L'Iran s’aliène ses voisins pour faire diversion sur ses échecs internes

En Iran, la violence des affrontements entre manifestants et policiers est en augmentation (Photo, AFP).
En Iran, la violence des affrontements entre manifestants et policiers est en augmentation (Photo, AFP).
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Publié le Mercredi 16 novembre 2022

L'Iran s’aliène ses voisins pour faire diversion sur ses échecs internes

L'Iran s’aliène ses voisins pour faire diversion sur ses échecs internes
  • Le régime accuse l’Arabie saoudite de soutenir et de financer la chaîne satellite Iran International, dirigée à l'étranger par des opposants
  • Les dirigeants iraniens peuvent gagner du temps en diffusant des théories du complot visant des États étrangers

Alors que les manifestations en Iran vont rentrer dans leur troisième mois, elles ont connu une augmentation du nombre d'affrontements violents entre manifestants et forces de sécurité. Face à l'incapacité du régime d’étouffer la révolte et de préserver le dernier semblant de sa légitimité en rapide érosion, il a colporté des théories du complot, qui sont maintenant devenues peu convaincantes, même pour ses partisans.
En poursuivant cette voie prévisible, le régime a également lancé des attaques contre les positions de l'opposition irano-kurde dans le nord de l'Irak. En fait, l'Iran s’est aliéné ses voisins un par un, se mettant en contradiction avec les directives du président Ebrahim Raïssi, qui avait souligné la nécessité d'améliorer les relations de l’Iran avec les États voisins.
Après avoir échoué à dissuader les Iraniens de regarder Iran International, une chaîne satellite dirigée à l'étranger par des opposants, le régime a accusé l'Arabie saoudite de soutenir et de financer cette chaîne, qu'il accuse de soulever le public iranien et d'être à l'origine des manifestations.
En réalité, la perte de confiance du peuple iranien dans les médias officiels du régime, qui, pendant des années, ont promu de manière flagrante de fausses déclarations et falsifié la vérité, est en grande partie responsable de la forte audience d'Iran International et d'autres médias de l’opposition en langue persane. Il est devenu clair pour le peuple iranien que les chaînes émettant depuis l'extérieur du pays transmettent des vérités sur le régime, basées sur des observations directes et des témoignages oculaires.
Le paysage complexe de l'Iran n’incluait pas autrefois Daech, mais sa prétendue récente émergence a aggravé la complexité de la situation. L'Iran a annoncé la semaine dernière avoir démantelé une cellule du groupe, responsable de l'attaque contre le sanctuaire Chah Cheragh à Chiraz, dans le sud de l'Iran. Selon un communiqué publié par le ministère du Renseignement, 26 terroristes ont été appréhendés, originaires d'Azerbaïdjan, du Tadjikistan et d'Afghanistan.
Cette version officielle, qui semble peu plausible, soulève un certain nombre de questions. Bien que des groupes terroristes comme Daech comptent des membres de divers pays, ils opèrent très probablement dans une zone géographique spécifique, comme en témoignent leurs rassemblements dans certaines provinces de Syrie et d'Irak. Une opération complexe comme celle menée à Chiraz nécessiterait un très petit nombre de terroristes, qui auraient établi des relations mutuelles solides de confiance au cours de nombreuses années de travail et de coopération.
Si l'attaque terroriste avait été imputée à un groupe armé kurde ou baloutche, le peuple iranien aurait pu être convaincu. Cependant, il est clair que le régime a fabriqué un incident pour détourner l'attention des manifestations nationales et rassembler le peuple iranien autour de lui.


«Le régime a maintenant placé la plupart de ses voisins sur la même liste noire, les blâmant indirectement pour tous les problèmes du pays»
Dr Mohammed al-Sulami


