Israël semble prêt à créer n'importe quel scénario susceptible de diviser et d'affaiblir la région. Derrière cette stratégie se dessine la vision du Premier ministre Benjamin Netanyahou : forger un « nouveau Moyen-Orient ». Les conséquences géopolitiques de l’attaque du Hamas contre Israël, le 7 octobre 2023, ont offert à Netanyahou et à ses alliés les plus idéologiquement radicaux une opportunité unique d’accélérer un projet ancien : celui d’un Grand Israël, véritable superpuissance régionale incontestée, une forme de "Pax Judaica".
En Irak, comme en Syrie, au Liban ou en Libye, la nouvelle génération de dirigeants israéliens, une alliance entre ultranationalistes et extrémistes ultrareligieux, semble convaincue que, pour permettre à Israël de s’imposer comme puissance hégémonique régionale, il faut démanteler le modèle des États-nations multiethniques et multiconfessionnels. L’enjeu : faire en sorte qu’Israël, État essentiellement juif, ne soit plus perçu comme une exception. Pour atteindre cet objectif, la stratégie consiste à fragmenter les États-nations qui résistent, en les remplaçant par de mini-États ethnoreligieux, alignés sur les intérêts israéliens.
Selon cette vision stratégique, un tel scénario serait particulièrement efficace au Liban et en Syrie, où cohabitent de nombreuses minorités ethniques et religieuses. L’idée de partition ou d’indépendance a d’ailleurs été, à plusieurs reprises depuis l’effondrement de l’Empire ottoman, portée par certains de ces groupes au Liban, en Irak et en Syrie. Israël a su tirer profit de ces dynamiques minoritaires pour fragiliser les structures étatiques existantes, incitant ainsi à l’éclatement de conflits civils et sectaires sanglants.
Il est donc absurde et cynique pour Israël de menacer et de tenter de déstabiliser le nouveau régime syrien sous prétexte de voler au secours d’un groupe minoritaire, en l'occurrence, les Druzes syriens. Israël a profité des récents affrontements entre les forces de sécurité de l'État et des militants druzes pour lancer un avertissement sévère au président Ahmad al-Charaa et à son gouvernement. Cet avertissement s’est traduit sous forme de frappe aérienne près du palais présidentiel à Damas la semaine dernière.
Israël a profité des récents affrontements entre les forces de sécurité et les militants druzes pour lancer un avertissement sévère à al-Charaa et à son gouvernement.
Oussama Al-Sharif
En décembre dernier, Israël n'a pas eu besoin d'excuse pour envoyer ses chars dans la zone tampon de 1974 sur le plateau du Golan, quelques jours après la chute de Bachar al-Assad. Israël n'a subi ni provocation ni attaque, mais son armée a pris le contrôle du reste du Golan syrien et s'est aventurée plus profondément dans certaines parties du sud de la Syrie, tentant d'atteindre Soueïda, une province majoritairement peuplée par les Druzes.
Netanyahou et ses partenaires gouvernementaux extrémistes ont clairement passé le message qu’Israël est prêt à rester en Syrie pour une durée illimitée. L’aviation israélienne a mené de nombreuses frappes ciblées contre des infrastructures stratégiques de l’armée syrienne, notamment des aéroports, des batteries de défense aérienne et des bases navales. L’invasion et l’agression israéliennes s’inscrivent dans une stratégie délibérée, pensée comme une étape d’un projet régional plus vaste.
Il n'est pas nécessaire de chercher plus loin pour comprendre les véritables motivations d'Israël en Syrie que le ministre israélien des Finances, Bezalel Smotrich, dont le Parti sioniste religieux est un partenaire majeur de la coalition d'extrême droite. Lors d'un événement organisé en Cisjordanie la semaine dernière avant le Jour du Souvenir, Smotrich a déclaré qu'Israël ne cesserait les combats qu'après la partition de la Syrie et le déplacement de « centaines de milliers » de Palestiniens de Gaza.
Quelles que soient les déclarations et les avertissements israéliens, le nouveau régime de Damas doit s'engager à garantir aux groupes minoritaires leur place dans une Syrie unie, où tous les citoyens sont égaux. C'est la seule voie pour restaurer l'unité nationale et assurer l'intégrité territoriale du pays. Cependant, jusqu'à présent, le régime a été vivement critiqué pour les événements sanglants survenus en mars dans les villes côtières syriennes, où réside une large population d'Alaouites.
