Se souvenir de la tragédie du quartier marocain

Le quartier marocain de Jérusalem-Est, qui a été détruit par les forces israéliennes à la fin de la guerre des Six-Jours (Wikimedia Commons).
Le quartier marocain de Jérusalem-Est, qui a été détruit par les forces israéliennes à la fin de la guerre des Six-Jours (Wikimedia Commons).
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Publié le Mardi 20 décembre 2022

Se souvenir de la tragédie du quartier marocain

Se souvenir de la tragédie du quartier marocain
  • La victoire des Marocains en quart de finale et la réponse brutale d'Israël aux manifestations de joie palestiniennes qui ont suivi ont permis de lever le voile sur un moment tragique effacé de l'Histoire: la destruction du quartier marocain de Jérusalem-
  • Le parcours du Maroc vers les demi-finales de la Coupe du monde est un événement aussi historique que la destruction du quartier marocain est tragique

Lorsque les responsables marocains, dans le cadre d’efforts de paix régionale, se sont joints aux Émirats arabes unis (EAU) et à Bahreïn pour signer les accords d'Abraham en décembre 2020, personne n'a mentionné l'Histoire des atrocités commises par Israël contre la communauté marocaine. Il ne s'agit pas de condamner les accords d'Abraham, dont certains pensent qu'ils ouvriront la voie à la paix. Mais il ne faut pas non plus l'oublier alors que le monde scrute les résultats du Maroc à la Coupe du monde de la FIFAFifa.

La question a refait surface le samedi 10 décembre 2022, lorsque l'équipe de football marocaine a battu le Portugal dans la compétition de la Coupe du monde qui se déroule au Qatar. Les Marocains présents à Doha ont brandi des drapeaux palestiniens et déclaré leur soutien aux Palestiniens. Mais lorsque les Palestiniens de Jérusalem ont commencé à célébrer la victoire du Maroc, ils ont été attaqués par des soldats et des policiers israéliens.

La victoire des Marocains en quart de finale et la réponse brutale d'Israël aux manifestations de joie palestiniennes qui ont suivi ont permis de lever le voile sur un moment tragique qui a été effacé de l'Histoire: la destruction du quartier marocain de Jérusalem-Est, connu sous le nom de «Harat al-Maghariba», par les forces israéliennes à la fin de la guerre de juin 1967.

Quelques jours seulement après la prise de Jérusalem-Est, le 7 juin 1967, le maire israélien de Jérusalem-Ouest, Teddy Kollek, a ordonné la destruction du quartier marocain. Le monde arabe a dénoncé cette destruction comme un crime de guerre. Malgré cela, aucun effort réel n'a été fait pour rétablir les droits des résidents sans abri du quartier, qui ont rejoint les millions d'autres réfugiés palestiniens et auraient pu être oubliés si l'équipe de football marocaine n'était pas devenue la première nation africaine et la première nation arabe à se qualifier pour les demi-finales de la Coupe du monde. C'est un événement qui est aussi historique que la destruction du quartier marocain a été tragique.

Au cours de l'opération de 1967, les soldats israéliens ont expulsé de force plus de 100 familles palestiniennes, soit un total de plus de 650 personnes, d'origine marocaine et nord-africaine. Le président, Chaim Herzog, a par la suite revendiqué cette démolition, qui a permis de créer une immense place où les fidèles juifs peuvent prier. À l'origine, l'esplanade du Mur occidental n'était qu'une étroite zone large de 4 mètres et longue de 57 mètres. Mais les Israéliens ont rasé tous les bâtiments du quartier marocain pour créer un lieu de prière de 20 000 m2 appelé le «Kotel».

Les Israéliens se sont empressés de nettoyer le quartier marocain à temps pour la fête juive du 14 juin. Lorsque les habitants ont refusé de quitter leurs maisons, les bulldozers militaires ont commencé à raser les bâtiments alors que les gens étaient encore à l'intérieur. Une personne a été tuée et plusieurs autres ont été blessées. Les Israéliens ont également démoli la mosquée Cheikh Eid, qui avait été construite sur l'une des plus anciennes écoles islamiques de Jérusalem, l'Afdiliyeh, pour consacrer l’espace à la nouvelle place.

