Revirement soudain dans les relations entre la Turquie et l’Égypte

Le président égyptien, Abdel Fattah al-Sissi, et le président turc, Recep Tayyip Erdogan (Photo, AFP).
Le président égyptien, Abdel Fattah al-Sissi, et le président turc, Recep Tayyip Erdogan (Photo, AFP).
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Publié le Mardi 29 novembre 2022

Revirement soudain dans les relations entre la Turquie et l’Égypte

Revirement soudain dans les relations entre la Turquie et l’Égypte
  • La relation s’était dégradée lorsque le président Erdogan avait refusé de reconnaître la légitimité du gouvernement de son homologue égyptien Al-Sissi légitime
  • La présidence égyptienne a salué ce «nouveau départ dans les relations avec la Turquie»

La poignée de mains entre le président turc Recep Tayyip Erdogan et le président égyptien Abdel Fattah al-Sissi au Qatar la semaine dernière est le symbole du revirement des relations entre les deux pays.  
Personne ne s’attendait à un scénario heureux aussi tôt. Le sourire éclatant sur le visage de l’émir du Qatar, Tamim ben Hamad al-Thani – qui se tenait en arrière-plan lors de la poignée de main – suggère qu’il a été l’un des principaux médiateurs de cette rencontre. Cependant, certains signes montrent que la Turquie et l’Égypte déploient des efforts laborieux pour qu’une telle rencontre ait lieu, indépendamment de l’initiative du Qatar.
La Coupe du monde était une bonne occasion d’organiser une telle rencontre, car il est de notoriété publique que le président Erdogan jouait au football dans sa jeunesse.
Les relations turco-égyptiennes fluctuent depuis près de dix ans. La relation s’était dégradée lorsque le président Erdogan avait refusé de reconnaître le gouvernement de son homologue égyptien Al-Sissi comme légitime. Il avait même utilisé un langage auquel les chefs d’État n’ont pas l’habitude de recourir.
Plusieurs raisons expliquent le changement radical qui s'opère lentement.
Lorsque la Turquie a compris que les relations tendues avec l’Égypte causaient des dommages considérables, Ankara a décidé de prendre les devants. L’Égypte n’a manifesté au début aucun signe d’enthousiasme. Après une longue période d’accalmie qui a duré plus d’un an, Ankara a renouvelé son initiative.
Il y a trois semaines, le ministre égyptien des Affaires étrangères, Sameh Choukri, a déçu Ankara en accordant un entretien surprise à la chaîne de télévision Al-Arabiya, affirmant que Le Caire avait suspendu unilatéralement les négociations pour la normalisation des relations entre les deux pays, puisque la Turquie n’avait témoigné d’aucune volonté de changer sa politique sur la Libye.
Alors que nous pensions au départ que la normalisation des relations turco-égyptiennes pourrait être reportée à un avenir imprévisible, nous avons été agréablement surpris par cette heureuse poignée de main. Nous n’avons cependant qu’une connaissance limitée de son contexte. Une déclaration publiée plus tard par le bureau du président égyptien salue cette rencontre qualifiée de «nouveau départ dans les relations avec la Turquie», confirmant ainsi que quelque chose se préparait en coulisses.
Selon certaines spéculations, Le Caire souhaitait depuis longtemps préparer le terrain pour une poignée de main.

«Plusieurs raisons expliquent le changement radical qui s'opère lentement entre Ankara et Le Caire.» - Yasar Yakis

De son côté, M. Erdogan avait déjà affirmé qu’«il n’y avait aucune raison pour que des pourparlers de haut niveau n’aient pas lieu entre la Turquie et l’Égypte», tandis que la partie égyptienne donnait l’impression d’être moins enthousiaste à l’égard d’une telle idée.
Les dirigeants turc et égyptien ne se sont pas arrêtés là. Lors de leur brève rencontre à Doha, ils ont «confirmé la profondeur des liens historiques entre les deux pays». Lundi dernier, le gouvernement égyptien a publié un communiqué affirmant que cette rencontre marquerait «le début des relations bilatérales».
Parmi les trois pays avec lesquels la Turquie entretient des relations relativement insatisfaisantes, soit l’Arabie saoudite, les Émirats arabes unis (EAU) et l’Égypte, c’est Le Caire qui était le plus à la traîne. Désormais, les relations avec l’Égypte pourront désormais être comparées aux deux autres.
Pour contrebalancer ses relations en déclin avec la communauté euro-atlantique, la Turquie doit réactiver ses relations avec les pays de la région. La volte-face du président Erdogan peut également être liée à son besoin de devises étrangères. La Turquie a amélioré ses relations avec l’Arabie saoudite et les EAU. Le quotidien britannique Financial Times a écrit le 23 novembre que Riyad discutait d’un accord pour injecter cinq milliards de dollars (1 dollar = 0,96 euro) dans la banque centrale de Turquie «en vue de renforcer les réserves de devises étrangères d’Ankara et de marquer un nouveau signe de rapprochement». Le journal ajoute que les pourparlers n’étaient pas encore conclus, mais qu’ils étaient en phase finale.

Les étapes qui ont déjà été franchies dans les relations turco-égyptiennes seront probablement suivies d’une rencontre entre les ministres des Affaires étrangères. Les deux ministres se sont déjà entretenus en marge de diverses réunions internationales, mais ces rencontres n’étaient pas officielles. Désormais, les deux ministres des Affaires étrangères devraient se rencontrer avec un ordre du jour officiel. Cela sera suivi d’une consolidation du niveau de la représentation diplomatique. Ankara avait déjà envoyé un représentant au Caire, mais il ne bénéficie pour le moment que du statut de «chargé d’affaires» jusqu’à ce que les deux parties aient officiellement achevé les formalités de renforcement des relations.
L’Égypte affirme que le commerce n’a pas été affecté négativement par la détérioration des relations, mais que le volume des échanges devrait augmenter avec la normalisation. Arcelik, la puissante entreprise turque d’appareils électroménagers, prévoit de réaliser un investissement majeur qui pourrait permettre la création de soixante mille emplois en Égypte.
Alors que les deux chefs d’État ont donné leur bénédiction au moyen d’une poignée de main, le reste devrait suivre.


Yasar Yakis est un ancien ministre des Affaires étrangères de Turquie et membre fondateur du parti AKP au pouvoir.
Twitter: @yakis_yasar
NDLR: L’opinion exprimée dans cette page est propre à l’auteur et ne reflète pas nécessairement celle d’Arab News en français.
Ce texte est la traduction d’un article paru sur Arabnews.com