PRATS DE MOLLO: Au fond de la vallée du Haut Vallespir, dans les Pyrénées orientales, le village de Prats-de-Mollo vit au rythme de la station thermale de la Preste, lovée à flanc de montagne, et tourne au ralenti lorsqu'elle est fermée.
"Les thermes, c'est le poumon économique du village", assure à l'AFP Alexandra Ramoneda, directrice du centre spécialisé dans le traitement des affections urinaires et des rhumatismes.
A la périphérie de Prats-de-Mollo, la station emploie une soixantaine de personnes venant en grande majorité de ce village, situé à 60 km de Perpignan, ou des communes environnantes.
Créée autour d'une source exploitée pour ses vertus dès le XIVe siècle, elle accueille environ 3 000 curistes par an d'avril à novembre, contre 4 000 et 27 000 au Boulou et à Amélie-les-Bains, ses voisines.
"C'est une petite station thermale (...) c'est très familial, très sympathique", explique Dominique Laverdure, 72 ans, qui y vient pour la deuxième fois chercher un soulagement à son arthrose.
L'établissement, géré par la Chaîne thermale du soleil, compte des habitués, tant parmi sa clientèle que ses employés.
"J'y suis depuis neuf ans", précise Anaïs Folloppe, 36 ans, dont le compagnon travaille aussi dans la station. Avant eux, la mère d'Anaïs y était employée.
A Prats-de-Mollo où vit le couple, en contrebas, la majorité des habitants sont ainsi liés de près ou de loin au centre thermal.
Saisonnalité
"Les cures font directement vivre plus de 60 familles. Sur un village de 1 000 habitants, c'est quand même beaucoup!", relève Ludovic Aggery, 36 ans, gérant d'un bistrot.
"Et là, on ne parle que des gens qui y travaillent", souligne-t-il. Commerces, restaurants et hôtels comptent eux aussi sur le tourisme thermal.
"Les curistes viennent matin et soir, boire un café, jouer aux jeux ou m'acheter des timbres", explique-t-il, précisant que "cela représente environ 30%" de sa clientèle.
Par ailleurs, "beaucoup de gens du village ont au moins un meublé qu'ils louent par habitude à des curistes", rapporte Pascale Raynaud, responsable de l'office du tourisme.
Alors, quand la saison se termine, le village s'endort. "A partir du mois de novembre, ça se calme, il n'y a plus personne" jusqu'à la réouverture en avril, raconte Paloma Borrat, 28 ans, agricultrice et ex-employée des thermes.
Pendant ces quatre mois, plusieurs hôtels, restaurants et commerces ferment. D'autres, comme la mercerie d'Emmanuelle Dunyach dite "Manou", restent ouverts malgré la moindre affluence. "On ralentit", soupire-t-elle.
La commerçante, qui vend "un peu de tout", est une familière des curistes. Depuis 1950, sa famille leur propose maillots de bain, cadeaux, vêtements et bien sûr articles de couture car "les curistes sont là pendant trois semaines, donc ils ont toujours besoin de quelque chose".
Côté saisonniers, si certains trouvent de courts remplacements dans le secteur du soin, d'autres restent au chômage, faute d'opportunités, ou en profitent pour se reposer, tels Anaïs et son compagnon.
"Pendant huit mois, on travaille six jours sur sept", explique-t-elle. Les quatre mois de coupure leur permettent de récupérer avant la saison suivante.
Le thermalisme, ambiguïté constante entre médecine et loisirs selon un sociologue
Le monde du thermalisme a toujours balancé entre aspirations médicales et univers de loisirs, un tiraillement encore sensible aujourd'hui à travers les différences d'une ville à l'autre, explique à l'AFP le sociologue Adrien Sonnet, spécialiste du secteur.
Q: Quelle est l'histoire des cures thermales en France ?
R: Aux XVIIe et XVIIIe siècles, le thermalisme se construit d'abord sur une identité médicale. L'État joue un rôle de catalyseur; d'une part, il pose le cadre juridique d'une activité résolument médicale, d'autre part, il favorise directement le développement des villes thermales (par exemple) en investissant dans la construction d'infrastructures.
