Coupe du monde: Les promesses du régime iranien s'effritent

De nombreux Iraniens ont appelé à l'exclusion de l'Iran de cette Coupe du monde, affirmant que sa participation ne servait que le régime (Photo, AFP).
De nombreux Iraniens ont appelé à l'exclusion de l'Iran de cette Coupe du monde, affirmant que sa participation ne servait que le régime (Photo, AFP).
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Publié le Mardi 22 novembre 2022

Coupe du monde: Les promesses du régime iranien s'effritent

Coupe du monde: Les promesses du régime iranien s'effritent
  • La part de l'Iran sur le marché du tourisme de la Coupe du monde est inexistante
  • Une proportion considérable d'Iraniens a appelé à l'exclusion de l'Iran de la Coupe du monde 2022

Lorsque le Qatar a raflé la mise pour accueillir la Coupe du monde de la Fifa 2022 il y a plus de dix ans, les voisins de Doha ont commencé à planifier les moyens de tirer un profit économique de cet événement. Comme à l’accoutumée, les responsables iraniens ont commencé à parler de visions et de rêves ambitieux, mais il est vite devenu évident qu'il ne s'agissait que de rêves chimériques, semblables à des promesses électorales politiciennes.
Depuis que le Qatar s’est vu attribuer la Coupe du monde, trois présidents iraniens ont accédé au pouvoir, Mahmoud Ahmadinejad, Hassan Rohani et Ebrahim Raïssi, qui ont tous déclaré à maintes occasions que l'Iran était prêt à aider à l'organisation de la Coupe du monde. Rohani a réitéré la volonté de l'Iran de participer à la construction planifiée d'infrastructures et d'installations. Il a aussi proposé de fournir au Qatar tout ce dont il pourrait avoir besoin durant cet événement, au moins lors de deux appels téléphoniques avec l'émir du Qatar. Raïssi a également déclaré que l'Iran était disposé à fournir toute forme d’assistance pour l’organisation de cet événement.
Bien que leurs observations et leurs promesses aient été ambiguës, les commentaires des vice-ministres et des hauts fonctionnaires ont révélé des détails surprenants, comme la volonté de l'Iran de participer à l'organisation de l'événement, voire d'accueillir certains des matchs sur le sol iranien. Les responsables iraniens ont également déclaré que des équipes de football seraient hébergées sur des îles iraniennes proches du Qatar, comme l'île de Kich, pour les entraînements et les matchs amicaux.
À cela, s'ajoutent les affirmations selon lesquelles l'Iran attirerait 5% des supporters de la Coupe du monde, générant des revenus d'une valeur de près de 500 millions de dollars (un dollar = 0,97 euros), en accueillant à Kich des supporters de pays tels que le Mexique, le Sénégal et le Ghana, de même qu’en accueillant des supporters d'Asie centrale et de Russie au nord de l'Iran. L’objectif était ensuite de les conduire en bus vers le sud du pays, avant de leur assurer le transport par bateau jusqu'au Qatar.
D'autres projets ambitieux comprenaient l'accueil de supporters de pays islamiques, dans le cadre d'un programme de «tourisme halal», l’organisation de voyages touristiques à bas prix au Qatar pour les supporters de football iraniens, l’établissement de routes maritimes, de même que la préparation de navires pour le transport des supporters vers et depuis l'Iran. La liste de promesses était longue.
Cependant, quelques semaines avant le coup d'envoi de l'événement, il est devenu clair que toutes ces promesses n'étaient que des chimères. Selon l'Iranian Hotel Companies Society, le nombre de billets d'avion vendus et de chambres réservées par les supporters iraniens est égal à zéro. Mohammed Mirzaei, membre du conseil d'administration de la Chambre de commerce Iran-Qatar, a annoncé que la part de l'Iran sur le marché du tourisme de la Coupe du monde était inexistante. Il a annoncé l'annulation des voyages maritimes prévus entre l'Iran et le Qatar.
Par ailleurs, le parlementaire Mahmoud Nabavian a déclaré que l'île de Kich n'était pas actuellement prête à recevoir des supporters durant l'événement. La Fars News Agency, proche du Corps des gardiens de la révolution islamique (CGRI), a confirmé que l'île n'était pas prête à recevoir des correspondants et des fans iraniens. On a également appris que les exportations de produits alimentaires de l'Iran vers le Qatar n'avaient pas connu d’augmentation ces dernières semaines.


