Pourquoi les entreprises devraient-elles investir dans une maladie invisible et sous-financée?

Les entreprises peuvent se mobiliser à travers Unitlife, l’initiative des Nations unies dédiée à la lutte contre la malnutrition chronique (Photo, Fournie)
Les entreprises peuvent se mobiliser à travers Unitlife, l’initiative des Nations unies dédiée à la lutte contre la malnutrition chronique (Photo, Fournie)
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Publié le Mardi 03 novembre 2020

Pourquoi les entreprises devraient-elles investir dans une maladie invisible et sous-financée?

Pourquoi les entreprises devraient-elles investir dans une maladie invisible et sous-financée?
  • La malnutrition chronique entraîne un retard de croissance, un affaiblissement du système immunitaire, ainsi que des déficiences cognitives et intellectuelles
  • Les entreprises ont également un rôle clé à jouer dans la mise en place de systèmes alimentaires qui facilitent une bonne nutrition

En 2020, 144 millions d’enfants de moins de cinq ans dans le monde souffrent de malnutrition chronique, une maladie qui se développe pendant les mille premiers jours de la vie des enfants qui n’ont pas accès à une alimentation suffisamment variée en légumes, en fruits et en aliments d'origine animale. Les conséquences sociétales de cette maladie sont dramatiques. À l’école d’abord, les enfants présentent des difficultés d’apprentissage. Une fois devenus adultes, ils sont peu productifs et coûtent plus cher au système de santé. Dans certains pays, le coût de la malnutrition atteint 16 % du produit intérieur brut (PIB).

Les mesures prises pour lutter contre la pandémie de la Covid-19 ont plongé l’économie mondiale dans une récession sans précédent. Les régions les plus vulnérables n’ont pas été épargnées. En Asie du Sud et en Afrique subsaharienne, régions où 1 enfant sur 3 de moins de cinq ans est atteint de malnutrition chronique, l’activité économique devrait se contracter à hauteur de 2,7 % et de 2,8 % du PIB. Alors même que les gouvernements du monde entier mettent en place des mesures visant à favoriser une reprise rapide de la croissance, il serait opportun d’encourager les investissements dans le secteur de la nutrition afin d’accélérer la croissance économique. En effet, investir dans le secteur de la nutrition est très rentable: pour chaque dollar (1 dollar = 0,86 euro) investi dans le secteur, 15 dollars reviennent à l’économie locale.

 

Avec des transactions se montant à 17 milliards de dollars pour l’année 2020, les transactions sur le e-commerce au Moyen-Orient pourraient permettre à plus de 300 000 enfants d’accéder à une alimentation saine de façon durable, et ce avec une contribution de seulement 0,1 % de la valeur totale des transactions de l’année

Philippe Douste-Blazy

Les entreprises peuvent se mobiliser à travers Unitlife, l’initiative des Nations unies dédiée à la lutte contre la malnutrition chronique, qui finance des systèmes alimentaires nutritifs et investit dans l’autonomisation des femmes et une agriculture intelligente face au climat. Unitlife propose aux entreprises des mécanismes de financement innovant, leur permettant ainsi de s’engager de manière durable dans la prévention de la malnutrition chronique, en intégrant à leurs opérations des microcontributions. Ainsi, avec des transactions se montant à 17 milliards de dollars pour l’année 2020, les transactions sur le e-commerce au Moyen-Orient pourraient permettre à plus de 300 000 enfants d’accéder à une alimentation saine de façon durable, et ce avec une contribution de seulement 0,1 % de la valeur totale des transactions de l’année. Les estimations indiquent que le montant des transactions du secteur devrait dépasser 27 milliards de dollars d’ici à 2025. Ce sont donc des ressources importantes qui pourraient être mobilisées, afin de préserver le capital humain des générations futures.

Les entreprises ont également un rôle clé à jouer dans la mise en place de systèmes alimentaires qui facilitent une bonne nutrition. Des solutions existent, notamment la fortification alimentaire, qui consiste à apporter des nutriments à des niveaux plus élevés que ceux trouvés dans les aliments d’origine, ainsi que la biofortification, ou l’augmentation de la teneur en micronutriments directement dans les cultures de subsistance dont se nourrissent les populations les plus touchées par la malnutrition chronique. Ces méthodes durables et ciblées sont portées par l’ingéniosité du secteur privé, et permettent d’améliorer la valeur nutritionnelle des aliments. Plus largement, les partenariats avec les petits agriculteurs devraient être renforcés, dans le but de promouvoir une diversité dans la production, et des semences hautement nutritives, y compris des variétés locales adaptées au climat. Cela contribuerait à assurer la sécurité alimentaire et nutritionnelle des populations vulnérables. Enfin, l’accent devrait également être mis sur les innovations le long de la chaîne de valeur alimentaire, notamment dans l’entreposage des cultures, la transformation et la conservation des aliments, afin que les aliments conservent leur valeur nutritive jusque dans les assiettes des consommateurs.

Investir dans la nutrition est d’autant plus urgent que les perturbations sans précédent causées par l’épidémie de Covid-19 sur les systèmes de santé des pays et l’économie mondiale ont exacerbé la crise de la malnutrition, mettant en péril la capacité de toute une génération d’enfants à atteindre leur plein potentiel. En effet, les restrictions imposées à la suite de la pandémie ont provoqué des pertes de revenus et des perturbations dans les chaînes de valeurs alimentaires, ce qui a rendu les aliments riches en nutriments à la fois moins accessibles et moins abordables pour des millions de familles. Nous savons aujourd’hui qu’un repas sain coûte plus d’1,90 dollar, soit un montant supérieur au seuil de pauvreté globalement admis. Cela veut dire que les personnes vivant dans l’extrême pauvreté n’ont pas les moyens de manger sainement, alors même que la pandémie devrait plonger au minimum 83 millions de personnes supplémentaires dans la faim. Au total, ce sont près de trois milliards de personnes sur la planète qui n’auront plus accès à une alimentation saine, nutritive, et suffisamment diversifiée.

Par conséquent, pour les entreprises, le statu quo n’est plus une option car il en va de l’avenir de nos sociétés. Leur soutien permettrait de prévenir durablement et globalement la malnutrition chronique.


Philippe Douste-Blazy est un homme politique français, diplomate et ancien ministre, fondateur de l’ONG Unitaid, organisation hébergée par l’Organisation des nations unies (ONU), En 2019, il est élu président du Conseil d’administration du fonds onusien Unitlife.

NDLR : L’opinion exprimée dans cette page est propre à l’auteur et ne reflète pas nécessairement celle d’Arab News en français.