Bien que le quartier marocain ait été rasé pour faire place à ce site religieux juif, le Maroc est devenu le deuxième pays d'Afrique du Nord, après l'Égypte, à signer un accord de normalisation avec Israël. Il est regrettable que, dans le cadre de cet accord de paix, les atrocités commises contre les Marocains et les Nord-Africains n'aient pas été abordées.

En 2019, Tel-Aviv a exigé 250 milliards de dollars (1 dollar = 0,94 euro) de compensation pour les biens des Juifs arabes qui, selon lui, ont été contraints à l'exil par le Maroc, la Libye, la Tunisie, l'Irak, la Syrie, l'Égypte, le Yémen et l'Iran après la création d'Israël en 1948. Les pays arabes affirment qu'Israël a incité ces citoyens à fuir leurs maisons et à s'installer dans le nouvel État. Les immigrants juifs qui se sont installés en Israël ont reçu des fonds pour construire de nouvelles maisons, souvent sur des terres prises aux Palestiniens.

Par ailleurs, les médias pro-israéliens ignorent souvent le fait que, au début des années 1960, le Mossad a créé un réseau secret pour encourager et aider les juifs à quitter le Maroc. En 1959, le gouvernement marocain a adopté une loi qui interdisait à ses citoyens juifs de fuir vers Israël. Cette loi, qui visait à préserver la communauté juive du pays, a souvent été citée comme une provocation et un acte d'antisémitisme par les auteurs pro-israéliens.

Ce qui est arrivé au Maroc est significatif, car avant la guerre de 1948, le pays comptait la plus grande population juive de tous les pays arabes, avec près de 350 000 citoyens.

Personne ne prétend qu'il ne devrait pas y avoir de paix ou de justice pour les personnes dont les maisons ont été saisies et qui ont été forcées de quitter leur terre natale, mais l'argument unilatéral selon lequel les juifs ont été victimes du racisme du monde arabe est une dérive en soi.

 

Le parcours du Maroc vers les demi-finales de la Coupe du monde est un événement aussi historique que la destruction du quartier marocain est tragique.

Ray Hanania

Les liens de l'Amérique avec le Maroc exigent que les États-Unis reconnaissent la tragédie de la destruction en 1967 de la communauté marocaine de Jérusalem-Est. Le sultan Mohammed du Maroc a émis un décret en 1777, un an après que les États-Unis ont déclaré leur indépendance de la Grande-Bretagne, autorisant les navires américains à accoster dans ses ports. Et dix ans plus tard, en 1786, le Maroc est devenu la première nation à reconnaître les États-Unis, en signant le traité de paix et d'amitié, qui est aujourd'hui décrit comme le plus long traité ininterrompu de l'Histoire américaine.

En tant que jeune journaliste en 1976, j'ai été invité à visiter le Maroc pour écrire des articles sur le pays. Dans chaque ville que j'ai visitée – Marrakech, Rabat, Casablanca, Tanger et Agadir, avec ses belles plages et ses longues vagues basses – j'ai été accueilli par des citoyens qui ont fait l'éloge de la cause palestinienne. Je ne crois pas que ce sentiment se soit dissipé à la suite de la récente normalisation avec Israël.

Mais j'espère que, dans le cadre de la nouvelle relation du Maroc avec Israël, on pourra faire davantage non seulement pour rétablir les droits des Palestiniens sur les terres historiques de la Palestine, mais aussi pour reconnaître et se souvenir de la souffrance tragique vécue par les familles non armées du quartier marocain, qui ont été forcées de fuir en 1967.

 

Ray Hanania est un ancien journaliste politique et chroniqueur primé de la mairie de Chicago. Il est joignable sur son site personnel à l'adresse www.Hanania.com. Twitter : @RayHanania

NDLR : L’opinion exprimée dans cette page est propre à l’auteur et ne reflète pas nécessairement celle d’Arab News en français.

 

Ce texte est la traduction d’un article paru sur Arabnews.com