L'Iran a désespérément cherché des prétextes pour contrarier ses voisins, au point qu'un journal officiel a affirmé que l’Iran avait critiqué les Émirats arabes unis (EAU) pour les slogans antirégime scandés par des supporters à la suite d'un match de beach football entre les équipes émiratie et iranienne à Dubaï.
Il est évident que les accusations et les menaces iraniennes contre les EAU manquent de logique et ne sont rien de plus qu'une tentative désespérée de provoquer des sentiments nationalistes et de retourner l'opinion publique iranienne contre les EAU, d'autant plus que les slogans contre le régime ont été scandés par des Iraniens vivant aux Émirats.
Peut-être que ce qui réfute le mieux les allégations iraniennes et expose les véritables objectifs du régime, est que l'équipe iranienne de beach football , que le régime a envoyée pour représenter le pays, l'a mis dans une position délicate en refusant de célébrer sa consécration malgré sa victoire dans ce tournoi.
Ce refus de célébration était un moyen d’exprimer sa solidarité avec les protestataires en Iran, un geste largement salué par les Iraniens à l'intérieur et à l'extérieur du pays. Une expression émouvante de solidarité avec les manifestations actuelles en Iran, qui ont éclaté après le meurtre par la police des mœurs de la jeune femme kurde Mahsa Amini dans un centre de détention en septembre.
En lançant ses dernières accusations ridicules contre les EAU, l'Iran a maintenant placé la plupart de ses voisins sur la même liste noire, les accusant indirectement d’être liés aux problèmes du pays. Selon la perception du régime iranien, l'insécurité au Sistan-Baloutchistan résulte ainsi de la complaisance du Pakistan envers les Baloutches et de son incapacité à surveiller de près leur frontière commune. Il en va de même pour les Kurdes en Irak. L'Arabie saoudite a été accusée de soutenir les médias qui ont révélé la vérité sur ce qui se passe en Iran. Téhéran a également ajouté l'Azerbaïdjan et l'Afghanistan à sa liste noire sous prétexte qu'ils exportaient des terroristes.
C'est assez ironique, dans la mesure où l'Azerbaïdjan a annoncé le 1er novembre qu'il avait détenu 19 personnes liées aux services de renseignement iraniens qui planifiaient des opérations terroristes dans le pays.
Les tensions entre Téhéran et Bakou se sont intensifiées en octobre lorsqu’un séparatiste azéri bien connu est apparu à la télévision en Azerbaïdjan et a appelé au renversement du régime iranien dans des interviews sur diverses chaînes publiques. Le président azerbaïdjanais, Ilham Aliyev, n’a fait qu’augmenter les tensions en faisant remarquer qu'il poursuivrait ses efforts pour s'assurer que les Azéris en Iran ne perdraient jamais leurs liens avec leur patrie historique. En réponse, l'Iran a convoqué l'ambassadeur d’Azerbaïdjan à Téhéran pour déposer une plainte contre ce qu'il a qualifié de propagande «anti-iranienne» émanant de hauts responsables azéris.
Il est important de noter que l'Iran ne peut pas s'attendre à ce que ses voisins restent passifs, alors qu'il les accuse régulièrement et mène des actions contre eux, adoptant notamment une orientation proarménienne et menant des exercices militaires dans ses provinces du nord frontalières avec l'Azerbaïdjan.
En un mot, le régime iranien peut être en mesure de gagner du temps grâce à ces discours alimentés par des théories du complot. Il peut également les réprimer violemment, mais il est bien conscient que les véritables causes de ces manifestations sont principalement internes, certaines d'entre elles étant directement liées à sa structure politique, aux intérêts des hauts dirigeants entourant le Guide suprême et au Corps des gardiens de la révolution islamique (CGRI), qui s'accrochent au pouvoir et exploitent les ressources du pays pour leurs intérêts personnels, au détriment du bien-être de la société.
Tant que le régime iranien continuera d'ignorer ces causes, d'exclure les voix de la raison et de lancer des accusations contre les opposants, rien ne changera ni ne s'améliorera sur le front intérieur. Il ne fait aucun doute que des manifestations éclateront à nouveau, peut-être à une plus grande échelle que les vagues actuelles et précédentes. Non pas à la suite d'un nouveau complot, mais pour les mêmes causes, dues aux politiques et décisions erronées vieilles de plusieurs décennies.

Le Dr Mohammed al-Sulami est directeur de l'Institut international d'études iraniennes (Rasanah).

Twitter: @mohalsulami
NDLR: Les opinions exprimées dans cette rubrique par leurs auteurs sont personnelles, et ne reflètent pas nécessairement le point de vue d’Arab News.

Ce texte est la traduction d’un article paru sur Arabnews.com