À partir de la seconde moitié du XIXe siècle et surtout après 1875, les stations thermales vont s'autonomiser, à mesure que les élus locaux augmentent leur liberté. Parallèlement, des lois sont votées en faveur du développement touristique des villes. Et le chemin de fer se développe, permettant à des clientèles fortunées de venir dans ces villes.
Les villes thermales ont alors une identité à la fois médicale et touristique, avec des loisirs sportifs et culturels. Ca perdure jusqu'à la fin des années 1930.
Cette identité se transforme radicalement après la Seconde guerre mondiale, avec la création de la Sécurité sociale et le remboursement des soins thermaux.
L'Etat, en faisant ce choix, transforme l'identité des villes. Il stimule leur économie, mais les place aussi dans un rapport de dépendance: vis-à-vis des médecins prescripteurs et vis-à-vis de la Sécurité sociale.
En effet, leur image est bientôt moins associée à la fête et aux plaisirs multiples qu'à la maladie et au vieillissement. +Dépoussiérer+ l'image de +villes de vieux+, pour reprendre la parole de certains élus locaux rencontrés, devient alors une préoccupation dans de nombreuses villes thermales.
Q: Le thermalisme a-t-il souffert de cette évolution ?
Il y a une crise de la fréquentation entre 1993 et 2009. Une forte pression est mise à cette époque-là sur le monde thermal: ils est concurrencé par d'autres lieux comme les stations de thalassothérapie qui, elles, ont fait d'importants travaux de modernisation. D'autre part, l'Etat commence alors à penser à ne plus rembourser la médecine thermale.
Ce que vont faire les acteurs thermaux tout au long des années 2000, c'est s'organiser à l'échelle nationale.
Ils créent des guides de bonnes pratiques que tous les établissements vont mettre en oeuvre, pour ne plus être aux yeux de l'Etat une activité potentiellement dangereuse et une activité qui coûte trop cher.
Surtout, ils lancent toute une série d'études, avec un investissement financier assez important, pour démontrer le service médical rendu . Le secteur a, ainsi, largement réussi à réduire son infériorité dans le rapport de force avec l'Etat et l'Assurance Maladie.
Q: Le thermalisme a-t-il finalement choisi son camp entre médecine et loisirs?
R: Il y a une tension (et) des stratégies différentes à l'échelle locale. A Dax, les acteurs ont plutôt fait le choix de se différencier en communiquant sur l'idée d'un territoire de +l'excellence thermale+: +Vous avez des problèmes de santé, venez à Dax, notre eau est fantastique+.
A Bagnoles-de-l'Orne, il y a eu une stratégie complètement inverse qui met les bouchées doubles sur le marché touristique du bien-être: par exemple la création d'une résidence tourisme quatre étoiles pour attirer une clientèle plus jeune, parisienne, qui va venir plutôt les week-ends...
Ces pistes de diversification touristique ont explosé à partir des années 2010 mais le secteur n'a jamais repris ce discours à l'échelle nationale.
Il existe probablement, du côté des dirigeants du monde thermal, une crainte d'être identifiés à une forme de +tourisme de santé+, comme c'était le cas avant 1945, et de se voir déremboursés.
Un curiste, «21 nuitées»
Après deux années difficiles en raison de la crise de la Covid-19, la saison 2022 a apporté une respiration au village, mais pas de vrai soulagement.
La directrice des thermes dit espérer un "bilan de 2 000 curistes" à la fin d'une saison impactée par une baisse de fréquentation, notamment liée à l'élection présidentielle qui a pénalisé les réservations au printemps.
Par ailleurs, un "problème de navettes" a entravé cette année les trajets des curistes vers le village, pénalisant les commerces, regrette Emmanuelle Dunyach.
Dans ce contexte, le débat sur le déremboursement des cures qui a ressurgi cet automne inquiète. "Si les thermes ferment, on n'aura plus qu'à déménager", déplore la mercière.
"Le thermalisme est vital pour cette vallée", estime Claude Ferrer, maire du village et président de la communauté de communes du Haut Vallespir.
Si Prats-de-Mollo compte un fort médiéval et plus d'une trentaine d'itinéraires de randonnées aux alentours, le "tourisme vert" ne permettrait pas, selon lui, de compenser une baisse de fréquentation thermale: "un curiste c'est 21 nuitées, donc il faut beaucoup de touristes pour compenser la non venue d'un curiste".