Le terrain de sport : une autre «terre promise» ?

La sortie du premier tome des mémoires de Barack Obama, Une terre promise, a donné lieu à de multiples entretiens dans lesquels le premier président américain noir est revenu sur les questions du vivre ensemble et du multiculturalisme (Photo, AFP)
La sortie du premier tome des mémoires de Barack Obama, Une terre promise, a donné lieu à de multiples entretiens dans lesquels le premier président américain noir est revenu sur les questions du vivre ensemble et du multiculturalisme (Photo, AFP)
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Publié le Jeudi 26 novembre 2020

Le terrain de sport : une autre «terre promise» ?

Le terrain de sport : une autre «terre promise» ?
  • En structurant l’apprentissage des règles et du geste technique sportif, le respect de l’autre et le dépassement de soi, les activités physiques et sportives complètent le cursus intellectuel et représentent un outil majeur d’intégration
  • Beaucoup d’acteurs locaux regrettent le désengagement d’un État qui se consacre maintenant davantage au sport d’excellence et aux grands événements sportifs

La sortie du premier tome des mémoires de Barack Obama, Une terre promise, a donné lieu à de multiples entretiens dans lesquels le premier président américain noir est revenu sur les questions du vivre ensemble et du multiculturalisme, sujet brûlant de notre actualité. Cependant, on y trouve peu d’anecdotes sur le sport, qui est pourtant une lingua franca qui nous unifie au-delà de nos cultures. Plate-forme d’intégration, il est un élément essentiel de la cohésion sociale de nos sociétés[1]. Mais s’il est un élément de renforcement de l’esprit de corps et d’unité nationale, comment s’assurer qu’il le soit aussi au niveau local?

Dans tous les pays où la scolarisation des jeunes est obligatoire, l'éducation physique et sportive (EPS) est un élément majeur de la scolarisation. À l’école primaire française, l’EPS représente le troisième volume horaire, après les mathématiques et le français. En structurant l’apprentissage des règles et du geste technique sportif, le respect de l’autre et le dépassement de soi[2], les activités physiques et sportives complètent le cursus intellectuel. Voire le facilitent : des études[3] montrent que la pratique d’une heure d’activité physique quotidienne améliore les capacités de concentration des élèves. Grâce à cet impact sur la concentration, la confiance en soi et la motivation à l’école, le sport est un facteur de réussite individuelle scolaire.

Les gouvernements attendent de lui qu’il tienne également ses promesses en matière d’intégration sociale. Pour tous les pays à populations cosmopolites ou issues de l’immigration, le sport a toujours été un outil majeur d’intégration, mettant en scène un modèle idéalisé de lien social où la compétition nourrirait la solidarité. Aux États-Unis tout comme dans l’ancienne URSS, le sport a eu ainsi un rôle transformateur de la société avec des missions explicites d’intégration et productivité[4]. En France, l’équipe de Platini, vainqueur de l'Euro 1984, comptait dans ses rangs des joueurs issus de l'immigration intra-européenne. En 1998, les supporters de l’équipe de France se souviennent du fameux «Black, blanc, beur» et lors de la Coupe du monde de football 2018, le New York Times[5] a rappelé que «des 23 joueurs que le sélectionneur français s’apprêtait à emmener en Russie, huit avaient commencé le ballon rond au pied des tours HLM de la banlieue parisienne».  En Afrique du Sud, quand les Springboks, emmenés par Siya Kolisi, remportèrent la Coupe du monde de rugby en 2019, ils renforcèrent l’union nationale…

Ne pas oublier les jeunes des quartiers populaires

Mais quelle que soit la popularité du football, du rugby ou du cricket…, les succès du sport de haut niveau ne doivent pas masquer une réalité très différente dans les territoires en retard de développement. Beaucoup d’acteurs locaux regrettent le désengagement d’un État qui se consacre maintenant davantage au sport d’excellence et aux grands événements sportifs. En France, les jeunes des banlieues pratiquent moins le sport qu’ailleurs, particulièrement les jeunes filles[6]. Les adhérents à un club y sont moins nombreux et ne représentent que 3,8 % des licences délivrées, alors que le poids de ces quartiers dans la population générale est deux fois plus important. Près de 9 000 équipements sportifs ou sites de pratique sportive sont recensés dans les zones urbaines sensibles, soit moins de 3 % de l’offre nationale, avec 22 équipements[7] pour 10 000 habitants, contre 34 en moyenne pour l’aire urbaine dans laquelle ces quartiers s’inscrivent. En ce qui concerne le politique, l’analyse privilégie plus le quantitatif que le qualitatif : la rentabilité des politiques sportives est regardée sous l’unique angle du nombre de jeunes ayant participé aux actions d’animation. Pour le jeune en revanche, la promotion du sport-facteur d’intégration peut devenir synonyme d’hypocrisie car elle masquerait les discriminations dont il s’estime victime. Et comme les autorités ont parfois tendance à faire prévaloir la médiatisation des actions plutôt que leur évaluation, le sport devient un lieu d’affrontement idéologique et médiatique. 

Et pourtant, tant de solutions existent. Mais pour ne pas confondre la critique du concept (sport, outil d’intégration) avec la critique de sa mise en œuvre, il faut pouvoir échanger, s’inspirer des initiatives et du succès des autres territoires. Forts de cet objectif, le prince Abdelaziz ben Turki al-Faisal, président du Comité olympique saoudien, et la princesse Reema bent Bandar al-Saoud, ambassadrice d’Arabie saoudite aux États-Unis et membre du Comité international olympique (CIO), ont organisé, les 21 et 22 novembre la première Conférence des comités nationaux olympiques en amont du Sommet du G20. Pour que l’on revienne à la puissance d’intégration du sport, à ses opportunités de coopération et que l’on dépasse toute opposition idéologique. Ensemble. Et aussi pour que l’on aborde la question du rôle de l’e-sport. Enfin.

 

Philippe Blanchard a été Directeur au Comité international olympique, puis en charge du dossier technique de Dubai Expo 2020. Passionné par les méga-événements, les enjeux de société et la technologie, il dirige maintenant Futurous, les Jeux de l’innovation et des sports et e-sports du Futur.

NDLR : L’opinion exprimée dans cette page est propre à l’auteur et ne reflète pas nécessairement celle d’Arab News en français.

[1] https://www.olympic.org/fr/news/le-sport-au-service-de-la-cohesion-sociale
[2] https://twitter.com/EmmanuelMacron/status/835921988468293632
[3] https://www.iuhpe.org/index.php/en/global-health-promotion
[4] Sport and Social Change in the U.S.S.R, James Riordan
[5] The New York Times, 8 juin 2018, dans Courrier international
[6] Carine Guérandel, Le Sport fait mâle. La fabrique des filles et des garçons dans les cités, Presses universitaires de Grenoble, 2016
[7] Cour des comptes, Rapport annuel de 2018.