Erdogan cherche à jouer un rôle plus important dans les relations russo-ukrainiennes

Le président turc, Recep Tayyip Erdogan, et le président ukrainien, Volodymyr Zelensky, lors de leur réunion à Lviv, en Ukraine (Photo, AFP).
Le président turc, Recep Tayyip Erdogan, et le président ukrainien, Volodymyr Zelensky, lors de leur réunion à Lviv, en Ukraine (Photo, AFP).
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Publié le Mardi 30 août 2022

Erdogan cherche à jouer un rôle plus important dans les relations russo-ukrainiennes

Erdogan cherche à jouer un rôle plus important dans les relations russo-ukrainiennes
  • Plusieurs questions ont été débattues lors de cette réunion, la plus importante étant la menace dirigée contre la plus grande centrale nucléaire d’Europe, située à Zaporijia, en Ukraine
  • Près d’une semaine après le sommet de Lviv, M. Erdogan a répété que la Turquie ne reconnaissait pas l’annexion de la Crimée par la Russie en 2014 et que la péninsule devait être restituée à l’Ukraine

Le président turc, Recep Tayyip Erdogan; le président ukrainien, Volodymyr Zelensky, et le secrétaire général de l’Organisation des nations unies (ONU), Antonio Guterres, se sont rencontrés ce mois-ci à Lviv, dans l’ouest de l’Ukraine. La composition de la délégation qui accompagnait M. Erdogan donne une idée de ce qu’il avait l’intention de faire en Ukraine. Celle-ci comprenait les ministres de la Défense et du Commerce, ainsi que le président de l’industrie de la défense, entre autres.

Plusieurs questions ont été débattues lors de cette réunion, la plus importante étant la menace dirigée contre la plus grande centrale nucléaire d’Europe, située à Zaporijia, en Ukraine. Il existe des rapports contradictoires sur les risques auxquels la centrale électrique occupée par la Russie fait face. La Russie aurait envisagé de déconnecter la centrale du réseau électrique ukrainien et de la brancher au sien. Si cela devait se produire, le réseau ukrainien serait exposé à des coupures de courant plus fréquentes au cours de l’hiver prochain.

La présence militaire russe à l’intérieur de la centrale électrique et autour de cette dernière peut avoir trois conséquences. La première est que les techniciens ukrainiens ne pourront plus faire leur travail. Ils étaient chargés de l’entretien et de l’exploitation de cette centrale selon les normes de sécurité de l’Agence internationale de l’énergie atomique (AIEA). L’interruption de ces tâches expose la centrale à des risques. Quarante-deux pays, en plus de l’Union européenne (UE), ont publié une déclaration attirant l’attention sur les répercussions négatives de la présence militaire russe à l’intérieur de la centrale électrique et autour de cette dernière.

La deuxième conséquence concerne les explosifs placés à l’intérieur de l’usine et dans ses environs. La moindre négligence pourrait provoquer une nouvelle catastrophe comme celle qui s’est produite à Tchernobyl. Un accident survenu à Tchernobyl en 1986 a touché un demi-million de personnes et causé des pertes de plusieurs milliards de dollars (1 dollar = 1 euro).

La troisième conséquence de la présence russe dans la centrale électrique est la menace que cela constitue pour Zaporijia. En plus d’avoir été construite par l’Ukraine, la centrale lui appartient également. M. Guterres déclare: «L’électricité produite dans la centrale nucléaire de Zaporijia, détenue par la Russie, appartient à l’Ukraine. L’usine doit être démilitarisée.»

Les pourparlers bilatéraux entre MM. Erdogan et Zelensky constituent le deuxième point important à l’ordre du jour de Lviv. Les deux dirigeants ont discuté de tous les aspects des relations turco-ukrainiennes. Après la réunion, le président turc a déclaré avoir réaffirmé le soutien de la Turquie à l’intégrité territoriale et à la souveraineté de l’Ukraine. Cette déclaration n’a rien de surprenant, car Ankara devait agir de concert avec les autres pays de l’Organisation du traité de l’Atlantique nord (Otan).

Mais il ne s’est pas arrêté là. Près d’une semaine après le sommet de Lviv, M. Erdogan a répété que la Turquie ne reconnaissait pas l’annexion de la Crimée par la Russie en 2014 et que la péninsule devait être restituée à l’Ukraine. Jeudi dernier, il est allé plus loin encore lorsque, en réponse au commentaire du ministre russe des Affaires étrangères, Sergueï Lavrov, selon lequel une opération militaire turque en Syrie serait «inacceptable», il a répondu: «Nous ne prêtons aucune attention à ceux qui tiennent des propos menaçants contre la Turquie. Nous poursuivrons nos opérations.» Reste à voir comment la Russie réagira à une telle déclaration.

 

«La Turquie joue un rôle délicat dans le conflit en entretenant des relations solides à la fois avec Moscou et avec Kiev.» - Yasar Yakis

 

Parallèlement au sommet de Lviv, Téhéran a apporté un soutien appuyé à la Russie dans la crise ukrainienne. L’Iran estime – peut-être pour une bonne raison – qu’il «doit soutenir la Russie en Ukraine, car la Russie combat un ennemi commun: l’alliance occidentale». Une prise de position qui rend le rôle prudent de la Turquie encore plus important. Malgré la position déclarée de la Turquie selon laquelle l’invasion russe de l’Ukraine est illégale, elle joue un rôle délicat dans le conflit en entretenant des relations solides à la fois avec Moscou et avec Kiev.

L’accord sur les céréales était également à l’ordre du jour lors de la réunion de Lviv. La Turquie a joué un rôle important dans la mise en place de cet accord qui a ouvert la voie à l’exportation de céréales ukrainiennes dont de nombreux pays du monde ont pu bénéficier. Grâce à ce programme, vingt-cinq cargos ont transporté 625 000 tonnes de céréales dans le monde entier, ce qui a déchargé les marchés d’un lourd fardeau. Le prix du blé aux États-Unis a chuté de 5 % et a atteint son point le plus bas depuis février. Cet accord est une bouffée d’oxygène pour le monde, procurée par la mer Noire.

M. Erdogan s’intéresse également à un autre sujet qui concerne à la fois la Russie et l’Ukraine. Lors de leur rencontre, M. Zelensky a soulevé la question d’un échange de prisonniers de guerre. M. Erdogan a promis d’aborder le sujet avec le président russe, Vladimir Poutine. Ankara pourrait d’ailleurs facilement jouer ce nouveau rôle de médiation entre la Russie et l’Ukraine.

Entre-temps, le ministre turc du Commerce et le ministre ukrainien des Infrastructures ont signé à Lviv un protocole d’accord. Le document prévoit une coopération entre les deux pays concernant l’élimination des débris de destruction causés par la guerre et pour la reconstruction du pays une fois le conflit terminé. Les hommes d’affaires turcs semblent prêts à commencer à travailler dès que la décision politique sera prise par les autorités ukrainiennes. Avec quarante-deux entreprises opérant à l’international, l’industrie turque de la construction se classe au deuxième rang mondial derrière la Chine et devant les États-Unis.

Toutes ces initiatives montrent que le président Erdogan est désireux d’assumer de nouvelles fonctions dans les relations russo-ukrainiennes.

 

Yasar Yakis est un ancien ministre des Affaires étrangères de Turquie et membre fondateur du parti AKP au pouvoir.

Twitter: @yakis_yasar

NDLR: L’opinion exprimée dans cette page est propre à l’auteur et ne reflète pas nécessairement celle d’Arab News en français.

Ce texte est la traduction d’un article paru sur Arabnews.com