Un mystérieux assassinat pourrait ébranler le partenaire de la coalition d'Erdogan

Le président turc Recep Tayyip Erdogan prononce un discours lors de la Conférence internationale des médiateurs au complexe présidentiel d'Ankara, en Turquie, le 11 janvier 2023. (Photo de Adem ALTAN / AFP)
Le président turc Recep Tayyip Erdogan prononce un discours lors de la Conférence internationale des médiateurs au complexe présidentiel d'Ankara, en Turquie, le 11 janvier 2023. (Photo de Adem ALTAN / AFP)
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Publié le Mardi 17 janvier 2023

Un mystérieux assassinat pourrait ébranler le partenaire de la coalition d'Erdogan

Un mystérieux assassinat pourrait ébranler le partenaire de la coalition d'Erdogan
  • Sinan Ates, membre bien connu du Parti du mouvement nationaliste turc, a été assassiné le 30 décembre dans le centre d'Ankara
  • Si le MHP, allié électoral d’Erdogan, se désagrégeait après l'assassinat d'Ates, l’un des personnages emblématiques du parti, le président turc pourrait être confronté à de plus grands dangers à l’approche d’échéances électorales

Sinan Ates, membre bien connu du Parti du mouvement nationaliste turc, connu sous le nom de «MHP», a été assassiné le 30 décembre en plein jour dans le centre d'Ankara. Ates était professeur associé à l'université Hacettepe d'Ankara. En 2019 et 2020, il a été président d'un mouvement associé au MHP, traduit à tort en anglais par «Cœurs nationalistes» («Ulku Ocaklari») et peut également être traduit par «Foyer des idéalistes». Cette organisation servait parfois de pépinière aux adhérents du parti, et à d’autres moments, c'était son arrière-cour. Indépendamment de son titre et de ses fonctions antérieures, Ates était une personne respectée et appréciée tant au sein du MHP que dans les cercles extérieurs à son parti.
Alors que tous les partis d'opposition condamnaient vivement cet assassinat, les partenaires de la coalition gouvernementale ont gardé le silence pendant plusieurs jours. Ni le président Recep Tayyip Erdogan, ni Devlet Bahçeli, le président du MHP, membre du gouvernement d'Erdogan, n'ont prononcé un seul mot pendant plusieurs jours suivant l'assassinat. Ce n’est que six jours après l'incident que le président de la branche locale du parti au pouvoir, l'AKP, a rendu visite à la famille pour présenter ses condoléances: «Le président de l'AKP nous a transmis les salutations du président Erdogan et nous a dit d’aller jusqu’au bout», a déclaré la famille. Bahceli s’est exprimé pour la première fois dix jours après l'incident, blâmant tout le monde sauf lui-même.
Tout semble indiquer que l'assassinat a été une surprise pour Erdogan et qu'il n'a pas pu saisir immédiatement toutes les conséquences de l'incident. Treize personnes ont été arrêtées à ce jour, dont deux policiers en civil. Ce sont eux qui auraient conduit le tueur à gages, qui a fait tout le trajet d'Istanbul à Ankara pour perpétrer l'assassinat. La plupart des suspects arrêtés se sont révélés être des toxicomanes. Les partenaires de la coalition veulent donner l'impression que la fusillade n'était pas un crime organisé, mais un événement accidentel.
Il n'y a presque rien de cohérent dans toute cette histoire.
Les policiers ont affirmé qu'ils avaient une «course» à faire jusqu'à Ankara (une distance de 440 km) pour leur plaisir. Un homme (le tueur à gages) avait demandé à se joindre à eux en disant qu'il devait se rendre à Ankara, et leur proposait de partager les frais du voyage. Les policiers ont alors accepté de l’emmener avec eux. Le tueur à gages s'est avéré avoir déjà été condamné pour meurtre, mais avoir réussi à rester en liberté pendant plusieurs années.
Les principaux membres du parti sont circonspects, mais ils savent peut-être qui est le cerveau de l’assassinat. Les membres du MHP ont pour habitude de résoudre leurs problèmes au sein de la famille et pourraient s'abstenir de laver leur linge sale en public.
L'un des coupables présumés a déclaré qu'ils n'avaient pas l'intention de tuer Ates mais de l'effrayer, parce qu'il avait refusé de l'aider dans une affaire qu’il avait devant la Haute Cour.
L'un des moyens les plus simples de discréditer quelqu'un en Turquie est de prétendre qu'il a été lié au religieux musulman Fethullah Gülen, qui s'est exilé aux États-Unis. Conformément à cette pratique, Ates a également été accusé d'avoir des liens avec Gülen, mais une telle affirmation ne tient pas facilement la route. À l’opposé, lorsqu'il était président des prétendus «Cœurs nationalistes», il avait réussi à innocenter plusieurs membres du clan et à obtenir leur libération de prison.
Cet événement malheureux coïncide avec les futures élections nationales en Turquie, qui doivent se tenir dans quelques mois. L'AKP d'Erdogan est bien loin de la victoire. Le président a un besoin impérieux de chaque vote. Le soutien du MHP était le seul appui sérieux sur lequel il pouvait compter. Si le MHP se désagrégeait à la suite de l'assassinat d'Ates, Erdogan pourrait être confronté à de plus grands dangers.

 

Si le MHP se désagrégeait à la suite de l'assassinat d'Ates, le président turc pourrait être confronté à de plus grands dangers.

Yasar Yakis

Une plus grande catastrophe pourrait toucher le MHP. La branche Bursa du parti – au sein de laquelle Ates œuvrait – est déjà en effervescence et cherche un bouc émissaire. En politicien habile, Erdogan peut encore trouver un moyen de gérer la situation au sein de son propre parti, mais l'avenir s'annonce plus sombre pour le MHP. Ce parti avait déjà été l’objet de vives critiques de la part du Bon parti (IYI) de Meral Aksener. L'un des grands gagnants de cette situation pourrait donc être Aksener.
Cet incident promet également davantage de révélations en raison de la sensibilité du sujet.
Si Erdogan parvient à garder le soutien de Bahçeli jusqu'aux élections, il ne pourra pas compter sur lui par la suite. Le MHP sortira sans doute de cet incident sérieusement meurtri, voire brisé. Il est difficile de dire si Erdogan pourra en sortir indemne.

Yasar Yakis est un ancien ministre des Affaires étrangères de Turquie, et membre fondateur du parti AKP au pouvoir.

Twitter: @yakis_yasar

NDLR: L’opinion exprimée dans cette page est celle de l’auteur et ne reflète pas nécessairement le point de vue d’Arab News en français.

Ce texte est la traduction d’un article paru sur Arabnews.com