PARIS: Les viols bientôt jugés sans jurés: déjà expérimentées dans quelques départements, les cours criminelles seront généralisées partout en France le 1er janvier avec l'objectif de traiter plus vite certains crimes auparavant dévolus aux assises, une révolution judiciaire qui divise les professionnels.
À l'approche de son entrée en vigueur, ses détracteurs se mobilisent pour "sauver les assises", à travers des motions, une pétition ou une proposition de loi de la députée EELV Francesca Pasquini.
Héritage de la Révolution française, le jury populaire disparaîtra avec cette réforme pour tous les jugements en première instance de crimes punis jusqu'à vingt ans de réclusion, des viols essentiellement, soit environ la moitié des affaires pour lesquelles des citoyens sont appelés actuellement à siéger.
"On ne supprime pas la cour d'assises", assure le ministère de la Justice, les crimes les plus graves et les appels échappant toujours à la compétence des cours criminelles départementales (CCD). "Il ne s'agit pas de remettre en cause les fondements de notre justice criminelle, il s'agit d'être pragmatiques".
Lancées en 2019 à titre expérimental dans une poignée de départements, ces cours ont permis "un gain assez important" par rapport aux assises en temps de journées d'audience mais aussi de délais d'audiencement, sans rogner sur l'oralité et la qualité des débats, se satisfait la Chancellerie.
Les 387 affaires jugées par les cours criminelles (à 88% des viols, 5% des coups mortels, 2% des vols à main armée...) ont nécessité 863 jours d'audience, quand il en aurait fallu 982 aux cours d'assises, selon le comité d'évaluation et de suivi des CCD.
«Recrutement substantiel»
Soit pour l'Union syndicale des magistrats (USM) un gain "minime" et "mis à néant par un taux d'appel plus important", de 21% pour les cours criminelles contre 15% pour les assises selon les premières évaluations, quand les peines prononcées et taux d'acquittement sont similaires.
Le syndicat majoritaire, favorable sur le principe aux cours criminelles, s'oppose à leur généralisation "sans moyens dédiés". Le comité d'évaluation a aussi pointé "la nécessité impérative" d'un "recrutement substantiel de magistrats et de greffiers".
Avec cinq magistrats (dont jusqu'à deux peuvent être honoraires) contre trois aux assises, ces cours "viennent ponctionner une ressource rare", souligne le président de l'USM, Ludovic Friat, qui craint "l'embolie" à moyen terme des cabinets des juges appelés à y siéger.
Dans les juridictions, l'inquiétude est forte face à l'insuffisance des effectifs et de salles d'audience. "C'est surtout difficile dans les petites cours d'appel", remarque Frédéric Fèvre, président de la Conférence nationale des procureurs généraux.
Compte tenu des délais d'audiencement, les cours criminelles ne fonctionneront pas à plein régime avant "le second semestre 2023, voire 2024", ce qui "laisse du temps" pour "s'acculturer" à la réforme, veut rassurer la Chancellerie.
À la cour d'appel de Paris, les premières audiences ne se tiendront pas avant "mars 2023", indique le parquet général, qui envisage que "six sessions sur 35 soient réservées à la CCD" au premier semestre, soit "une trentaine d'affaires".
Les cours criminelles semblent avoir eu jusque-là un impact limité sur la pratique de la correctionnalisation (requalifier un crime en délit pour le faire juger devant un tribunal), ainsi que sur le désengorgement des assises, le "'stock' resté très important" de dossiers obligeant à tenir des sessions en parallèle, relève Frédéric Fèvre.
Mais "c'est une bonne réforme et on souhaite qu'elle réussisse. L'équilibre va se faire naturellement", estime-t-il.
Un avis loin d'être unanime au sein de la magistrature.
"Le problème fondamental, c'est la coupure avec les citoyens", regrette une présidente de cour criminelle dans un département pilote, qui se demande si elle va rester à ce poste.
Les assises permettent de "restaurer la confiance" en la justice et de "déconstruire complètement les idées reçues sur le viol" par exemple, ajoute cette magistrate, déplorant une généralisation "complètement à contre-courant de la société actuelle".
"On a envie de penser que sur un sujet aussi grave, les crimes sexuels, on prenne le temps de comprendre ce qui s'est passé. Ça ne sera pas permis dans des audiences au rabais parce qu'inéluctablement, bien qu'on s'en défende, les cours criminelles deviendront de grosses correctionnelles", tacle Karine Bourdié, coprésidente de l'Association des avocats pénalistes.







