Article 49.3: la méthode Borne divise

La Première ministre française Elisabeth Borne arrive pour une séance de questions au gouvernement à l'Assemblée nationale à Paris le 13 décembre 2022. (Photo Emmanuel DUNAND / AFP)
La Première ministre française Elisabeth Borne arrive pour une séance de questions au gouvernement à l'Assemblée nationale à Paris le 13 décembre 2022. (Photo Emmanuel DUNAND / AFP)
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Publié le Vendredi 23 décembre 2022

Article 49.3: la méthode Borne divise

  • Au sein du Parlement actuel, le président n’a qu’une majorité relative, avec deux blocs d’oppositions d’extrême droite et d’extrême gauche d’envergure
  • Que faire face à une telle configuration? Sombrer dans la paralysie et l’inaction, ou laisser un temps au débat parlementaire puis opter pour un passage en force?

PARIS: Et de dix… Voilà le budget de la France pour l’année 2023 définitivement adopté par l’Assemblée nationale!

Pour ce faire, la Première ministre française, Élisabeth Borne, n’a pas hésité à recourir pour la dixième fois à l’article 49.3 de la Constitution afin de contourner les oppositions des parlementaires d’extrême droite et d’extrême gauche qui bloquaient l’adoption de son projet de loi.

Il s’agit d’un nouveau passage en force de la part de Borne, qui est à la tête du gouvernement français depuis sept mois et qui restera dans les annales comme l’hôte de Matignon qui a battu le record des recours au fameux article.

Ce dernier permet au gouvernement de faire adopter un projet de loi sans qu’il soit voté par une majorité de parlementaires, ce qui laisse planer un certain doute sur la légitimité de la loi en question.

Il faut dire d’emblée que le recours répétitif et inédit au 49.3 n’est pas le fruit d’un choix délibéré de la part de la Première ministre, mais d’une nécessité pour pouvoir avancer.

Cette situation émane de la composition de l’Assemblée nationale élue dans la foulée de la réélection du président Emmanuel Macron en 2022.

Ayant voté majoritairement pour Macron afin de faire barrage à sa concurrente d’extrême droite à la présidentielle, Marine Le Pen, les Français ont ensuite voulu exprimer l’insatisfaction que leur inspirait le président lors des élections législatives.

Le président ne dispose donc que d’une majorité relative au Parlement, avec deux blocs d’opposition d’extrême droite et d’extrême gauche d’envergure. Les deux groupes parlementaires traditionnels de droite et de gauche ont, quant à eux, été laminés.

Le seul trait commun à ces oppositions réside dans leur attitude réfractaire à toute alliance de conjoncture que pourrait nécessiter le bon fonctionnement de la vie parlementaire.

Sombrer dans l’inaction ou laisser un temps au débat?
Que faire dans une telle configuration? Sombrer dans la paralysie et l’inaction, ou laisser un temps au débat parlementaire puis opter pour un passage en force?

C’est la seconde option qui a été retenue par Borne, même si elle risque de mettre en danger la démocratie parlementaire – et même la démocratie tout court.

Ce danger est-il bien réel, et les avis sont partagés.

Oui, affirme le politologue Yves Sintomer, «le danger est double». D’une part, cela «maintient le gouvernement de la France dans une dynamique verticale et presque autoritaire»; d’autre part, cela va «fatalement accroître la colère, la rancune, et exposer le pays de nouveau au risque de convulsions» comme on a pu en connaître avec les Gilets jaunes au moment du premier mandat d’Emmanuel Macron.

Non, estime pour sa part le politologue Jean Petaux, pour qui «le recours répétitif au 49.3 n’est pas un danger pour la démocratie» dans la mesure où cet article «est inscrit dans la Constitution», qui autorise son usage sans limite pour des textes budgétaires et limite son emploi à un seul usage par session parlementaire en dehors des textes budgétaires.