«Comme d’habitude, les responsables iraniens ont justifié leur incapacité à profiter de cet événement»
Dr Mohammed al-Sulami


Comme d’habitude, les responsables iraniens ont justifié leur incapacité à profiter de cet événement. Le gouvernement Raïssi a blâmé son prédécesseur, l'actuel ministre de la Jeunesse et des Sports, accusant le gouvernement Rohani de léthargie dans l'exercice de ses responsabilités, et affirmant que le travail aurait dû commencer il y a des années pour atteindre les résultats souhaités. D'autres organismes gouvernementaux ont été accusés de négligence. Le PDG de la zone franche de Kich a reproché au ministère du Tourisme une coordination inadéquate avec les Qataris.
Certains responsables sont allés plus loin, faisant porter la responsabilité de l'échec de l'Iran aux manifestations actuelles, en accusant les protestataires de faire rater au pays l’opportunité de tirer des bénéfices économiques de cet événement. Le vice-ministre du Patrimoine culturel, quant à lui, a accusé certains pays qui ont demandé à leurs propres citoyens de ne pas se rendre en Iran avant la Coupe du monde, tandis que d'autres responsables ont accusé les Qataris d'être «insuffisamment coopératifs».
Il ne serait pas exagéré de dire que les responsables iraniens surpassent tous les autres en termes de discours et de fausses promesses. Cependant, il existe une disparité surprenante entre les grandes visions de l'Iran et son véritable bilan d'échecs. Au lieu de mener à bien des projets de développement et de construction, le régime iranien est passé maître dans la création de milices qui ont déstabilisé la région et le monde. La corruption et la mauvaise gestion, ainsi qu'une culture de népotisme et de favoritisme, se sont propagées dans toutes les composantes du régime, imposant un lourd fardeau au peuple iranien. Selon les chiffres de l'Organisation du budget et de la planification du régime pour 2021, sur les 382 entreprises du secteur public dans divers domaines en Iran, 323 ont déclaré leur insolvabilité.
Alors, pourquoi les responsables iraniens insistent-ils pour continuer à faire des promesses vides de sens, dont tout le monde sait qu'elles ne seront pas tenues? C'est une preuve supplémentaire que certains responsables iraniens vivent dans leur propre monde imaginaire, souffrant de paranoïa et de délires de force invincible, malgré leur incapacité à comprendre la réalité des événements en Iran et dans le monde. Si ces responsables avaient une véritable compréhension de la réalité, ils auraient comparé le nombre de touristes visitant l'Iran chaque année et se rendant dans les pays voisins. Ils auraient également réalisé que, compte tenu de la politique du régime et de son ingérence dans les moindres détails de la vie et des affaires des gens, il serait impossible d'attirer un si grand nombre de touristes, sans parler des fans de football.
D'un autre côté, de nombreux responsables iraniens sont aujourd’hui conscients de la gravité de la situation en Iran, en particulier du caractère complètement désorganisé de son infrastructure. Ils sont conscients des véritables capacités de l'Iran comparativement aux autres pays de la région. Ces responsables ne s’attendent pas à un miracle qui permettrait à l'Iran de bénéficier d’avantages économiques pendant la Coupe du monde. Pour recueillir des bénéfices économiques, l'Iran devrait investir énormément de temps, de planification, de travail et d'efforts, et devrait changer radicalement son approche et sa politique.
Néanmoins, les hauts responsables iraniens continuent de promouvoir des illusions, de faire de fausses promesses, et de donner l'impression qu'il y existe de réelles réalisations sur le terrain, dans une volonté d'«insuffler au peuple l'espoir et la confiance en soi», quoique de façon inexacte. Ces responsables parient sur leur capacité à duper le peuple iranien, tout en craignant un soulèvement de ce même peuple pour renverser le régime.
En douze ans, le régime iranien n’a pas pu attirer ne serait-ce qu'un seul supporter de la Coupe du monde parmi les centaines de milliers qui prévoient d'assister à cet événement au Qatar. Entre-temps, l'Azerbaïdjan, encore plus éloigné du Qatar que l'Iran, a réussi à attirer les supporters de la Coupe du monde pour qu'ils restent sur son territoire, selon un responsable iranien. Après que toutes les promesses de Téhéran se sont avérées fausses, les supporters iraniens qui ont déjà acheté des billets pour la Coupe du monde se demandent s'ils pourront même entrer au Qatar.
Un dernier point important a également besoin d’être clarifié. La participation de l'équipe iranienne de football à cet événement est totalement différente des précédentes. Dans le passé, la majorité des Iraniens, chez eux et à l'étranger, avaient l'habitude d'encourager et de soutenir ardemment leur équipe de football. Lors de la Coupe du monde 2022, cependant, une proportion considérable d'Iraniens a appelé à l'exclusion de l'Iran de la Coupe du monde, affirmant que sa participation ne faisait que servir le régime, qui continue sa répression, l'arrestation et le meurtre de manifestants, alors même que l'événement commence au Qatar.
Le refus de trois anciens footballeurs iraniens célèbres d'accepter les invitations de la Fifa et de l'Association de football du Qatar à assister aux compétitions, pour exprimer leur solidarité avec les manifestants iraniens – qui manifestent massivement depuis la mi-septembre contre le meurtre de la jeune femme kurde Mahsa Amini par la prétendue «police des mœurs du régime» –  en est le meilleur exemple.
En conclusion, il semble que quels que soient les résultats de la Coupe du monde 2022, le régime iranien en sera le perdant.

Le Dr Mohammed Al-Sulami est directeur de l'Institut international d'études iraniennes (Rasanah). Twitter: @mohalsulami
NDLR: Les opinions exprimées dans cette rubrique par leurs auteurs sont personnelles, et ne reflètent pas nécessairement le point de vue d’Arab News.
Ce texte est la traduction d’un article paru sur Arabnews.com