La crise ukrainienne a revitalisé l'Otan

L'Otan compte 30 pays membres (Graphique, AFP).
L'Otan compte 30 pays membres (Graphique, AFP).
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Publié le Lundi 31 octobre 2022

La crise ukrainienne a revitalisé l'Otan

La crise ukrainienne a revitalisé l'Otan
  • Grâce au parapluie de sécurité américain, le continent européen a connu une longue période de stabilité après la Seconde Guerre mondiale
  • Une nouvelle architecture de défense devrait voir le jour lorsque la poussière sera retombée, l’Allemagne pourrait devenir l'épine dorsale de la défense de l'Europe

Le président français, Emmanuel Macron, a affirmé il n'y a pas si longtemps que l’Organisation du Traité de l'Atlantique Nord (OTAN) connaissait une «mort cérébrale». Il a tenu ces propos dans une interview accordée en octobre 2019 à l'hebdomadaire britannique The Economist.  Son évaluation était en partie fondée sur la manière démente dont Donald Trump menait sa politique étrangère et sur la façon dont il traitait les pays européens de l'OTAN. Sur la question cruciale de l'article 5 du traité de l'Atlantique Nord, qui constitue le cœur de la dissuasion de l'OTAN, Macron s'est interrogé: «Que signifiera l'article 5 demain ?»
Cependant, beaucoup de choses ont changé depuis l'éclatement de la crise ukrainienne et l'OTAN ne semble plus en état de mort cérébrale. Cela tient sans doute du fait que de nombreux pays européens ont le sentiment que la menace est à leur porte.
Afin de mieux comprendre ce que l'OTAN pourrait faire en cas de confrontation militaire, examinons de plus près le texte de l'article 5. Celui-ci stipule que «les parties conviennent qu'une attaque armée contre l'une ou plusieurs d'entre elles survenant en Europe ou en Amérique du Nord sera considérée comme une attaque dirigée contre toutes les parties, et en conséquence elles conviennent que, si une telle attaque se produit, chacune d'elles, dans l'exercice du droit de légitime défense, individuelle ou collective, reconnu par l'article 51 de la Charte des Nations unies, assistera la partie ou les parties ainsi attaquées en prenant aussitôt, individuellement et d'accord avec les autres parties, telle action qu'elle jugera nécessaire, y compris l'emploi de la force armée, pour rétablir et assurer la sécurité dans la région de l'Atlantique Nord.»
L'article indique clairement que chaque pays membre prendra «telle action qu'il jugera nécessaire». Cette action peut être une déclaration de guerre contre un pays agresseur. Elle peut aussi se limiter à la publication d'une déclaration forte condamnant le pays agresseur.
Grâce au parapluie de sécurité américain, le continent européen a connu une longue période de stabilité après la Seconde Guerre mondiale. C'est l'Allemagne qui a le plus largement bénéficié de ce parapluie, car elle a pu consacrer ses ressources au développement économique. Hormis les interventions soviétiques en Hongrie en 1956 et le Printemps de Prague en République tchèque en 1968, l'Europe n'a pas connu d'affrontements majeurs.
L'invasion russe en Ukraine a incontestablement revitalisé l'OTAN. Elle pourrait bien continuer à renforcer l'alliance, mais cette dernière ne retrouvera peut-être pas la vitalité de ses premières décennies. Les organisations internationales vieillissent elles aussi au fil des ans.


L'attitude des membres européens de l'OTAN varie en fonction de leur perception de la menace que représente la Russie.
 Yasar Yakis


L'attitude des membres européens de l'OTAN varie en fonction de leur perception de la menace que représente la Russie. Les pays baltes se sentent davantage menacés car ils limitent l'accès de la Russie à la haute mer. La Roumanie et la Bulgarie craignent que la menace ne frappe à leur porte.  Des pays comme l'Espagne et le Portugal, quant à eux, doivent considérer la Russie comme faisant partie de l'équilibre mondial des pouvoirs.
La Turquie a toujours été un cas particulier dans l'OTAN car, jusqu'au démembrement de l'Union soviétique, elle était le seul pays à avoir une frontière commune avec elle. Elle a donc bénéficié de la faveur et du soutien de l'OTAN.
Cependant, les États-Unis ont toujours traité la Turquie comme un outsider auquel ils pouvaient imposer toute mesure de politique étrangère. Un célèbre échange de lettres a eu lieu en 1962 entre le président américain de l'époque, Lyndon Johnson, et le Premier ministre turc, Ismet Inonu. Lorsque la Turquie prévoyait une opération militaire à Chypre, Johnson a envoyé une lettre signalant que, si l'opération avait lieu, l'article 5 de la Charte de l'OTAN pourrait ne pas être utilisé si Moscou attaquait la Turquie. Les doutes de Macron concernant la valeur de l'article 5 ont donc été mis à l'épreuve dès 1962.
Les États-Unis ont imposé un embargo sur les armes à leur allié de l'OTAN en raison de l'intervention militaire de la Turquie à Chypre. Un embargo sur son propre allié n'était rien d'autre qu'une mesure qui affaiblirait l'alliance, mais les États-Unis l'ont quand même imposé. L'expulsion en 2019 de la Turquie du programme de développement de l'avion de combat américain F-35 est la mesure la plus récente prise par les États-Unis contre leur allié de l'OTAN.
Indépendamment de ses relations houleuses avec Ankara, l'OTAN émergera certainement de la crise ukrainienne en tant qu'alliance plus solide. Une nouvelle architecture de défense devrait voir le jour lorsque la poussière sera retombée en Europe. L'Allemagne pourrait devenir un acteur plus fort. Au début des années 1950, on disait que l'OTAN avait été créée pour «garder les Russes à l'extérieur, les Américains à l'intérieur et les Allemands sous tutelle». Cette même Allemagne pourrait maintenant devenir l'épine dorsale de la défense de l'Europe.
Le politologue américain d'origine japonaise Francis Fukuyama a publié en 1992 un livre intitulé La fin de l'histoire et le dernier homme. Il pensait que les démocraties libérales et le capitalisme de libre marché deviendraient la dernière forme de gouvernement humain.
Cependant, contrairement à Fukuyama, nous ne sommes pas près de la fin de l'histoire.

Yasar Yakis est un ancien ministre des Affaires étrangères de Turquie et membre fondateur du parti AKP au pouvoir. Twitter: @yakis_yasar
NDLR: L’opinion exprimée dans cette page est propre à l’auteur et ne reflète pas nécessairement celle d’Arab News en français.
Ce texte est la traduction d’un article paru sur Arabnews.com