Alors que Sintomer estime que cette méthode est loin d’être «un pas en avant pour le mode de gouvernance», Petaux constate à l’inverse que, depuis 1958, l’Assemblée nationale n’a pas cessé de consolider ses prérogatives dans un grand nombre de secteurs, en particulier avec les commissions d’enquête parlementaires et le droit d’amendement. Pour lui, «l’Assemblée joue son jeu parlementaire sans tomber dans l’instabilité chronique et structurelle».

Toujours est-il que, pour beaucoup de Français, la méthode Borne constitue un déni de démocratie et reflète un manque de maturité de la part des blocs parlementaires en général, et pas seulement ceux de l’opposition.

C’est d'ailleurs ce qui fait dire à Sintomer que la culture politique française «n’est pas habituée aux compromis ni à une culture de consensus».

«Nous ne sommes pas un pays de grandes coalitions comme l’Allemagne et nous nous retrouvons dans un jeu où la vie politique est réduite à des oppositions extrêmement dures qui ne laissent que peu de place à une sortie par en haut.»

Sur ce point, Petaux va plus loin en affirmant que les Français, «quand ils entendent le mot “compromis”, […] comprennent “compromission”, qui est la dimension péjorative du compromis».
Il en résulte d’après lui que « es forces politiques de tous bords campent sur leurs positions et tentent de revêtir le costume du plus dur opposant», d’où «une sorte de surenchère à laquelle même la majorité gouvernementale n’est pas étrangère».

Difficile donc de sortir de ce carcan, étant donné que Borne devra s’atteler dès le début de l’année à faire passer les réformes les plus dures. En premier lieu, la réforme des retraites.

Cohabitation et dissolution
Une telle situation est loin de déranger Petaux, qui estime que Borne peut gouverner par le moyen du 49.3 tant qu’elle est aux manettes, à moins que Macron ne décide de recourir à la dissolution du Parlement dans l’espoir de rebattre les cartes et de remettre la vie parlementaire dans un ordre de marche normal, «à condition d’être bien sûr de son coup pour appuyer sur le bouton».

La dernière dissolution du Parlement en France remonte à 1997, sous la présidence de Jacques Chirac. Elle avait donné lieu à une cohabitation entre lui, un président de droite, et un Premier ministre de gauche, Lionel Jospin.

Aujourd’hui, une dissolution mal conçue risque de mener à une cohabitation entre Macron et un Premier ministre d’extrême droite ou d’extrême gauche, engendrant ainsi une crise institutionnelle.

Pour sa part, Sintomer estime que le pouvoir ne pourra pas continuer comme ça et qu’il y aura à un moment donné «soit un changement d’attitude, soit le recours à de nouvelles élections».

Or, le président de la république a avancé l’idée d’un Conseil national de refondation, un organisme qui a vu le jour, mais qui est «sans pouvoir». Un changement d’attitude concret supposait pour Sintomer «qu’on ait véritablement des enjeux derrière ce conseil» ou d’organiser une convention citoyenne sur la réforme des retraites et soumettre les propositions de cette convention au référendum.

Il y avait une opportunité pour changer les choses et on voit que cette opportunité est manquée, indique-t-il à regret, car, à force de déposséder le Parlement de son pouvoir d’amendement, «on réduit le débat politique à sa plus simple expression et on renforce le fait que ce soit un théâtre d’ombres».


Sorbonne: les militants pro-palestiniens dispersés par la police

Des étudiants crient des slogans et agitent la main alors qu'ils participent à un rassemblement de soutien aux Palestiniens à l'Université de la Sorbonne à Paris le 29 avril 2024. (Photo, AFP)
Des étudiants crient des slogans et agitent la main alors qu'ils participent à un rassemblement de soutien aux Palestiniens à l'Université de la Sorbonne à Paris le 29 avril 2024. (Photo, AFP)
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  • Une cinquantaine de manifestants ont été conduits à l'extérieur des locaux historiques de la Sorbonne, dans le Quartier Latin, encadrés par les forces de l'ordre
  • Selon le rectorat, une trentaine de militants s'étaient rassemblés à l'intérieur de l'université, où neuf tentes ont été installées dans la cour et trois dans le hall, et un drapeau palestinien posé au sol. Selon un manifestant

PARIS: Des militants pro-palestiniens qui s'étaient rassemblés lundi à l'intérieur (avec des tentes) et devant la Sorbonne à Paris ont été dispersés par les forces de l'ordre, quelques jours après une mobilisation pro-Gaza sous tension à Sciences Po Paris.

