Quand la mort et la destruction hantent les rues d’Israël et de Palestine

Des étudiants et des militants arabo-israéliens brandissent le drapeau palestinien lors d'une manifestation contre l'opération de l'armée israélienne dans la ville de Jénine, en Cisjordanie, sur le campus de l'université de Tel Aviv, le 30 janvier 2023. (AFP).
Des étudiants et des militants arabo-israéliens brandissent le drapeau palestinien lors d'une manifestation contre l'opération de l'armée israélienne dans la ville de Jénine, en Cisjordanie, sur le campus de l'université de Tel Aviv, le 30 janvier 2023. (AFP).
Almog Cohen (au centre) du parti d'extrême droite Otzma Yehudit (Pouvoir juif) et des militants de droite manifestent en faveur de l'opération de l'armée israélienne dans la ville de Jénine, en Cisjordanie, sur le campus de l'université de Tel Aviv, le 30 janvier 2023. (AFP).
Almog Cohen (au centre) du parti d'extrême droite Otzma Yehudit (Pouvoir juif) et des militants de droite manifestent en faveur de l'opération de l'armée israélienne dans la ville de Jénine, en Cisjordanie, sur le campus de l'université de Tel Aviv, le 30 janvier 2023. (AFP).
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Publié le Mercredi 08 février 2023

Quand la mort et la destruction hantent les rues d’Israël et de Palestine

Quand la mort et la destruction hantent les rues d’Israël et de Palestine
  • La ville de Jénine est peut-être devenue le centre du militantisme palestinien et les raids israéliens à l’intérieur des camps de réfugiés visent à empêcher les attaques contre les forces de sécurité et les civils des deux côtés de la Ligne verte
  • Le gouvernement israélien est contrôlé par des adeptes de la punition collective, qui ne tiennent pas compte de la vie et des droits des Palestiniens, en plus d’exiger l’expansion des colonies juives en Cisjordanie occupée

Une fois de plus, Israéliens et Palestiniens sont au bord d’une confrontation totale – peut-être pire que toutes les précédentes. Le désespoir et l’idée qu’il n’y ait pas de solution de rechange se sont emparés des deux protagonistes. 

Les événements récents à Jénine, à Jérusalem et dans d’autres parties de la Cisjordanie occupée, qui ont coûté la vie à des dizaines de Palestiniens et d’Israéliens, ont plongé les deux peuples dans une nouvelle ère prolongée d’effusion de sang, de destruction et de traumatisme, mais cette fois sans l’espoir d’une solution politique ou de toute implication internationale ferme et proactive pour empêcher une escalade encore plus meurtrière. 

Lors de sa visite récente, le secrétaire d’État américain Antony Blinken ne s’est guère montré rassurant quant à la volonté de Washington de déployer les efforts nécessaires pour empêcher une telle éventualité. 

Il serait tout à fait vain de considérer, hors contexte, l’attentat meurtrier qui a tué sept Israéliens à Jérusalem un vendredi soir il y a une semaine, ou la fusillade de deux Israéliens le lendemain, comme une simple vengeance à la suite du raid israélien sur Jénine deux jours plus tôt au cours duquel neuf Palestiniens ont été tués. 

Ce serait simplifier à l’extrême une situation complexe où les deux parties semblent incapables de trouver une solution pacifique. La plupart des Israéliens juifs pensent que la poursuite de l’occupation, de l’oppression et du blocus imposé aux Palestiniens sont les seuls moyens de garantir la sécurité d’Israël. Parallèlement, un nombre croissant de Palestiniens considèrent le recours à la lutte armée comme la seule voie qui leur reste pour voir se matérialiser leurs aspirations à l’autodétermination et à vivre dans la dignité. 

La ville de Jénine est peut-être devenue le centre du militantisme palestinien et les raids israéliens à l’intérieur des camps de réfugiés visent à empêcher les attaques contre les forces de sécurité et les civils des deux côtés de la Ligne verte. Mais pendant des décennies, Israël a adopté le recours disproportionné à la force, blessant négligemment des civils dans le processus, tout en échouant à atteindre son objectif de vivre en sécurité. 

«La communauté internationale suit avec crainte les incidents en Israël.»

Yossi Mekelberg 

Pendant trop longtemps, les forces de sécurité israéliennes ont considéré les attaques contre les civils et leurs biens, ainsi que d’autres violations de leurs droits humains, comme de simples dommages collatéraux dans un processus visant à contenir le militantisme. Cependant, cela a conduit à la radicalisation de la population locale, en particulier la jeune génération, et à des appels croissants pour que des officiers supérieurs des Forces de défense israéliennes fassent l’objet d’une enquête par la Cour pénale internationale pour crimes de guerre. 

Rien ne peut justifier le fait de tirer au hasard sur des fidèles sortant d’une synagogue et tout ce qui a conduit un tireur solitaire à commettre cette atrocité, au-delà d’une haine profonde, l’a accompagné dans la tombe lorsqu’il a été tué par des policiers israéliens alors qu’il tentait de s'échapper. Il savait probablement que ses chances de s’en tirer vivant étaient faibles, comme cela a été démontré par des incidents similaires antérieurs. 

