Nous (ne) peignons (plus) les roses en rouge

Ces cinq dernières années, la Saint-Valentin a été célébrée en Arabie saoudite de manière extraordinaire
Jamais je n'aurais pensé voir autant de camions et de voitures de livraison traverser les villes saoudiennes, livrant tout – des roses à longues tiges aux chocolats et aux jouets en peluche – lors d’un jour autrefois considéré comme contraire à l'éthique des convenances islamiques.

Aujourd'hui, des dîners privés pour deux dans les cadres les plus romantiques, agencés par des organisateurs d'événements et cuisinés par des chefs saoudiens, des créateurs saoudiens de bijoux annonçant des séries spéciales – sans parler des vendeurs de chocolats et de desserts – se multiplient partout.
Cliché ou pas, ça marche et ça touche le cœur de toutes les filles.
Quand je pense à la Saint-Valentin, je pense à mes parents et à leur histoire d'amour épique qui me touche au cœur.
Comme ils avaient vécu aux États-Unis durant la majeure partie de leurs années de mariage, mon père, romantique amoureux qu'il était, rentrait à la maison tous les 14 février avec une boîte rouge. Il ne ramenait jamais de fleurs ni de roses, mais toujours une boîte rouge avec des cadeaux auxquels ma mère reste toujours attachée, même après son décès il y a quelques années.
Ma mère se souvient encore de chaque boîte rouge contenant des cadeaux uniques soigneusement placés au milieu de magnifiques papiers de soie dorés et blancs. Cela fait plus de vingt-cinq ans qu'elle n'a pas reçu de cadeaux pour la Saint-Valentin, mais elle garde soigneusement sur sa commode tous ceux que mon père lui avait offerts.    

Aujourd'hui, les couples trouvent de nouvelles façons d'exprimer leur amour et leur attachement l'un envers l'autre, ce qui se faisait autrefois en secret de peur d’être poursuivi

De même, un très bon ami m'a parlé du grand amour de ses parents et de leur adoration l'un pour l'autre. Un jour de la Saint-Valentin, sa mère a donné à son mari une petite carte avec les mots «Je t'aime lundi, mardi, mercredi, tous les jours de la semaine» et l'a signée du surnom qu'il lui avait donné, «Misty». En retour, il lui a acheté la plus grande carte qu'il a pu trouver et l'a remplie de mots d'amour, entourés d'un lapin géant.
Un souvenir qui lui fait encore monter les larmes aux yeux, de nombreuses années après sa disparition.
Ce sont ces souvenirs qui durent. Ce sont ces souvenirs qu’ils sont nombreux aujourd’hui à vouloir créer dans le Royaume.
Comme tant d’autres, j'étais troublée par le fait que les célébrations et les anniversaires étaient interdits en Arabie saoudite. Il s’agit de fêter l'amour! J'ai grandi entourée de cet amour, de ces petits gestes, des cadeaux lors des célébrations et des anniversaires, des petites notes sur ces occasions spéciales de mes frères et sœurs.
Nous priver de ça était contraire à l'éthique.
Alors que certains pourraient dire que c'est une occasion à laquelle on accorde trop d’importance, d'autres pensent que c'est l'un des nombreux beaux jours pour exprimer son amour à sa moitié.
Aujourd'hui, les couples trouvent de nouvelles façons d'exprimer leur amour et leur attachement l'un envers l'autre par de petits ou grands gestes. Ce qui se faisait autrefois en secret de peur d’être poursuivi par le Comité pour la promotion de la vertu et la prévention du vice.
De nombreux Saoudiens et expatriés devaient prévoir des cadeaux des semaines à l'avance, en secret. Les fleuristes devaient enlever toute trace de roses rouges et roses, les ours en peluche étaient retirés des étalages et même les cartes n'étaient pas disponibles à la vente.
Certains propriétaires de magasins fermaient en ce jour qui aurait dû être le plus important de toute l'année.
Ces scènes me rappellent Alice au pays des merveilles de Disney, tiré des livres d'Alice de Lewis Carroll, lorsque les cartes étaient peintes en rouge parce que c'était le choix de la reine.
Nous ne peignons plus les roses en rouge.
Cela a changé en 2018 lorsque le chef religieux saoudien et ancien directeur général du Comité pour la promotion de la vertu et la prévention du vice à La Mecque, cheikh Ahmed Qasim al-Ghamdi, a affirmé que célébrer la Saint-Valentin n'était pas différent de la fête des mères, de la fête des professeurs, de la Fête nationale, d’anniversaires ou anniversaires de mariage.
Il a indiqué que «célébrer la Saint-Valentin n’était pas en contradiction avec les enseignements islamiques car il s'agit d'un événement social à travers le monde». «C'est une question humaine et sociale, et fêter les gens à cette occasion n'est pas contraire à la charia», avait-il ajouté.
«Toutes ces questions sont des questions sociales communes partagées par l'humanité entière et ne sont pas des questions religieuses nécessitant l'existence d'une preuve religieuse pour le permettre. Il y a beaucoup de choses dans le monde que nous envisageons moralement qui peuvent intéresser les communautés non musulmanes. Elles sont devenues plus courantes parmi les communautés musulmanes en raison de leur popularité. Le Prophète a abordé de nombreux sujets du monde qui provenaient de non-musulmans», avait-il également précisé.
Je vivais en Europe à l'époque, pour mes études. Je n'en croyais pas mes yeux ou mes oreilles et j'ai pensé qu'il s'agissait peut-être d'une blague ou d'une fausse nouvelle jusqu'à ce que je le lise sur le site Web d'Arab News le lendemain, et que je regarde l'intégralité de l'interview sur Al-Arabiya.
La nouvelle a stupéfié tout le monde dans le Royaume et au-delà. J'étais encore sceptique jusqu'à ce que j’en parle à ma meilleure amie quelques jours plus tard, qui était ravie d'avoir reçu un cadeau de la Saint-Valentin de la part de son mari.
Elle m'a dit: «Enfin! Je peux célébrer cette fête comme nous le voulons.»
De tels changements apparaissaient à travers le Royaume, quelque chose dont j’ai moi-même fait l’expérience lorsque je suis finalement rentrée chez moi cette année-là, après plus d'une décennie passée à l'étranger. Ce fut un choc culturel bienvenu.
En marchant sur Riyadh Boulevard l'année dernière, ma mère et moi étions toutes les deux impressionnées par les immenses cœurs affichés sur les grands écrans LED du quartier. J'ai vu un petit sourire illuminer le beau visage de ma mère alors qu'elle se souvenait des cadeaux de mon père il y a toutes ces années.
Une chose est sûre, la Saint-Valentin est là pour de bon en Arabie Saoudite.

Rawan MJ Radwan est journaliste et rédactrice en chef adjointe de la section Spotlight et projets spéciaux d'Arab News.
NDLR: L’opinion exprimée dans cette page est propre à l’auteur et ne reflète pas nécessairement celle d’Arab News en français.
Ce texte est la traduction d’un article paru sur Arabnews.com