Une cinquantaine de manifestants ont été conduits à l'extérieur des locaux historiques de la Sorbonne, dans le Quartier Latin, encadrés par les forces de l'ordre, a constaté une journaliste de l'AFP.

"Nous étions une cinquantaine de personnes quand les forces de l'ordre sont arrivées en courant à l'intérieur de la cour. L'évacuation a été assez brutale avec une dizaine de personnes traînées au sol. Il n'y a pas eu d'interpellations", a déclaré à l'AFP Rémi, 20 ans, étudiant en troisième année d'histoire et de géographie, qui faisait partie des manifestants délogés.

La préfecture de police a évoqué une "opération, qui a duré seulement quelques minutes" et "s’est faite dans le calme, sans incident".

Le Premier ministre Gabriel Attal a "demandé que la Sorbonne soit évacuée rapidement", comme "il l'avait demandé pour Sciences Po vendredi", a fait savoir son entourage. "Il suit la situation de près, il est en lien avec la préfecture de police".

La région Ile-de-France a annoncé lundi qu'elle "suspend(ait)" ses financements à destination de Sciences Po Paris, soit un million d'euros "prévu pour 2024 dans le cadre du CPER (contrat de plan État-région)", a précisé à l'AFP l'entourage de sa présidente Valérie Pécresse.

Concernant la Sorbonne, le rectorat de Paris a précisé à l'AFP que les cours reprendront mardi, après une fermeture de l'université lundi après-midi.

"Rejoignez-nous" 

Selon le rectorat, une trentaine de militants s'étaient rassemblés à l'intérieur de l'université, où neuf tentes ont été installées dans la cour et trois dans le hall, et un drapeau palestinien posé au sol. Selon un manifestant, les tentes étaient entre 20 et 30.

"Israël assassin, Sorbonne complice!" ou "Ne nous regardez pas, rejoignez-nous!" ont scandé des manifestants devant la Sorbonne, en présence notamment des députés LFI Louis Boyard, Thomas Portes et Rodrigo Arenas.

Un groupe de huit personnes du syndicat étudiant UNI (classé à droite) a brièvement déployé des affiches à l'effigie de Jean-Luc Mélenchon et Louis Boyard où l'on pouvait lire "Wokistes, islamogauchistes, stop!".

La foule a atteint quelque 300 personnes en milieu d'après-midi, encadrées par la police. Les manifestants se sont dispersés vers 18H00, a constaté l'AFP.

"On est là suite à l'appel des étudiants de Harvard, Columbia", a déclaré à l'AFP Lorélia Fréjo, étudiante à Paris-1 et militante de l'organisation étudiante Le Poing Levé. "Après les actions à Sciences Po, on est là pour que ça continue".

Les interventions policières dans ce lieu hautement symbolique des révoltes étudiantes sont rares. Celle-ci intervient quelques jours après les tensions survenues à Sciences Po Paris autour de la mobilisation d'une partie de ses étudiants emmenés par le Comité Palestine de l'établissement.

Ceux-ci se réclament des contestations qui agitent de prestigieux campus américains, provoquant un vif débat politique outre-atlantique.

A Saint-Etienne, une quinzaine d'étudiants pro-palestiniens bloquent depuis lundi matin le campus de Sciences Po Lyon, où ont été érigées des barrières de poubelles et une bannière "Stop au génocide à Gaza", a constaté l'AFP.

