Leur tragédie se poursuit alors que le monde choisit d'oublier les Rohingyas

Des réfugiés rohingyas recevant un traitement après leur arrivée en Indonésie. (Photo, AFP)
Des réfugiés rohingyas recevant un traitement après leur arrivée en Indonésie. (Photo, AFP)
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Publié le Samedi 31 décembre 2022

Leur tragédie se poursuit alors que le monde choisit d'oublier les Rohingyas

Leur tragédie se poursuit alors que le monde choisit d'oublier les Rohingyas
  • Depuis plusieurs années maintenant, le sort des Rohingyas, dont un million ont été cruellement et brutalement chassés de Birmanie en 2017 par l'armée du pays, a disparu de l'actualité
  • Les conditions honteuses dans les camps de réfugiés du Bangladesh doivent être prises en considération, non pas avec des mots et des flatteries, mais par des organismes internationaux et des actions diplomatiques

Le monde se concentre peu sur certaines choses. Crises et événements se succèdent. Les gens sont occupés et perdent tout intérêt. Ce qui était autrefois une actualité internationale majeure, une cause importante, peut bientôt être oublié. Mais cela reste une tragédie, en particulier pour ceux qui suivent de près le génocide, et plaident au nom de ses victimes.

Depuis plusieurs années maintenant, le sort des Rohingyas, dont un million ont été cruellement et brutalement chassés de Birmanie en 2017 par l'armée du pays, a disparu de l'actualité. De courageuses contestations judiciaires se poursuivent devant les tribunaux internationaux. Les militants continuent de faire campagne pour ceux qui sont piégés dans les camps de réfugiés au Bangladesh ainsi que pour attirer l’attention sur la complicité présumée de plateformes telles que Facebook de Meta dans le fait d’attiser le sentiment génocidaire en Birmanie, qui a conduit à ces atrocités.

Mais en toutes circonstances, c'est une lutte difficile. Ce n'est qu'occasionnellement que les crises des années précédentes conservent ou retrouvent leur importance. Généralement, il faut encore plus de tragédie pour que cela se produise. Malheureusement, il semble que les Rohingyas aient subi une telle tragédie.

L'agence des Nations unies pour les réfugiés a rapporté le fait que plus de 180 Rohingyas seraient morts après que leur bateau, surchargé et en mauvais état, a chaviré au large du Bangladesh. Toutes les personnes à bord se seraient noyées.

D'autres crises de réfugiés, notamment en Méditerranée en 2015, de même que l'arrivée récente de petites embarcations dans la Manche, ont connu leur situation la plus critique, les bateaux ayant coulé avec leurs passagers. Les réfugiés paient souvent des trafiquants pour les transporter loin de leur environnement hostile, sachant que ces profiteurs sans cœur font rarement de la sécurité de ceux qu'ils transportent une priorité.

Dans de tels moments, les sentiments de chagrin et de pitié sont naturels. Des gens se sont noyés inutilement, fuyant des destins que nous pouvions à peine imaginer et que nous n'accepterions pas pour nous-mêmes.

Cependant, je voudrais vous demander d'aller au-delà de la douleur et de l'empathie dans ce cas. Les Rohingyas sont souvent oubliés, mais leurs problèmes sont toujours réels. Plusieurs centaines de milliers de personnes sont détenues dans des camps de réfugiés à Cox’s Bazar au Bangladesh, avec peu de droits et aucune possibilité de travailler légalement.

Les Rohingyas ont peut-être disparu de la une des journaux, mais leur crise n'est pas terminée et leur sort demeure non résolu. Si cette tragédie peut nous apprendre quelque chose, que ce soit cela.

Dr Azeem Ibrahim

Le camp est insalubre, plein de criminels, les Rohingyas interrogés par les enquêteurs affirmant craindre d'être victimisés par les gardes. Les réfugiés qui s'y trouvent sont pris au piège. Ils ne peuvent pas retourner dans leur pays, désormais dirigé par la junte dont les membres ont assassiné leurs amis et leurs proches et incendié leurs villages. La Birmanie est également en état de guerre civile – passé sous silence dans le reste du monde, tant le pays est devenu isolé depuis le coup d'État militaire de l'année dernière.

Cependant, les choses ne vont pas beaucoup mieux pour les Rohingyas au Bangladesh. Le gouvernement ne veut pas d'eux et cherche à les renvoyer entre les griffes dangereuses de l’État birman. Il ne leur accordera pas de droits civiques, ni une vie et des moyens de subsistance décents.

C'est cette double menace que les réfugiés qui ont fui par bateau tentaient d'éviter. Placés dans une situation impossible, ils ont tenté une évasion improbable. Pour leur malheur, ils semblent maintenant avoir subi un pire sort.

Sauf miracle, les disparus en mer ne seront pas retrouvés. Cependant, cela ne signifie pas la fin de cette affaire. Nous devons reconnaître cette tragédie et admettre le fait que le sort des Rohingyas n'est ni réglé ni admissible.

La Cour internationale de justice déploie d'importants efforts juridiques pour que la junte birmane soit officiellement tenue responsable de ce génocide. Ce serait une étape importante et un bon début.

De nombreux groupes ethniques minoritaires et prodémocratie en Birmanie se sont organisés sous une série d'organisations parapluies internationales. Prudemment, parce que ces groupes comprennent certaines personnes qui se sont félicitées du génocide et l’ont approuvé, ils devraient s’impliquer et avoir l'occasion de prouver qu'ils peuvent envisager un État birman sans division ethnique et sans brutalité militaire écrasante.

Les conditions honteuses dans les camps de réfugiés du Bangladesh doivent être prises en considération, non pas avec des mots et des flatteries, mais par des organismes internationaux et des actions diplomatiques.

L’accueil des Rohingyas peut être considéré comme un fardeau pour le Bangladesh. Mais retrouver leurs bateaux naufragés au large des côtes dans l’indifférence totale entraîne une honte et un coût moral bien plus importants.

Les Rohingyas ont peut-être disparu de la une des journaux, mais leur crise n'est pas terminée et leur sort demeure non résolu. Si cette tragédie peut nous apprendre quelque chose, que ce soit cela.

 

• Le Dr Azeem Ibrahim est directeur des initiatives spéciales au Newlines Institute for Strategy and Policy à Washington D.C., et auteur de The Rohingyas: Inside Myanmar’s Genocide (Hurst, 2017).

Twitter: @AzeemIbrahim

NDLR: L’opinion exprimée dans cette page est celle de l’auteur et ne reflète pas nécessairement le point de vue d’Arab News en français. 

 

Ce texte est la traduction d’un article paru sur Arabnews.com