Avec sa politique d'apartheid, Israël a atteint un point de non-retour

Des Palestiniens assistant aux funérailles d'un homme abattu par les forces israéliennes en Cisjordanie, le 3 février 2023. (AFP)
Des Palestiniens assistant aux funérailles d'un homme abattu par les forces israéliennes en Cisjordanie, le 3 février 2023. (AFP)
Short Url
Publié le Mercredi 08 février 2023

Avec sa politique d'apartheid, Israël a atteint un point de non-retour

Avec sa politique d'apartheid, Israël a atteint un point de non-retour
  • La norme de deux poids deux mesures a créé un climat d'impunité du côté israélien, où des administrations de plus en plus extrémistes croient pouvoir tout se permettre
  • L'assaut de Netanyahou contre la démocratie est surtout visible dans ses ambitions de saper le système judiciaire israélien

La Palestine est en ébullition. Nous ne sommes qu'au début du mois de février, et les tirs israéliens ont déjà tué cette année 35 Palestiniens, dont neuf lors d'une seule incursion à Jénine, et notamment une femme de 61 ans. Sept Israéliens ont été tués au cours de violents incidents à Jérusalem-Est. Alors que les tensions s’exacerbent, les attaques des colons contre les Palestiniens se sont multipliées.
Au milieu de cette violence, le ministre de la Sécurité, Itamar Ben-Gvir, a mené une foule scandant «mort aux terroristes», dans des scènes rappelant l'Allemagne nazie des années 1930. Ben-Gvir fait également pression pour accélérer la politique de punition collective consistant à démolir les maisons des familles des Palestiniens impliqués dans des attaques violentes, dont un jeune de 13 ans accusé d'avoir blessé deux personnes à Jérusalem. 75 maisons ont été démolies depuis 2014. Attendez-vous à ce que ce nombre augmente rapidement.
Il existe cependant une asymétrie fondamentale dans les réactions mondiales – une indignation retentissante chaque fois que des juifs sont victimes du «terrorisme» palestinien, comparativement aux réactions léthargiques lorsque le nombre de morts palestiniens augmente. Cette norme de deux poids deux mesures a créé un climat d'impunité du côté israélien, où des administrations de plus en plus extrémistes croient pouvoir tout se permettre.
Le Premier ministre israélien, Benjamin Netanyahou, manifeste la croyance illusoire qu'il peut «contourner» les Palestiniens pour faire la paix, comme s'il pouvait y avoir un règlement définitif sans eux. Il se vante d'avoir conclu des accords avec divers États arabes. Mais Israël n'a jamais été en guerre avec le Soudan, Bahreïn ou les Émirats arabes unis, et n'a jamais volé un pouce de leur territoire; alors comment ces accords représentent-ils des étapes importantes vers la paix? Les États-Unis soudoyant le Maroc et le Soudan dans des accords de «normalisation» incluant des concessions sur le Sahara occidental et l'annulation de la dette ne sont guère la base d'un dégel des relations valable et de grande envergure.
Le ministre saoudien des Affaires étrangères, le prince Faisal ben Farhan, a récemment souligné la nécessité fondamentale d'une paix juste avec les Palestiniens comme premier pas d'Israël vers une paix réelle avec le monde arabe: «La véritable normalisation et la véritable stabilité ne viendront qu'en donnant de l'espoir aux Palestiniens – en leur donnant la dignité», a-t-il affirmé.
Les accords de paix artificiels d'Israël avec l'Égypte et la Jordanie démontrent le fait qu’une paix réelle n'est pas réalisée entre les dirigeants, mais entre les peuples eux-mêmes. Les citoyens égyptiens et jordaniens ne sont pas plus réconciliés avec Israël qu'ils ne l'étaient dans les années 1980. Sans justice pour les Palestiniens, aucun peuple épris de paix n'a le désir d’entreprises communes, d'échanges culturels ou de tourisme.
Le problème de Netanyahou n'est pas un problème «arabe», mais un problème de «civilisation». Le monde civilisé n'accepte pas passivement l'apartheid, la violence et le nettoyage ethnique. Le Congrès américain et les médias étaient autrefois des cachets apposés pour la légitimation d’Israël, mais cela n'a plus été le cas depuis un certain temps. Les longs mandats de Netanyahou en tant que Premier ministre marquent la transition décisive d’Israël vers le statut d’État paria.
De plus, la vision de Netanyahou envers les Palestiniens semble singulièrement bienveillante par rapport à celle de ses alliés du cabinet d'extrême droite aux conceptions extrémistes, qui considèrent l'intégralité de la Palestine comme leur étant accordée par Dieu et, par conséquent, comme devant être entièrement vidée de Palestiniens par tous les moyens.
L'assaut de Netanyahou contre la démocratie est surtout visible dans ses ambitions de saper le système judiciaire israélien. Pour les Palestiniens, les tribunaux israéliens n'ont jamais proposé des règles du jeu équitables, mais ils ont au moins représenté une lueur d'espoir que les violations les plus flagrantes – démolitions de maisons, expulsions, vols de terres et arrestations injustifiées – pourraient être retardées ou annulées. En donnant aux politiciens le droit d'inonder le système judiciaire de personnes de leur choix, et en permettant aux députés de la Knesset d'annuler toute décision juridique, Netanyahou et ses alliés visent à transformer le système judiciaire en une simple annexe des hauts dirigeants politiques quasi fascistes d'Israël.
En effet, ils veulent aller plus loin – exploiter ces pouvoirs judiciaires pour interdire aux partis politiques arabes de se présenter aux élections, fermer les organisations de la société civile, restreindre la définition de qui jouit des droits de citoyenneté, et donner le feu vert à des pogroms toujours plus violents contre les villes palestiniennes. Des manifestations de masse en Israël ont à juste titre dénoncé ces mesures comme une menace pour la paix mondiale. Un universitaire de Tel-Aviv a affirmé dans un article du Financial Times qu'Israël, en tant qu'«État religieux non libéral, non démocratique, représentait un danger pour le monde occidental».

