Pourquoi le fossé se creuse-t-il entre l’Azerbaïdjan et la France?

Des parlementaires français lors d’un débat au Sénat, à Paris, le 17 novembre 2022. (Photo, AFP)
Des parlementaires français lors d’un débat au Sénat, à Paris, le 17 novembre 2022. (Photo, AFP)
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Publié le Mardi 27 décembre 2022

Pourquoi le fossé se creuse-t-il entre l’Azerbaïdjan et la France?

Pourquoi le fossé se creuse-t-il entre l’Azerbaïdjan et la France?
  • La France a bloqué toute solution à la question du Karabakh pendant près de trente ans, conservant une attitude négative depuis l’accord du cessez-le-feu
  • L’attitude de la France fait entièrement fi du fait que tous les pays de la communauté internationale, y compris l’Arménie elle-même, considèrent le Karabakh comme faisant partie intégrante de l’Azerbaïdjan

Les relations entre l’Azerbaïdjan et la France, qui n’ont jamais été cordiales, sont désormais devenues presque hostiles.

Le 15 novembre, le Sénat français a adopté une résolution fortement biaisée en faveur de l’Arménie. Une résolution similaire a suivi, approuvée cette fois par la chambre basse. Aucun des deux textes n’a d’effet contraignant, mais ils nuiraient néanmoins aux relations entre l’Azerbaïdjan et la France.

Lors des débats de la chambre basse, la ministre française des Affaires étrangères, Catherine Colonna, a déclaré que la résolution n’était pas contraignante pour le gouvernement français. Cependant, les mesures prises par les deux chambres parlementaires vont immédiatement exacerber les tensions.

Un effet concret de la décision française sera d’affaiblir le rôle du pays en tant que l’un des coprésidents du groupe agonisant de Minsk. Le groupe, qui a été créé pour négocier un règlement du conflit du Haut-Karabakh entre l’Azerbaïdjan et l’Arménie, a tout fait – partiellement en raison de l’obstructionnisme de la France – pour que la question ne soit pas résolue pendant près de trente ans. Ce n’est que grâce à l’action militaire déclenchée par le Karabakh et les Arméniens continentaux que ces derniers ont subi une défaite décisive et sont au bord de l’effondrement total. Seul un cessez-le-feu négocié par la Russie a empêché l’armée azerbaïdjanaise de s’emparer de Xankendi (Stepanakert), la capitale du Karabakh, une région autonome de l’Azerbaïdjan.

Le Premier ministre arménien, Nikol Pashinyan, a officiellement déclaré que la communauté internationale reconnaissait le Karabakh comme faisant partie de l’Azerbaïdjan. Il souligne que l’affaire du Karabakh n’est pas une question de souveraineté, mais de protection des droits et libertés des Arméniens vivant dans la région.

À un moment, on a pensé que Charles Michel, président du Conseil européen, prendrait les devants. Il s’est longuement entretenu avec M. Pashinyan et le président azerbaïdjanais Ilham Aliyev. Cependant, lorsque le président russe Vladimir Poutine a invité les deux dirigeants à Sotchi, il semblait évident que la Russie avait pris les commandes.

Le 3 décembre, les autorités azerbaïdjanaises ont décidé d’inspecter les véhicules traversant le corridor de Latchine qui relie l’Arménie au Karabakh. Il n’y a rien d’étonnant à cela puisque les autorités vérifient l’identité des étrangers entrant sur leur territoire. Néanmoins, des véhicules sont retenus pendant près de trois heures.

«L’ingérence d’acteurs extérieurs comme l’Union européenne, la France, la Russie ou les États-Unis ne fera que compliquer l’imbroglio entre l’Azerbaïdjan et l’Arménie.»- Yasar Yakis

Ces contrôles avaient été évités depuis la signature de l’accord du cessez-le-feu en novembre 2020 malgré le droit de l’Azerbaïdjan d’effectuer des inspections. L’article 6 de l’accord prévoit la construction d’une route qui contournerait le territoire de Shusha. Cette route allait devenir un échange de concessions pour le corridor de Zanguézour qui relierait l’enclave du Nakhitchevan à l’Azerbaïdjan au sens propre du terme. Cependant, l’Arménie traîne les pieds dans la construction de ce couloir.

La France a bloqué toute solution à la question du Karabakh pendant près de trente ans, conservant une attitude négative depuis l’accord du cessez-le-feu. Elle devra travailler dur pour faire partie de toute initiative de paix impliquant l’Azerbaïdjan. La logique déformée de la France est devenue si extrême qu’elle a accusé la Russie d’aider l’Azerbaïdjan, tandis qu’au contraire, Bakou affirme que Moscou aide les parachutistes arméniens à faire entrer clandestinement des armes par l’intermédiaire du corridor de  Latchine.

La France ne s’est pas arrêtée là. Allant au-delà de la position officielle arménienne, le Sénat français a proposé la proclamation d’un État indépendant pour les Arméniens du Karabakh. L’attitude de la France fait entièrement fi du fait que tous les pays de la communauté internationale, y compris l’Arménie elle-même, considèrent le Karabakh comme faisant partie intégrante de l’Azerbaïdjan.

Maintenant, avec l’attitude grossièrement biaisée des deux chambres parlementaires françaises, M. Aliyev pense qu’il est inutile d’impliquer la France dans ce qui a trait au Karabakh.

Pendant ce temps, la Russie a ses propres plans pour garantir une présence permanente dans le Caucase afin de maintenir indéfiniment le conflit entre l’Azerbaïdjan et l’Arménie.

Il existe actuellement deux textes pour résoudre la crise du Karabakh. L’un a été rédigé par la Russie, l’autre par l’Azerbaïdjan. L’Arménie a ajouté ses propres commentaires au texte azerbaïdjanais. En d’autres termes, il existe un texte indigène pour la solution du problème au Karabakh. C’est une occasion en or pour les pays directement intéressés de disposer d’un texte à partir duquel ils peuvent travailler. La meilleure solution dans les circonstances actuelles serait donc de laisser les deux pays, l’Azerbaïdjan et l’Arménie, régler leurs problèmes sans l’intervention d’un tiers.

L’ingérence d’acteurs extérieurs comme l’Union européenne, la France, la Russie ou les États-Unis ne fera que compliquer l’imbroglio entre l’Azerbaïdjan et l’Arménie.

Yasar Yakis est un ancien ministre des Affaires étrangères de Turquie et membre fondateur du parti AKP au pouvoir.

Twitter: @yakis_yasar

NDLR: L’opinion exprimée dans cette page est propre à l’auteur et ne reflète pas nécessairement celle d’Arab News en français.

Ce texte est la traduction d’un article paru sur Arabnews.com