Appels à intensifier la mobilisation

Accusée par l'exécutif et les oppositions de droite de souffler sur les braises de la contestation, LFI a souhaité lundi que les mobilisations pour Gaza "prennent de l'ampleur" dans les universités et ailleurs.

Le syndicat lycéen USL a appelé les lycéens à la "mobilisation dans les établissements pour un cessez-le-feu dans la bande de Gaza, la reconnaissance de l'Etat palestinien et l'arrêt de la colonisation".

Ce week-end, des syndicats d'étudiants, comme l'Unef ou l'Union étudiante, avaient appelé à "intensifier dès lundi la mobilisation sur les lieux d'études".

Les organisations de jeunesse favorables à la mobilisation pro-palestinienne se heurtent à la volonté du gouvernement de veiller à ce que le mouvement parti des Etats-Unis ne se propage à la France, alors que l'année universitaire touche à sa fin.

 


Projet de livre avec Bardella: le journaliste Achilli licencié par Radio France

Jordan Bardella, président du Rassemblement National (RN) et leader de la liste électorale, lors d'un rassemblement de campagne pour les prochaines élections européennes à Montbéliard, dans l'est de la France, le 22 mars 2024. (Photo, AFP)
Jordan Bardella, président du Rassemblement National (RN) et leader de la liste électorale, lors d'un rassemblement de campagne pour les prochaines élections européennes à Montbéliard, dans l'est de la France, le 22 mars 2024. (Photo, AFP)
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  • Le journaliste de 61 ans est «licencié pour faute grave, pour cause de manquements répétés aux obligations déontologiques relatives aux collaborations extérieures »
  • « J'ai échangé avec Jordan Bardella comme je le fais avec tous les responsables politiques depuis 25 ans. Nous avons parlé, à sa demande, de ce que pourrait être son expression pour un livre d'entretiens. J'ai refusé le projet », avait affirmé M. Achilli

PARIS: Accusé d'avoir participé à l'écriture de l'autobiographie du président du RN Jordan Bardella, le journaliste politique Jean-François Achilli a été licencié par Radio France pour "des manquements répétés" à la déontologie, ce qui a suscité lundi de vives réactions à droite et à l'extrême droite.

Le journaliste de 61 ans est "licencié pour faute grave, pour cause de manquements répétés aux obligations déontologiques relatives aux collaborations extérieures", a indiqué à l'AFP une source interne au groupe public, confirmant une information du Point.

M. Achilli avait été suspendu à titre conservatoire le 14 mars par sa radio franceinfo, au lendemain d'un article du Monde le mettant en cause.

Il avait alors dénoncé la "brutalité" de cette "mesure injustifiée", sur le réseau social X, en assurant n'avoir "enfreint aucune règle professionnelle ou déontologique".

"J'ai échangé avec Jordan Bardella comme je le fais avec tous les responsables politiques depuis 25 ans. Nous avons parlé, à sa demande, de ce que pourrait être son expression pour un livre d'entretiens. J'ai refusé le projet", avait affirmé M. Achilli.

L'article du Monde assurait que Jordan Bardella l'avait démarché avant l'été 2023 "pour un ouvrage commun".

Selon le quotidien, M. Achilli, qui interviewait quotidiennement une personnalité politique en fin d'après-midi et coprésentait le talk-show d'actualité Les informés en soirée, avait refusé.

Mais toujours selon Le Monde, l'éditorialiste avait "néanmoins travaillé dans l'ombre, accouchant Bardella de ses souvenirs, permettant ainsi à un début de texte de voir le jour".

La tête de liste du Rassemblement national aux élections européennes avait toutefois assuré au quotidien que "seul (son) entourage proche (l)'aide à écrire ce livre, pour la relecture". La parution du livre est prévue pour après les élections de juin.

"Aucun contrat n'a été formalisé", a assuré mi-avril Jordan Bardella au JDD, faisant part de son "respect" pour le journaliste. Et d'ajouter: "si je commençais à révéler toutes les discussions privées que j'ai eues avec de nombreux journalistes, y compris ceux du service public, je pense que cela entraînerait des conséquences sévères pour beaucoup".