 

Avec une solution à deux États quasiment morte, la question est de savoir quelle sorte de solution à un État peut émerger.

Baria Alamuddin

Présent aux côtés de Netanyahou la semaine dernière, le secrétaire d'État américain, Antony Blinken – lui-même beau-fils d'un survivant de l'Holocauste – a été inhabituellement direct, soulignant «notre soutien aux institutions et principes démocratiques fondamentaux, notamment le respect des droits humains, l'administration égale de la justice pour tous, l'égalité des droits pour les groupes minoritaires, l'État de droit, la liberté de la presse et une société civile solide».
Avec une solution à deux États quasiment morte, la question est de savoir quelle sorte de solution à un État peut émerger. Un État unique dans lequel tous les citoyens jouissent des mêmes droits et libertés pourrait servir d'exemple mondial en tant que modèle de réconciliation et de coexistence pacifique. Malheureusement, nous sommes sur le point d'avoir tout le contraire: un État d'apartheid où les Arabes et les minorités deviennent des non-citoyens dont chaque expression de mécontentement est accueillie avec une force meurtrière.
Dans l'ensemble de la Palestine, les Arabes sont probablement un peu plus nombreux que les juifs, sachant que la population palestinienne augmente à un rythme plus rapide. Alors que le régime de Netanyahou s'éloigne de toute prétention de valeurs démocratiques, la force brutale devient le seul moyen pour une minorité de s'imposer à une majorité opprimée. Alors que les Israéliens arabes représenteraient un quart de la population d’Israël, s’ils doivent être privés de leurs droits démocratiques et légaux, les perspectives de stabilité civile d’Israël semblent sombres.
On pourrait dire qu'Israël se trouve à un tournant de son histoire. Cependant, la coalition néofasciste de Netanyahou a déjà résolument appuyé sur l'accélérateur et fonce inexorablement vers le point de non-retour.
Pour les Palestiniens, cela rend les choses remarquablement simples: il n'y a pas de partenaire pour la paix. Il n'y a pas de solution à deux États sur la table. Ils ne peuvent regagner leurs terres et leurs droits que par un soulèvement civil.
Cependant, alors que Netanyahou et ses sbires s'attaquent aux prétentions démocratiques d'Israël, les Palestiniens devraient s'emparer de leurs propres terres pour atteindre une position de supériorité morale. Ce conflit persistant a alimenté des deux côtés un mépris déshumanisant pour la vie. Le mouvement des colons d'extrême droite de Ben-Gvir a créé un climat dans lequel les Palestiniens peuvent être violentés et tués, ce qui à son tour a cultivé la haine et le désir de vengeance, et une nouvelle Intifada parmi les Palestiniens. L'absence de dirigeants compétents du côté palestinien facilite un vide de leadership moral.
Si les Arabes de Palestine capitalisaient sur leur force démographique pour se lancer dans une vaste campagne de désobéissance civile pacifique – comme en Iran –, cela obligerait le régime de Netanyahou à montrer de plus en plus clairement son visage sinistre et violent, délégitimant de manière permanente le consensus d'extrême droite d'Israël aux yeux du monde.
Assez d’une application de deux poids deux mesures qui considère les Arabes comme étant en quelque sorte moins humains que les juifs, et d’une absence de prise de position du monde envers la question palestinienne. S'il s'agit de choisir entre la vision de Netanyahou pour l'autocratie d'apartheid ou la quête de justice des Palestiniens depuis soixante-quinze ans, il devient de plus en plus clair quelle cause mérite le plus la solidarité et le soutien internationaux.

 


Baria Alamuddin est une journaliste et animatrice ayant reçu de nombreux prix au Moyen-Orient et au Royaume-Uni. Elle est rédactrice en chef du Media Services Syndicate et a interviewé de nombreux chefs d'État.
NDLR: L’opinion exprimée dans cette page est celle de l’auteur et ne reflète pas nécessairement le point de vue d’Arab News en français.

Ce texte est la traduction d’un article paru sur Arabnews.com