Seules les puissantes institutions mettront fin à l'influence de l'Iran en Irak

Mohammed al-Soudani a été désigné Premier ministre le mois dernier. (AFP)
Mohammed al-Soudani a été désigné Premier ministre le mois dernier. (AFP)
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Publié le Samedi 12 novembre 2022

Seules les puissantes institutions mettront fin à l'influence de l'Iran en Irak

Seules les puissantes institutions mettront fin à l'influence de l'Iran en Irak
  • La démocratie irakienne ne tient qu'à un fil, vu que les institutions du pays, les services de sécurité, le système judiciaire et les médias ne répondent pas aux besoins des citoyens
  • L'ingérence iranienne en Irak est de plus en plus perçue comme un moyen d'accroître la vulnérabilité de l'État, criblé de corruption et incapable d'assurer des services publics adéquats

La stabilité politique est devenue bien rare en Irak depuis l'invasion de 2003. Bien qu'il y ait eu différents gouvernements, la situation des Irakiens ordinaires n'a fait que s'aggraver. Les services publics sont en lambeaux, l'économie est aussi défaillante que la politique du pays et la prolifération des milices a rendu la sécurité impossible. L'Iran, longtemps contenu par un Irak fort, a comblé ce vide, exacerbant les faiblesses du pays et l'éloignant du monde arabe. Le régime iranien étant sur la sellette à l'intérieur du pays, beaucoup se demandent maintenant ce qu'il en sera à Bagdad.

Dans un contexte de défaillance de l'État et d'affrontements violents à travers le pays, Mohammed al-Soudani a été désigné Premier ministre le mois dernier après une longue période de conflits internes qui ont paralysé le gouvernement de son prédécesseur, Moustafa al-Kazimi. La désignation d'Al-Soudani intervient dans un conflit plus large entre les factions pro et anti-iraniennes, qui a laissé les membres du Conseil des représentants de l'Irak incapables de former un gouvernement de coalition stable ou d'élire un nouveau président.

Alors que la coalition dirigée par l'ancien Premier ministre Nouri al-Maliki et son parti Dawa cherche à élargir sa représentation nationale et que Mouqtada al-Sadr a insisté pour former un gouvernement majoritaire, avant d'utiliser sa milice pour faire échouer le processus parlementaire, le pays et son système politique se retrouvent entre le marteau et l'enclume.

La démocratie irakienne ne tient qu'à un fil, étant donné que les institutions du pays, les services de sécurité, le système judiciaire et les médias ne répondent pas aux besoins des citoyens. L'impasse politique dans laquelle le pays s'est retrouvé depuis l'année dernière a commencé à la suite de manifestations appelant à une refonte du système politique. Les protestataires se plaignaient surtout de l'ingérence de l'Iran, qui a toujours cherché à compromettre la fragile démocratie irakienne. Il n'est donc pas surprenant que, malgré plusieurs invitations, le mouvement d’Al-Sadr, rival d'Al-Soudani dans le camp chiite majoritaire en Irak, ait refusé de rejoindre le gouvernement.

Le dysfonctionnement des factions chiites en Irak est révélateur d'un problème plus important, à savoir l'engagement inlassable de l'Iran à façonner la politique irakienne. Selon l'Institut international d'études stratégiques, groupe de réflexion basé à Londres, « l'Irak continue de représenter une menace pour la sécurité nationale iranienne. C'est pourquoi l'Iran a l'intention de façonner la politique intérieure et l'orientation stratégique de l'Irak ».

Pendant deux décennies, l'Iran a donné du pouvoir à des milices et des partis politiques-clés, ce qui lui a permis d'exercer une influence considérable en Irak et de peser sur la politique du pays. Bien que les relations de l'Iran avec ses alliés irakiens relèvent généralement du mentorat plutôt que du contrôle direct, Téhéran dispose d'un vaste réseau de groupes politiques et de militants irakiens. Aujourd'hui, un nombre croissant de membres des milices ont intégré le courant politique irakien. Cela a permis à l'Iran de s'assurer que ceux qui acquièrent une certaine influence sont favorables au régime de Téhéran, même si la vie politique irakienne est chaotique.

