le scénario démographique du pays».

Ce réseau couvrirait plusieurs villes, allant de la frontière avec le Bangladesh à Jammu, dans l’extrême nord du pays. La NIA soutient que cette opération de trafic a entraîné l’enlèvement des filles directement dans des camps de réfugiés au Bangladesh, où des centaines de milliers de Rohingyas sont bloqués depuis 2017. Année où ils ont été expulsés du Myanmar par l’armée birmane dans le cadre d’une campagne de génocide et de nettoyage ethnique.

Depuis, les Rohingyas sont confinés et privés d’opportunités économiques, incapables de rentrer chez eux en raison de l’état de guerre dans lequel se trouve le Myanmar. Ils se voient également refuser les documents juridiques leur permettant de rentrer chez eux.

Selon les autorités indiennes, les Rohingyas ont fait l’objet d’un trafic avec de faux passeports et sous de faux prétextes. Ils ont par ailleurs subi ce que les autorités appellent «divers types d’exploitation». Bapan Ahmed Choudhury, l’un des chefs de file du réseau, a envoyé des filles mineures à un client, ce qui a donné lieu à une plainte, après quoi M. Choudhury aurait envoyé d’autres femmes pour les remplacer.

Ces phénomènes sont horribles, mais ce ne sont pas des résultats rares de l’expulsion et du génocide. Les réfugiés bénéficient de peu de protections juridiques et de peu de sécurité physique. Ils ne sont pas surveillés de près pour leur propre sécurité. Dans les camps, ils languissent et, comme l’indiquent des rapports, des Rohingyas en Inde ont été arrêtés alors qu’ils tentaient de se rendre illégalement au Bangladesh et vice-versa.

Selon les autorités indiennes, les Rohingyas ont fait l’objet d’un trafic avec de faux passeports et sous de faux prétextes.

Dr Azeem Ibrahim

Dans une atmosphère aussi contraignante, et en l’absence d’opportunités économiques, les trafiquants en tous genres prospèrent. Ils peuvent prétendre vouloir offrir aux réfugiés des camps des conditions de vie meilleures – en leur fournissant de nouvelles identités, des documents falsifiés et le droit de travailler légalement et de vivre ailleurs – contre un certain prix.

Cependant, cette pratique est douteuse et l’industrie de la traite rajoute de l’illégalité à l’illégalité. Les personnes qui s’attendent à une nouvelle vie peuvent très rapidement être contraintes à l’esclavage et à l’indignité. Elles ne jouissent d’aucun droit et d’aucun recours si leurs trafiquants leur ont menti sur les raisons de leur déplacement d’un pays à l’autre.

C’est une situation honteuse, une conséquence prévisible du génocide et de l’expulsion que les pays ne sont que partiellement déterminés à éviter et à punir. Les autorités indiennes justifient leurs arrestations et leurs poursuites à l’encontre des trafiquants présumés en invoquant la sécurité nationale et l’intégrité économique.

L’affirmation de la NIA selon laquelle les trafiquants étaient même partiellement intéressés par la déstabilisation de la démographie de l’Inde est étrange et essentiellement hors sujet. La population de réfugiés dans l’ensemble du Bangladesh ne dépasse pas un million de personnes. Même la campagne de trafic la mieux organisée ne peut affecter la démographie d’un pays de plus d’un milliard d’habitants.

Il est décourageant de voir un raisonnement aussi nébuleux dans le cadre d’une enquête sur le trafic et l’exploitation de jeunes réfugiées mineures. Mais c’est aussi l’occasion pour le monde de prendre une nouvelle fois conscience de la situation des Rohingyas dans les camps du Bangladesh, où ils sont bloqués par les actions génocidaires du régime du Myanmar.

Leur situation économique ne s’améliore pas au fil du temps. Leur désespoir ne faiblit pas. Pour des pays comme l’Inde, même d’une manière la plus égoïste possible, il est maintenant plus clair que jamais que la justice doit être recherchée et obtenue pour que les Rohingyas puissent quitter ce cycle d’exploitation et rentrer au Myanmar.

Tant que l’armée du Myanmar conservera le pouvoir et continuera de mener ses politiques génocidaires et répressives en toute impunité, les réfugiés resteront dans le purgatoire des camps, vulnérables aux exploitations de toutes sortes.

Cette situation est une véritable leçon. Tant que les sources de déplacement des réfugiés subsisteront, ceux-ci continueront à souffrir, aussi bien dans leur pays d’origine qu’à l’étranger. Ce n’est que lorsque ces déplacements cesseront que l’Inde pourra avoir la certitude que les réseaux de trafiquants tels que celui-ci seront privés de nouvelles victimes.

 

Le Dr Azeem Ibrahim est directeur du Center for Global Policy. Il est l’auteur de l’ouvrage Les Rohingyas: à l’intérieur du génocide de Birmanie, publié aux éditions Hurst en 2017.

Twitter: @AzeemIbrahim

NDLR: L’opinion exprimée dans cette page est propre à l’auteur et ne reflète pas nécessairement celle d’Arab News en français.

Ce texte est la traduction d’un article paru sur Arabnews.com