"Charlots" 

Mi-mars, la direction de Radio France a cependant découvert près de neuf mois d'échanges approfondis avec M. Achilli, avec des retours sur un texte, selon une source proche.

Or tout projet de collaboration extérieure, rémunéré ou non, doit faire l'objet d'une information à la hiérarchie, selon les règles internes. Il s'agit d'identifier s'il y a ou non conflit d'intérêts.

Le journaliste n'a pas effectué la démarche d'information de ses supérieurs, qui ont aussi eu connaissance à cette occasion d'autres "manquements" comme du "mediatraining" (de l'entraînement à la communication) non déclaré, d'après la même source proche.

M. Achilli n'était pas joignable dans l'immédiat. Le présentateur, qui a eu une longue carrière sur plusieurs antennes de Radio France, est aussi passé par RMC et BFMTV.

A l'annonce de ce licenciement, les réactions politiques n'ont pas tardé, en pleine campagne avant le scrutin du 9 juin.

"Le service public de l'audiovisuel se déshonore, on est loin de +je suis Charlie+! Ce sont plutôt des charlots et avec l'argent des Français!", s'est insurgé sur X Sébastien Chenu, vice-président du RN.

Ce licenciement est "scandaleux", a protesté le président des Républicains Eric Ciotti.

Ces derniers mois, Radio France a été secouée par d'autres affaires de collaborations extérieures. En mai 2023, Frédéric Beniada, spécialiste de l'aéronautique à franceinfo, avait lui aussi été licencié pour faute grave.

Il s'était défendu en assurant qu'il avait certes animé des débats professionnels du secteur de l'aéronautique, mais de façon bénévole.

Cette sanction, ainsi que d'autres mises à pied, faisaient suite à une enquête du média spécialisé La lettre A (devenu La lettre) mettant en cause cinq journalistes de franceinfo.

Selon cette enquête, ils avaient cumulé leurs fonctions avec des prestations d'animation pour des entreprises.

Dans la foulée de cette enquête, la présidente de Radio France Sibyle Veil, avait annoncé un durcissement des règles de déontologie du groupe concernant les collaborations extérieures pour lesquelles des journalistes se font payer (appelées "ménages").

 

 


Arnaud Lagardère, héritier déchu d'un empire français

Arnaud Lagardère, PDG du groupe Lagardère (Photo, AFP).
Arnaud Lagardère, PDG du groupe Lagardère (Photo, AFP).
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  • Il s'agit du dernier épisode du long feuilleton qui a vu Arnaud Lagardère, 63 ans, perdre son aura et solder au fil des années le groupe fondé en 1992 par son père Jean-Luc,
  • A travers le géant des médias Vivendi, la famille Bolloré avait ainsi finalisé fin 2023 sa prise de contrôle de la maison Lagardère

PARIS: La chute continue. Arnaud Lagardère, entendu lundi par une juge d'instruction sur des soupçons d'abus de biens sociaux, est l'héritier d'un empire aéronautique et médiatique français dont il a progressivement perdu le contrôle.

Il s'agit du dernier épisode du long feuilleton qui a vu Arnaud Lagardère, 63 ans, perdre son aura et solder au fil des années le groupe fondé en 1992 par son père Jean-Luc, artisan de la fusion entre l'avionneur Matra et l'éditeur Hachette.

A travers le géant des médias Vivendi, la famille Bolloré avait ainsi finalisé fin 2023 sa prise de contrôle de la maison Lagardère, propriétaire notamment d'un réseau profitable de boutiques dans les gares et aéroports (enseignes Relay, magasins Duty Free) et de salles de spectacle célèbres (Casino de Paris, Folies Bergère...), mais aussi de médias comme Europe 1 et le Journal du dimanche.

