Israël: la dérive ultranationaliste

Des manifestants lèvent des drapeaux et des pancartes lors d'un rassemblement pour protester contre le projet de loi de refonte judiciaire du gouvernement israélien à Tel Aviv, le 22 avril 2023. (Photo JACK GUEZ / AFP)
Des manifestants lèvent des drapeaux et des pancartes lors d'un rassemblement pour protester contre le projet de loi de refonte judiciaire du gouvernement israélien à Tel Aviv, le 22 avril 2023. (Photo JACK GUEZ / AFP)
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Publié le Lundi 24 avril 2023

Israël: la dérive ultranationaliste

Israël: la dérive ultranationaliste
  • Pour une grande partie des Israéliens et de la diaspora juive, la montée en puissance du sionisme ultranationaliste et radical menace le projet original de «l'État juif démocratique»
  • La dernière réforme de la justice voulue par Netanyahou est l'aboutissement d'un long processus d'autoritarisme illibéral, dont l'apogée fut la loi fondamentale de 2018 qui a fait d'Israël «l'État-nation du peuple juif»

Les deux dynamiques actuelles de contestation du gouvernement israélien – civique contre la réforme judiciaire de Benjamin Netanyahou, et de résistance contre l’occupation des Territoires palestiniens symbolisée par la défense du statu quo à la mosquée Al-Aqsa pendant le mois du ramadan – ne peuvent en aucun cas être dissociées.
Il s'agit en effet du même combat contre la montée en puissance du sionisme ultranationaliste et radical, déjà au pouvoir à Tel-Aviv, aux visées illibérales et ségrégationnistes. Un sionisme extrême, qui aux yeux d'une grande partie des Israéliens et de la diaspora juive, menace même le projet original de «l'État juif démocratique».
Avraham Burg, ancien président du Knesset, de l'Agence juive et de l'Organisation sioniste mondiale, n'a cessé récemment de fustiger le nouveau sionisme «messianique et intégriste» qui est selon lui en train de saper les racines et fondements du sionisme historique. Pour lui, «la révolution sioniste est morte», elle a renoncé à ses deux «piliers» que sont «la justice et la morale civique», et est devenue «un amas informe de corruption, d'oppression et d'injustice».

En congédiant le principe de séparation des territoires, le gouvernement israélien n'avait d'autre issue que de reconnaître la nature binationale de l'État, qui dans une perspective démocratique aura pour résultat ultime le démantèlement de «l'État juif».


La dernière réforme de la justice voulue par le gouvernement Netanyahou visant à abolir définitivement la séparation des pouvoirs en Israël est l'aboutissement d'un long processus d'autoritarisme illibéral, dont l'apogée fut la loi fondamentale de 2018 qui a fait d'Israël «l'État-nation du peuple juif». Cette loi a pour conséquence directe l'exclusion du quart de la population du pays, constitué des Palestiniens de confession musulmane et chrétienne, et l'instauration d'un régime de citoyenneté ethniciste et discriminatoire.
L'historien israélien Shlomo Sand, qui a publié une œuvre monumentale sur l'histoire juive, commente cette disposition constitutionnelle en ces termes: «Cette loi suppose donc que cet État n’appartient pas à ses citoyens et que certains d’entre eux ne peuvent donc pas s’identifier avec lui. Or, un État est aussi un objet d’identité et d’identification. Avec cette loi, tout ce qui était déjà là en termes d’inégalité entre les citoyens devient clair et officiel... Cet État appartient donc à tous les juifs du monde mais pas aux citoyens arabes.»
Il en découle inéluctablement un régime d'apartheid à deux vitesses: à l'intérieur de l'État institué en 1948 par l'exclusion de la composante arabe de la société politique israélienne, et dans les Territoires occupés en 1967 par la politique de colonisation et d'annexion qui enterre à jamais le projet d'un État palestinien indépendant.
En congédiant le principe de séparation des territoires, le gouvernement israélien n'avait d'autre issue que de reconnaître la nature binationale de l'État, qui dans une perspective démocratique aura pour résultat ultime le démantèlement de «l'État juif».
En rejetant à la fois les droits nationaux palestiniens et la solution de l'État démocratique unifié, seule l'option ségrégationniste et raciste demeure envisageable. Cette option, prônée par la nouvelle coalition en pouvoir regroupant des partis ouvertement racistes et suprématistes, suscite une grande inquiétude, au sein des communautés juives dans le monde et dans les milieux traditionnellement acquis à Israël.

La communauté juive américaine (7,5 millions d’habitants) est traversée actuellement par un large mécontentement vis-à-vis des dérives politiques israéliennes.

À Washington, des nombreux juifs américains ont manifesté le 12 mars 2023, contre la visite du ministre des Finances israélien, Bezalel Smotrich, suprématiste raciste radical.
La communauté juive américaine (7,5 millions d’habitants) est traversée actuellement par un large mécontentement vis-à-vis des dérives politiques israéliennes. Selon une étude de Pew Research Center, 70% de cette communauté place les valeurs de la démocratie citoyenne devant l'identité religieuse, ce qui se traduit par le refus du virage religieux et ethniciste pris par le sionisme israélien.
La dernière mobilisation intense de la société civile israélienne contre la réforme judiciaire a été amplement saluée par les communautés juives européennes et américaines, signe de leur désarroi face à la montée en puissance des mouvements ultranationalistes radicaux. Dans son blog, l'écrivain français d'origine juive Jacques Attali a sonné l'alarme en écrivant le 1er février: «L'histoire humaine est remplie d'exemples de peuples et de civilisations qui, consciemment ou pas, se sont suicidés… c'est le cas de bien de nations… et en particulier de l'État d'Israël.»

Seyid ould Abah est professeur de philosophie et sciences sociales à l'université de Nouakchott,Mauritanie et chroniqueur dans plusieurs médias. Il est l'auteur de plusieurs livres en philosophie et pensée politique et stratégique.

Twitter: @seyidbah

NDLR: L’opinion exprimée dans cette page est propre à l’auteur et ne reflète pas nécessairement celle d’Arab News en français.