«Le dysfonctionnement des factions chiites en Irak est révélateur d'un problème plus important, à savoir l'engagement inlassable de l'Iran à façonner la politique irakienne.»

Zaid M. Belbagi

Indépendamment du mouvement populaire qui lui résiste à l'intérieur du pays, le gouvernement iranien accorde toujours la priorité à ses mandataires en Irak, tout simplement parce que ce pays reste sa principale préoccupation en matière de sécurité. Malgré la politique d'ambiguïté publique délibérée de l'Iran concernant ses opérations à travers sa frontière occidentale, il fournit un soutien matériel et politique à des centaines de milliers de miliciens, ce qui lui permet d'avoir une empreinte militaire dans le pays tout en profitant des rivalités intérieures existantes pour conserver son influence.

L'arrivée récente d'Al-Hachd al-Chaabi et de Kata'ib Hezbollah – des groupes paramilitaires chiites irakiens radicaux soutenus par l'Iran – à l'aéroport de Mashhad, qui a permis de renforcer la sécurité du régime sur le sol iranien, a montré à quel point ces groupes sont sous le contrôle de l'Iran.

Il s'agit d'une extension de la stratégie iranienne, déjà bien établie, consistant à placer des groupes mandataires sous le contrôle de sites politiques-clés, en particulier le long des frontières nationales de l'Irak et des frontières contestées de la région du Kurdistan. Bien que ces milices, aux côtés de celle d'Al-Hachd al-Cha'abi – plus importante et dominée par les chiites – soient synonymes d'influence iranienne dans le pays, Téhéran entretient également des liens étroits avec le soi-disant anti-iranien Al-Sadr, les principaux acteurs sunnites et le rival kurde du Parti démocratique du Kurdistan (PDK), l'Union patriotique du Kurdistan.

Les récents tirs de missiles iraniens sur le territoire du PDK en Irak sont en réalité la conséquence immédiate de l'agitation intérieure de l'Iran. Alors que Téhéran cherche à la fois à limiter l'utilisation du territoire par les groupes dissidents et à faire pression sur les politiciens irakiens pour qu'ils se plient à ses exigences, les récents bombardements montrent que les pressions intérieures ne limitent pas l'ingérence de l'Iran en Irak. Bien au contraire, elles l'accroissent.

Bien que le schisme entre les factions chiites irakiennes soit dominé par des préoccupations de pouvoir et d'ambition politique, il est également révélateur d'une lassitude plus générale à l'égard de l'influence iranienne en Irak. L'ingérence iranienne en Irak est de plus en plus perçue comme un moyen d'accroître la vulnérabilité de l'État, criblé de corruption et incapable d'assurer des services publics adéquats. S'il est possible que la distraction de Téhéran concernant les affaires irakiennes affaiblisse un régime qui devrait se concentrer sur les affaires intérieures, il est peu probable que l'Iran renonce volontairement à son contrôle en Irak.

Les conflits politiques internes en Irak ne pourront prendre fin qu'avec le retrait de Téhéran et, pour ce faire, les institutions irakiennes doivent être reconstruites et l'implication des acteurs étrangers, y compris la Turquie, les États-Unis et les États du Golfe, doit être réduite au minimum. Seules des institutions irakiennes fortes peuvent rééquilibrer la politique du pays. Quant aux faibles institutions, elles continueront à accueillir des acteurs étrangers menaçants qui entraîneront l'échec de l'État.

 

Zaid M. Belbagi est commentateur politique et conseiller auprès de clients privés entre Londres et le CCG. Twitter: @Moulay_Zaid

NDLR: L’opinion exprimée dans cette page est propre à l’auteur et ne reflète pas nécessairement celle d’Arab News en français.

Ce texte est la traduction d’un article paru sur Arabnews.com