Un cessez-le-feu en Ukraine soulagerait la Turquie de son rôle chien de garde

Le ministre turc de la Défense, Hulusi Akar (à droite), avec son homologue finlandais, Antti Kaikkonen, à Ankara, en Turquie, le 8 décembre 2022 (Photo, AFP).
Le ministre turc de la Défense, Hulusi Akar (à droite), avec son homologue finlandais, Antti Kaikkonen, à Ankara, en Turquie, le 8 décembre 2022 (Photo, AFP).
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Publié le Vendredi 16 décembre 2022

Un cessez-le-feu en Ukraine soulagerait la Turquie de son rôle chien de garde

Un cessez-le-feu en Ukraine soulagerait la Turquie de son rôle chien de garde
  • L’ancien rideau de fer entre l’Europe et la Russie a été dressé au lendemain de la Seconde Guerre mondiale et la Turquie a dû agir comme l’un de ses gardiens pendant plus de quarante ans
  • Il est difficile de prédire pendant combien de temps la Turquie pourra conserver ce statut, car la communauté internationale demandera tôt ou tard à la capitale Ankara de mettre fin au rôle qu’elle joue dans la zone grise

Deux mauvaises nouvelles ont fait la une des médias turcs la semaine dernière. La première concerne des informations selon lesquelles la communauté internationale s’apprêterait à construire un nouveau rideau de fer entre l’Europe et la Russie. L’autre est la menace imminente d’une opération terrestre que la Turquie pourrait mener en Syrie.

L’ancien rideau de fer a été dressé au lendemain de la Seconde Guerre mondiale et la Turquie a dû agir comme l’un de ses gardiens pendant plus de quarante ans. Cette fois, le rideau se situera à des milliers de kilomètres à l’est, mais le rôle de la Turquie en tant que chien de garde ne fera l’objet que de légères modifications.

Le premier rideau de fer passait par la mer Noire et il s’étendait le long des frontières de la Turquie avec la Géorgie et l’Arménie. Désormais, il ne couvrira plus les frontières terrestres de la Turquie, mais il traversera la mer Noire.

En supposant que la Russie n’essaiera pas d’étendre davantage ses frontières aux dépens de l’Ukraine, le nouveau rideau de fer traversera les frontières occidentales de la Russie et de la Biélorussie.

L’idée d’un nouveau rideau de fer est une mauvaise nouvelle pour Ankara, car la Turquie se verra à nouveau confier la tâche d’être l’un de ses gardiens. Cette situation a hanté l’esprit de nombreux Turcs pendant des décennies.

Dans le passé, il divisait la mer Noire d’est en ouest, laissant la partie sud de la mer à la Turquie et la partie nord aux pays du pacte de Varsovie. Si un tel rideau devait être réintroduit, la ligne de démarcation dans la mer Noire suivrait les lignes de démarcation des zones de juridiction maritime des États riverains – soit la Turquie, l’Ukraine, la Roumanie, la Bulgarie d’un côté et la Russie de l’autre.

En raison du rôle de médiation que la Turquie a joué entre la Russie et l’Ukraine, elle sera à nouveau placée dans une situation particulière. Ankara a obtenu le statut de médiateur en organisant des rencontres entre Moscou et Kiev. Ce statut a également été reconnu comme une situation particulière par l’Organisation du traité de l’Atlantique nord (Otan) du fait du rôle de facilitateur qu’Ankara a joué avec succès dans les premières phases de la crise. Un autre rôle important joué par la Turquie a été sa contribution à l’accord crucial sur les céréales de cet été.

Il est difficile de prédire pendant combien de temps la Turquie pourra conserver ce statut, car la communauté internationale, et notamment l’Otan, demandera tôt ou tard à la capitale Ankara de mettre fin au rôle qu’elle joue dans la zone grise, en n’appliquant pas de sanctions à la Russie.

La deuxième situation désagréable à laquelle la Turquie fait face est l’opération terrestre en attente depuis plusieurs mois. Cette opération a trop longtemps fait la une des médias turcs. Deux acteurs importants sur la scène syrienne – la Russie et les États-Unis – ont tout fait pour inciter clairement la Turquie à renoncer à ses projets. On ne sait toujours pas si cette dernière ira de l’avant.

Ankara a d’autres problèmes avec les États-Unis. La Turquie a été exclue du consortium d’avions de combat le plus avancé, le F-35. Comme la loi est du côté de la Turquie, les États-Unis traîneront probablement les pieds aussi longtemps qu’ils le pourront. Il y a toutefois des nouvelles prometteuses concernant un autre accord, soit l’achat aux États-Unis de quarante avions de combat F-16 et de quatre-vingts kits de modernisation pour ceux déjà existants. Les obstacles au Congrès semblent avoir été levés.

La communauté transatlantique a l’intention de continuer à imposer des sanctions paralysantes à la Russie. On brandit même la menace de sanctions encore plus accablantes. Ankara ne peut pas rester indéfiniment un allié de l’Otan qui n’adhère pas aux sanctions contre Moscou.

Le président français, Emmanuel Macron, a proposé la semaine dernière une idée différente. Il déclare: «L’Occident devrait réfléchir à la manière de répondre aux préoccupations de sécurité de la Russie si le président, Vladimir Poutine, acceptait de mettre fin à la guerre par la diplomatie.» Cette proposition peut éliminer la nécessité d’ériger un nouveau rideau de fer. Il fut un temps où la Russie et l’Otan coopéraient. Il y avait une délégation russe au sein de la «forteresse de l’Otan», mais la confiance mutuelle s’est érodée au fil du temps.

«Ankara ne peut pas rester indéfiniment un allié de l’Otan qui n’adhère pas aux sanctions contre Moscou.» - Yasar Yakis

Nous devons admettre que le puissant lobby de l’industrie de la défense américaine travaille intensément pour créer de nouveaux emplois aux États-Unis aux dépens de soldats innocents qui périssent pour une cause qui n’est pas la leur.

La guerre contre l’Ukraine a été déclarée par la Russie pour une raison peu convaincante. Avec un effort soutenu des principaux pays, il est possible de mettre fin à la lutte actuelle persistante. Plutôt que de signer un accord de cessez-le-feu après que de nombreuses autres personnes des deux côtés ont été tuées, les dirigeants devraient assumer leur responsabilité et accepter de mettre fin aux hostilités avant que d’autres personnes ne soient tuées.

Une telle proposition éviterait également à la Turquie de redevenir le chien de garde d’un rideau de fer.

 

Yasar Yakis est un ancien ministre des Affaires étrangères de Turquie et membre fondateur du parti AKP au pouvoir.

Twitter: @yakis_yasar

NDLR: L’opinion exprimée dans cette page est propre à l’auteur et ne reflète pas nécessairement celle d’Arab News en français.

Ce texte est la traduction d’un article paru sur Arabnews.com