Le dialogue est essentiel pour affronter le «problème musulman» en France

Le président français Emmanuel Macron présente sa stratégie de lutte contre le séparatisme, aux Mureaux, près de Paris, le 2 octobre 2020 (Reuters)
Le président français Emmanuel Macron présente sa stratégie de lutte contre le séparatisme, aux Mureaux, près de Paris, le 2 octobre 2020 (Reuters)
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Publié le Jeudi 05 novembre 2020

Le dialogue est essentiel pour affronter le «problème musulman» en France

Le dialogue est essentiel pour affronter le «problème musulman» en France
  • Le principal enjeu pour les musulmans français est pourtant socio-économique ; il porte sur la scolarisation, l'intégration sociale et les opportunités économiques
  • Au cours des huit dernières années, 36 attentats terroristes attribués aux musulmans ont été perpétrés dans le pays

L'extrémisme religieux n'est pas l'apanage des musulmans. Les actions des zélotes bouddhistes au Myanmar, des fondamentalistes juifs en Israël et des chrétiens suprémacistes blancs aux États-Unis le prouvent.

Il existe, certes, d'autres exemples, mais au cours des deux dernières décennies, l'accent a été mis sur les différents mouvements islamistes ayant adopté un dogme révisionniste et violent, rejeté par la majorité des musulmans dans le monde. En effet, Al-Qaëda, et encore moins Daech, ne représentent pas vraiment les croyances et les pratiques quotidiennes de plus d'un milliard de musulmans.


En déclarant le mois dernier que « l'Islam est une religion qui vit une crise aujourd'hui, partout dans le monde », le président français Emanuel Macron a en réalité généralisé et créé un stéréotype erroné, insultant et trompeur. Par ailleurs, M. Macron devrait distinguer entre la foi qui est adoptée par des milliards de personnes et ce qui est aujourd'hui appelé « l'Islam politique », sous ses différentes formes.

M. Macron ferait mieux de se concentrer sur l'état des cinq millions de citoyens musulmans de France, qui sont pour la plupart nés dans le pays. Il devrait plutôt examiner les causes de la radicalisation des jeunes musulmans du pays.

Ses propos ont soulevé une colère générale chez les musulmans du monde entier et des voix se sont élevées pour boycotter les produits français. Malheureusement, peu de temps après le discours de Macron, un jeune Tchétchène a assassiné, le 16 octobre, un professeur français qui avait présenté des dessins animés blasphématoires à ses élèves. Le 29 octobre, un immigrant tunisien a attaqué des fidèles dans une église catholique de Nice, tuant trois d'entre eux.

Ces meurtres révoltants sont unanimement condamnés, en particulier par les musulmans français. Rien ne peut justifier le meurtre des innocents au nom de la religion — n'importe quelle religion.


À la suite de ces deux incidents, Emmanuel Macron aurait dû faire preuve du leadership moral qui est de rigueur dans une société polarisée. Bien avant ces terribles meurtres, il aurait dû entamer un dialogue avec les organisations musulmanes en France dans la perspective de relever les défis qui se posent à une majorité de musulmans français, en particulier lorsque l'État ne parvient pas à intégrer nombre d'entre eux dans la société. Même si les organisations traditionnelles ont adopté les principes de la République française, notamment la séparation de l'Église et de l'État, les personnes marginalisées se sentent exclues et sont ainsi des proies faciles pour les extrémistes.

La France vit le problème musulman depuis un certain temps. Au cours des huit dernières années, 36 attentats terroristes attribués aux musulmans ont été perpétrés dans le pays. Cette semaine, M. Macron a déclaré qu'il comprenait le sentiment des musulmans à l'égard des caricatures offensives.

« Je comprends qu'on puisse être choqué par ces caricatures et je le respecte », a-t-il déclaré. « Je n'accepterai jamais qu'on puisse justifier la violence pour répondre à ces caricatures. La liberté de dire, d'écrire, de penser, de dessiner, c’est ma vocation de les protéger ».

Ainsi, il convient de trouver un terrain d'entente où les principes de la République et la liberté de culte peuvent coexister sans ingérence étrangère. Le dialogue et la coopération, plutôt que l'incitation, doivent être utilisés à cette fin.

Cette semaine, plus de 20 organisations musulmanes européennes ont exhorté le président français à mettre fin à sa « rhétorique de division » et à faire preuve de responsabilité morale. Dans une lettre ouverte, ces organisations ont affirmé que « calomnier l'Islam et vos propres citoyens musulmans, fermer les mosquées principales, ainsi que les organisations musulmanes et humanitaires, et profiter de cette situation pour attiser davantage la haine, n'a fait qu'encourager davantage les racistes et les extrémistes violents ».

Le principal enjeu pour les musulmans français est pourtant socio-économique ; il porte sur la scolarisation, l'intégration sociale et les opportunités économiques. L'État a bien raison de freiner l'intervention étrangère, mais il doit également proposer des alternatives et donner aux jeunes musulmans français la possibilité de réussir. M. Macron, dans son discours controversé, a lui-même admis que les citoyens musulmans de France ont été déçus par les gouvernements successifs. Il a affirmé que la France a créé son propre « séparatisme » en déversant les pauvres dans des ghettos de banlieue, leur offrant des logements médiocres et très peu d'emplois.

M. Macron devrait se méfier des vagues d'islamophobie qui sévissent en France et qui cibleraient des millions de musulmans modérés qui respectent la loi. Des études montrent que seule une minorité de musulmans français embrasse une conception radicale, paranoïaque et anti-occidentale de l'islam.

Rien ne peut justifier le meurtre des innocents au nom de la religion — n'importe quelle religion.

Pour M. Macron et ses ministres, évoquer la guerre civile, la lutte jusqu'à la mort et la France assiégée n'est pas la meilleure façon de résoudre la crise islamiste que connaît le pays. Des nuages sombres se dessinent alors que l'extrême droite se prépare à prendre le pouvoir lors des prochaines élections ; elle parie sur la montée de la haine et de la méfiance au sein de la société française.

D'un autre côté, il ne faut pas succomber à la rhétorique opportuniste du président turc Recep Tayyip Erdogan qui cible M. Macron. Son bras de fer avec le président français transcende la religion et revêt un caractère purement politique. Le discours d'Erdogan est à la fois périlleux et téméraire. Son approche controversée en matière de politique régionale n'a fait que saper sa crédibilité, que ce soit en Turquie ou à l'étranger.

Son recours à la religion pour mobiliser ses partisans cherche à diviser et ne sert à rien de positif.

Vendredi dernier, le Conseil français du culte musulman a transmis un sermon aux mosquées qui disait que « le droit permet aux caricaturistes de caricaturer mais ce même droit permet aussi aux musulmans de ne pas aimer ces caricatures, voire de les détester. Mais rien ne peut justifier le meurtre ».

C'est là le message que les musulmans français devraient adopter.

 

Osama Al-Sharif est un journaliste et commentateur politique basé à Amman. Twitter : @plato010

NDLR : L’opinion exprimée dans cette page est propre à l’auteur et ne reflète pas nécessairement celle d’Arab News en français.

Ce texte est la traduction d'un article paru sur Arabnews.com