La Russie assouplit sa position sur le corridor céréalier de l'Ukraine

Vue d'un champ de blé, alors que la Russie poursuit son attaque contre l'Ukraine, dans la région ukrainienne de Dnipropetrovsk, le 30 juillet 2022. (Photo, Reuters)
Vue d'un champ de blé, alors que la Russie poursuit son attaque contre l'Ukraine, dans la région ukrainienne de Dnipropetrovsk, le 30 juillet 2022. (Photo, Reuters)
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Publié le Lundi 01 août 2022

La Russie assouplit sa position sur le corridor céréalier de l'Ukraine

La Russie assouplit sa position sur le corridor céréalier de l'Ukraine
  • La Russie n'a pas résisté à la pression de la communauté internationale qui avait urgemment besoin de céréales
  • La Turquie a reçu des applaudissements mérités pour son rôle dans la conclusion de l'accord

Avant qu'une percée ne soit réalisée en juillet pour ouvrir un corridor céréalier depuis l'Ukraine, la Russie avait traîné les pieds pour autoriser l'expédition de céréales ukrainiennes vers les marchés internationaux. Elle s'est d'abord opposée à la conclusion d'un accord parce que des mines marines avaient été posées aux abords des ports ukrainiens. 

Après des efforts laborieux, un accord a été signé à Istanbul en présence du secrétaire général des Nations unies Antonio Guterres et du président turc Recep Tayyip Erdogan. La Turquie a reçu des applaudissements mérités pour son rôle dans la conclusion de l'accord. Sans une ligne de communication ouverte entre Erdogan et le président russe Vladimir Poutine, cet accord n'aurait pas facilement été conclu.

Plusieurs points doivent être soulignés dans ce contexte. Premièrement, la Russie n'a pas résisté à la pression de la communauté internationale qui avait urgemment besoin de céréales. Bloquer l'accord aurait nui à l'image de Moscou, car il s'agit d'une question humanitaire de grande importance. D'autre part, la Russie n'a pas accepté cet accord uniquement dans un but désintéressé. En échange de son consentement, elle a tiré parti de l'assouplissement des sanctions économiques qui lui sont imposées par les États-Unis et l'Union européenne. Le vice-ministre des Affaires étrangères, Andrei Rudenko, a depuis déclaré que si les obstacles aux exportations de céréales de la Russie n'étaient pas entièrement levés, l'accord d'Istanbul serait condamné à l'échec.

Deuxièmement, la flexibilité démontrée par la Russie sur ce sujet peut constituer un solide précédent. Si la guerre s'éternise, nous devrons peut-être faire preuve de la même souplesse. Le Kremlin ayant refusé de conclure un accord direct avec l'Ukraine, deux accords identiques ont été signés: un entre la Turquie, la Russie et l'ONU et un autre entre la Turquie, l'Ukraine et l'ONU. Les deux parties ont donc maintenu leurs positions politiques, mais la controverse a été éliminée.

Les deux pays en guerre sont, après tout, les acteurs principaux mais indirects du même accord. Ils doivent donc interagir d'une manière ou d'une autre. Par exemple, l'Ukraine a déclaré qu'il lui faudrait environ 10 jours pour préparer les ports. Cet exercice nécessitera également une certaine forme de coordination entre les autorités russes et ukrainiennes. Par conséquent, nous pouvons espérer que des cas similaires de coordination pourraient conduire à un relâchement relatif des attitudes rigides entre elles.

Troisièmement, la Russie et l'Ukraine produisent environ un tiers de la production mondiale totale de céréales. De nombreux pays du Moyen-Orient dépendent des produits agricoles de ces deux pays. La portée financière de l'accord est estimée à approximativement 10 milliards de dollars. L'accord transformera les produits agricoles ukrainiens en argent liquide à une période où le pays a besoin de chaque centime. En outre, si les céréales ne sont pas exportées, il n'y aura pas de place pour stocker la récolte de cette année.

L'arrivée sur le marché d'un tel volume de céréales fera baisser les prix, ce qui aura un effet positif dans le monde entier.

Yasar Yakis

Les estimations de la quantité de céréales à exporter varient entre 22 et 28 millions de tonnes, ce qui est suffisant pour fournir des aliments de base à de nombreux pays qui manquent de pain. Si le corridor céréalier devait rester bloqué, les prix augmenteraient encore plus et les principales victimes seraient à nouveau les pays relativement pauvres. En revanche, l'arrivée sur le marché d'un tel volume de céréales fera baisser les prix, ce qui aura un effet positif dans le monde entier.

Quatrièmement, l'accord a mis en évidence l'importance d'une convention internationale signée à Montreux, en Suisse, en 1936. Cette convention autorise la Turquie à bloquer, en cas de guerre, le passage par le détroit turc de tout navire de guerre. Mais un accord vient d'être conclu entre la Russie et l'Ukraine prévoyant l'inspection des navires marchands. Les navires seront inspectés à Istanbul pour détecter d'éventuels chargements d'armes sur le chemin du retour vers l'Ukraine.

Cette question a relancé en Turquie un débat sur l'importance de la Convention de Montreux. Des responsables du parti AKP au pouvoir en Turquie, dont le président du parlement, ont émis des déclarations selon lesquelles cette convention multilatérale pourrait être abrogée si nécessaire. L'AKP a probablement ouvert ce débat dans le but de rabaisser l'exploit du père fondateur Kemal Ataturk. L'année dernière encore, un groupe de 103 amiraux à la retraite a publié une déclaration attirant l'attention de l'opinion publique turque sur l'importance de la convention de Montreux. Le gouvernement a immédiatement engagé des poursuites contre ces amiraux «pour avoir conspiré contre la sécurité de l'État et l'ordre constitutionnel».

Cinquièmement, jusqu'à récemment, le nom de la Turquie était plus fréquemment mentionné dans des contextes négatifs sur la scène internationale. Le rôle équilibré qu'elle tente désormais de jouer a remporté un certain succès. Elle a ainsi réuni les ministres des Affaires étrangères russe et ukrainien à Antalya et les délégations des deux pays pour des négociations de cessez-le-feu à Istanbul. Ces deux initiatives n'ont pas abouti à une percée, mais cela valait la peine d'essayer. Contrairement aux deux premières tentatives, l'accord sur le corridor céréalier a des chances de tenir.

On ne peut qu'espérer que cet accord ouvre la voie à d'autres initiatives similaires à l'avenir.

 

Yasar Yakis est un ancien ministre des Affaires étrangères de Turquie et membre fondateur du parti AKP au pouvoir. Twitter: @yakis_yasar

NDLR: L’opinion exprimée dans cette page est propre à l’auteur et ne reflète pas nécessairement celle d’Arab News en français.

Ce texte est la traduction d'un article paru sur Arabnews.com