Le milliardaire Bernard Arnault compte pour sa part lui ravir Paris Match, son groupe LVMH ayant annoncé en février être entré en négociations exclusives pour racheter le magazine people.

Ce découpage a été rendu possible par le changement de statut juridique de l'entreprise, qui est passée en 2021 d'une commandite par action à une société anonyme, faisant perdre à Arnaud Lagardère son contrôle absolu sur elle.

Criblé de dettes, notamment via sa holding personnelle, au coeur d'une enquête ouverte par le parquet national financier, le fils Lagardère n'avait pas vraiment le choix.

Il obtient alors tout de même de rester officiellement à la tête du groupe avec un mandat de 6 ans et devient même en novembre 2023 le PDG de Hachette Livre, sa filiale spécialisée dans l'édition.

«Marguerite»

"Arnaud Lagardère a reçu une marguerite dont il a arraché les pétales année après année", tacle Yves Sabouret, un de ses ex-lieutenants.

Fossoyeur des ambitions de son père, Arnaud Lagardère a pourtant fait toute sa carrière au sein du groupe familial dans lequel il est entré dès 1986, après l'obtention de son diplôme d'économie.

Trois ans plus tard, il est propulsé directeur général, puis part aux États-Unis, à la tête de l'éditeur d'encyclopédie Grolier récemment acquis, pour chercher des relais de croissance dans les médias numériques.

Il gagne outre-Atlantique ses galons de dirigeant, adoptant "la culture managériale américaine aux rapports très directs, parfois brutaux", analyse le journaliste Thierry Gadault, auteur de l'ouvrage "Arnaud Lagardère, l'insolent" (Maren Sell), interrogé par l'AFP.

Lorsque Jean-Luc Lagardère décède brutalement des suites d'une intervention chirurgicale le 14 mars 2003, son fils unique lui succède.

Dilettante 

Souvent ramené à sa condition d'enfant bien né, le nouveau dirigeant rompt avec l'aventure paternelle dans l'aéronautique et la défense, en vendant pour plus de 2 milliards d'euros les parts du groupe dans EADS, la maison mère d'Airbus.

"Arnaud s'est toujours méfié de ce monde-là", du fait de liens troubles entre l'establishment politique et les industries de défense, justifie M. Gadault. Il gère en revanche son groupe "exactement comme le faisait son père" et "considère qu'il n'a pas à s'immiscer dans le quotidien de la gestion des patrons d'activités, en qui il place sa confiance".

D'autres voient dans cet éloignement des affaires quotidiennes le signe d'un patron dilettante et désinvolte, une réputation qui lui colle encore à la peau.

Arnaud Lagardère adopte aussi le style de l'entrepreneur moderne en s'affichant décontracté avec son épouse, la top-modèle Jade Foret de 30 ans sa cadette, sur les réseaux sociaux et dans un film en 2011 pour un magazine belge, où le couple se mettait en scène dans un registre intime, s'attirant au passage quelques critiques.

"On ne m'y reprendra plus", avait dit par la suite au quotidien Les Échos le dirigeant au sourire enjôleur, assurant "vivre avec et pour (son) groupe depuis (sa) plus tendre enfance".

Son aventure personnelle, ce passionné de tennis la voit dans le sport business (droits marketing, représentation d'athlètes, droits TV), une activité pour laquelle il investit plus d'un milliard d'euros.

Las, le chiffre d'affaires ne décolle pas, la crise de 2008 pousse les clubs et fédérations à gérer eux-mêmes leurs droits et la résiliation prématurée d'un contrat d'agence avec la Confédération africaine de football sonne le glas de cette diversification.

Le groupe se désengage également des médias (une participation dans Canal+, les magazines Elle ou Marie Claire, des sites comme Doctissimo, des studios de production).

"Arnaud Lagardère a réussi à se fâcher avec tout le monde. Tant mieux s'il se révèle en tant que PDG, mais il ne sera pas là jusqu'en 2026", avait prédit l'un de ses actionnaires.