Des accusations de luttes intestines sectaires ont été rapportées dans d'autres régions de la Syrie. Le nouveau gouvernement de Damas doit assurer la protection de tous les Syriens, sans distinction d'origine ethnique ou de religion.
Jusqu'à présent, al-Charaa et son ministre des Affaires étrangères, Asaad al-Shaibani, ont formulé les bonnes paroles : ils ont prôné l'unité nationale, dénoncé toute rhétorique sectaire et appelé au retrait israélien du territoire syrien. Dans un discours prononcé à l'ONU la semaine dernière, al-Shibani a déclaré : « Nous avons réitéré notre engagement à ce que la Syrie ne constitue aucune menace pour aucun des pays voisins ni pour aucun pays du monde, y compris Israël.»
Israël est clairement l'agresseur en Syrie. Son affirmation selon laquelle il intervient pour assurer la protection des Druzes syriens est à la fois trompeuse et ironique. L'État syrien protège ses citoyens et non un pays étranger. L'approche d'Israël est fondamentalement néocoloniale.
Il suffit d'observer le traitement réservé par Israël à ses propres minorités, notamment ses citoyens non juifs, pour prouver l'hypocrisie et la fausseté de ses affirmations. Bien que la Déclaration d'indépendance d'Israël stipule l'égalité juridique pour tous les citoyens, d'importantes disparités minent les populations palestinienne, druze et bédouine du pays. Ces disparités se manifestent dans de multiples domaines de la vie publique et privée, défavorisant environ 21% des citoyens israéliens. Ces disparités se traduisent dans les inégalités économiques, sociales et politiques du pays, touchant principalement les Palestiniens et les Bédouins.
Il suffit d'observer le traitement réservé par Israël à ses propres minorités, notamment ses citoyens non juifs, pour prouver l'hypocrisie et la fausseté de ses affirmations.
Oussama Al-Charif
La loi israélienne la plus discriminatoire est sans doute la loi « État-nation » de 2018. Cette loi a marqué un tournant en définissant Israël comme « le foyer national du peuple juif », sans assurer l'égalité entre tous ses citoyens. Elle a également rétrogradé l'arabe, passant de langue officielle à « statut spécial ». Pour de nombreux citoyens non juifs, comme les Druzes, qui servent dans l'armée, cette loi a renforcé leur sentiment d'être considérés comme des citoyens de second rang.
Une observation plus approfondie sur les disparités et la ségrégation ouvre le débat sur le système éducatif, où les écoles arabes reçoivent un financement par élève inférieur à celui des écoles juives. Le système judiciaire constitue un autre domaine d'inégalité pour les citoyens palestiniens, soumis à des interventions policières accrues et confrontés à des réponses moins favorables aux violences intracommunautaires. Cela a contribué à une disparité dramatique des taux de criminalité, les Palestiniens représentant 60 à 70% des victimes de meurtre, alors qu'ils ne représentent que 21% de la population.
D'autres problèmes sociaux, économiques et politiques se posent, où les minorités palestinienne, druze et bédouine en Israël témoignent de discriminations et d'inégalités. Bien sûr, il est impossible de passer sous silence le système d'apartheid israélien, qui frappe plus de 5 millions de Palestiniens vivant sous une occupation militaire brutale en Cisjordanie et à Gaza.
Le bilan d'Israël vis-à-vis des minorités est d'une tristesse accablante. Les minorités syriennes doivent prendre conscience du jeu dangereux auquel Israël se livre, un jeu dont l'objectif final dépasse tout intérêt ou bien-être local. Les Druzes de Syrie ont massivement rejeté les ouvertures de Tel-Aviv, mais la détermination d'Israël à réaliser ses ambitions restera difficile à entraver. Ce qu'Israël craint par-dessus tout, c'est une Syrie unie le long de sa frontière.
Osama Al-Sharif est journaliste et commentateur politique basé à Amman. X: @plato010
NDLR: L’opinion exprimée dans cette page est propre à l’auteur et ne reflète pas nécessairement celle d’Arab News en français.
Ce texte est la traduction d’un article paru sur Arabnews.com