Le lendemain, c’est un Palestinien de treize ans qui a blessé deux Israéliens, avant d’être lui-même blessé et arrêté. La promesse du gouvernement israélien de répondre de manière «ferme, rapide et précise», suggère qu’il infligerait de nouvelles effusions de sang et d’autres formes de souffrance, principalement à des civils palestiniens innocents, sans aucune réflexion sur la manière de transformer ce cercle vicieux de la violence en un dialogue pacifique. 

Les condamnations internationales du meurtre de civils israéliens sont compréhensibles et justifiées. Cependant, il ne peut être sorti de son contexte et ne devrait pas l’être. L’année dernière a été, selon l’organisation israélienne des droits de l’homme B’Tselem, la plus meurtrière depuis 2004. 144 Palestiniens ont été tués par les forces de sécurité israéliennes en Cisjordanie (hors Jérusalem-Est). La plupart d’entre eux, selon ce rapport et d’autres, n’étaient pas armés et parmi les victimes figuraient des enfants. 

Le Hamas et le Jihad islamique ne se couvrent pas de gloire en saluant le meurtre de civils. Mais priver ces organisations de soutien devrait d’abord impliquer une modification des circonstances qui les renforcent – avant tout l’occupation et le blocus, auxquels il faudrait mettre fin. 

Les facteurs qui suggèrent que nous pourrions nous diriger vers une escalade de la violence plus grave que tout ce que nous avons vu auparavant sont nombreux: l’arrivée au pouvoir du gouvernement le plus à droite de l’histoire d’Israël, est très déterminé à attiser les tensions avec les Palestiniens; l’administration dysfonctionnelle et très peu appréciée du président palestinien Mahmoud Abbas, qui entre dans une période crépusculaire, tout comme l’Autorité palestinienne; et la rivalité entre le Fatah et le Hamas, avec un soutien croissant parmi les Palestiniens pour un retour à la lutte armée. Pendant ce temps, la communauté internationale se place en simple spectateur, refusant de prendre position, que ce soit sur le plan politique ou moral. 

Ces conditions défavorables aggravent l’impasse politique et exacerbent les conditions qui provoquent une nouvelle escalade. 

Les récents incidents marquent la première fois qu’une telle violence se produit sous la surveillance du nouveau gouvernement Netanyahou, dans lequel les nationalistes religieux extrémistes Itamar Ben-Gvir et Bezalel Smotrich sont ministres de premier plan et en charge de la sécurité, à la fois à l’intérieur d’Israël et dans les territoires occupés. 

C’est un territoire inexploré pour eux et une situation où ils ne peuvent pas blâmer les autres, comme ils le font depuis de nombreuses années. C’est désormais à eux d’apporter des solutions lorsque des crises de sécurité émergent. Cependant, leur réponse, jusqu’à présent, semble être principalement sous la forme d’une punition plus collective, de la promotion de la peine de mort pour les terroristes (tant qu’ils sont Palestiniens) et de la distribution de plus d’armes à la population juive. 

La saisie et la démolition de maisons ont été essayées, testées et ont échoué dans le passé. Cette tactique continue n’est rien de plus qu’un acte tordu de vengeance contre des innocents, parce qu’ils ont des liens avec un tueur – ou simplement parce qu’ils sont Palestiniens. 

Quelles en sont les conséquences positives? C’est immoral, cela viole le droit international et révèle le visage encore plus laid de l’occupation tout en alimentant la haine et la radicalisation. 

La peine de mort pour les terroristes est une mesure populiste à laquelle les forces de sécurité se sont toujours opposées. Dans la plupart des cas, les auteurs sont tués au cours de leurs attaques et si quelqu’un est attrapé et condamné à mort, cela le transformerait en martyr instantané et d’autres seraient tentés de l’imiter. 

De même, distribuer plus d’armes à des civils non formés – dans de nombreux cas des membres d’extrême droite – ne peut que conduire à des meurtres inutiles et à la mise en place de milices rattachées à Ben-Gvir et à ses semblables, qui ne croient pas au processus démocratique. 

Après tout, il s’agit d'un gouvernement israélien contrôlé par des adeptes de la punition collective, qui ne tiennent pas compte de la vie et des droits des Palestiniens, en plus d’exiger l’expansion des colonies juives en Cisjordanie occupée et, en fin de compte, l’annexion de cette terre à Israël, ce qui priverait des millions de Palestiniens  de leur patrie et de leurs droits. 

La communauté internationale suit avec crainte ce qui se passe en Israël. Le système de démocratie même du pays est pris pour cible et les relations avec les Palestiniens se dirigent vers la confrontation et l’effusion de sang. 

Mais il ne faut pas s’en étonner, puisque cette arène a trop longtemps été laissée à la merci de ceux qui croient au conflit jusqu’à la victoire, tandis que ceux qui croient à la paix et à la coexistence ont été marginalisés et risquent désormais d’être réduits au silence. 

 

 

Yossi Mekelberg est professeur de relations internationales et membre associé dans le Programme de la région du Moyen-Orient et de l’Afrique du Nord (Mena) à Chatham House. Il collabore régulièrement avec les médias internationaux écrits et en ligne. Twitter: @Ymekelberg 

NDLR: L’opinion exprimée dans cette page est propre à l’auteur et ne reflète pas nécessairement celle d’Arab News en français. 

Ce texte est la traduction d’un article paru sur Arabnews.com