Erdogan vs Kiliçdaroglu: deux voies pour la Turquie

Le président turc arrive pour une prière nocturne lors de sa visite à la grande mosquée Sainte-Sophie dans le cadre de sa campagne présidentielle avant les élections présidentielles et législatives du 14 mai, à Istanbul, le 13 mai 2023. (AFP).
Le président turc arrive pour une prière nocturne lors de sa visite à la grande mosquée Sainte-Sophie dans le cadre de sa campagne présidentielle avant les élections présidentielles et législatives du 14 mai, à Istanbul, le 13 mai 2023. (AFP).
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Publié le Dimanche 14 mai 2023

Erdogan vs Kiliçdaroglu: deux voies pour la Turquie

  • La Turquie choisit dimanche entre Recep Tayyip Erdogan, le tribun au pouvoir depuis vingt ans, et Kemal Kiliçdaroglu, à la tête d'une large coalition
  • Le pouvoir d'un seul homme ou une direction collégiale, l'autocratie ou le rétablissement promis de l'état de droit: deux avenirs possibles, deux choix de société s'ouvrent à ce pays de 85 millions d'habitants, clivé comme jamais

ISTANBUL : L'un hurle au risque de chaos, l'autre promet le retour du printemps.

La Turquie choisit dimanche entre Recep Tayyip Erdogan, le tribun au pouvoir depuis vingt ans, et Kemal Kiliçdaroglu, à la tête d'une large coalition.

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Le président turc Recep Tayyip Erdogan (à droite) prononce un discours lors d'un rassemblement dans le quartier de Beyoglu à la veille des élections présidentielles et législatives, sur la rive européenne d'Istanbul, le 13 mai 2023. (AFP). 

Le pouvoir d'un seul homme ou une direction collégiale, l'autocratie ou le rétablissement promis de l'état de droit: deux avenirs possibles, deux choix de société s'ouvrent à ce pays de 85 millions d'habitants, clivé comme jamais.

Entre Erdogan, 69 ans, qui joue son maintien au pouvoir, et Kiliçdaroglu, 74 ans, ce n'est pas une affaire de génération mais de style et de conviction.

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Le président du Parti républicain du peuple (CHP) et candidat à la présidence de la Turquie, Kemal Kilicdaroglu (C), se rend à Anitkabir, le mausolée du fondateur de la Turquie Mustafa Kemal Ataturk, lors d'une campagne électorale à Ankara, le 13 mai 2023. (AFP). 

Le chef de l'Etat, issu d'une famille humble installée dans un quartier populaire d'Istanbul sur la Corne d'or, musulman dévot, chantre des valeurs familiales, demeure le champion de la majorité conservatrice longtemps dédaignée par une élite urbaine et laïque.

'Notre chef'

"Erdogan est notre chef et nous sommes ses soldats!", clamait samedi une fervente supportrice, Sennur Henek, 48 ans, attendant le "Reis", comme le surnomment ses plus fidèles partisans, pour son dernier meeting de campagne dans son quartier d'origine, Kasimpasa.

Ancien maire d'Istanbul (1994-1998), Erdogan s'est hissé au pouvoir en 2003 après la victoire l'année précédente aux élections du Parti de la justice et du développement (AKP, islamo-conservateur) qu'il a fondé.

Kemal Kiliçdaroglu, né dans un milieu modeste à Dersim (aujourd'hui Tunceli) en Anatolie orientale, économiste de formation et ancien haut fonctionnaire, il a dirigé la puissante Sécurité sociale turque.

Il est depuis 2010 le chef du Parti républicain du peuple (CHP, social-démocrate) fondé par le père de la nation turque, Mustafa Kemal Atatürk, qui a longtemps promu une laïcité dure.

Preuve de leurs convictions respectives, Erdogan a terminé sa campagne samedi soir devant l'ex-basilique Sainte-Sophie d'Istanbul, qu'il a convertie en mosquée en 2020, quand son opposant se recueillait à Ankara devant le mausolée d'Atatürk.

Kiliçdaroglu appartient à la communauté alévie, une branche hétérodoxe de l'islam considérée comme hérétique par les sunnites rigoristes, ce qui a été longtemps vu comme un obstacle possible à son élection.

Mais le candidat de l'opposition a su contourner cet écueil, dans une courte vidéo où il a abordé frontalement la question, vue plus de 100 millions de fois sur Twitter.

Il a su également rassurer certains conservateurs en promettant une loi pour garantir aux femmes le droit de porter le voile, telles qu'on les croise fréquemment dans ses meetings.

Elections en Turquie, mode d'emploi

La Turquie est appelée aux urnes dimanche pour désigner son nouveau président et renouveler son parlement. Mode d'emploi.

Primo-votants et observateurs

Quelque 64 millions d'électeurs (sur 85 millions d'habitants) sont inscrits.

Parmi eux, 3,4 millions qui ont déjà voté à l'étranger, et 5,2 millions de jeunes primo-votants qui n'ont connu que M. Erdogan et sa dérive autocratique depuis les grandes manifestations de 2013 et le coup d'Etat raté de 2016.

Des centaines d'observateurs sont déployés dans les 50 000 bureaux de vote ouverts entre 08h00 (05H00 GMT) et 17h00 (14h00 GMT), y compris dans les zones du sud du pays dévastées par le séisme du 6 février.

Le Conseil de l'Europe doit par exemple dépêcher 350 observateurs, en plus de ceux désignés par les partis, dont les 300 000 mobilisés par l'opposition.

En 2018, le taux de participation avait dépassé les 86%.

Duel entre deux camps

Quatre noms figurent sur les bulletins de la présidentielle: celui de Recep Tayyip Erdogan, 69 ans dont vingt au sommet de l'Etat, et chef du Parti de la justice et du développement (AKP, islamo-conservateur).

Face à lui Kemal Kiliçdaroglu, chef du Parti républicain du peuple (CHP, social-démocrate et laïque fondé par Mustafa Kemal sur les ruines de l'empire ottoman). L'ancien fonctionnaire de 74 ans mène une coalition de six formations allant de la droite nationaliste au centre-gauche libéral.

Sinan Ogan, un ancien député d'extrême droite, est également en lice, crédité de moins de 5% des intentions de vote dans les dernières enquêtes d'opinion.

Un quatrième candidat, Muharrem Ince, s'est désisté jeudi, mais trop tard pour voir son nom retiré des bulletins.

Si aucun candidat n'obtient la majorité dimanche, un second tour aura lieu le 28 mai.

L'enjeu des législatives

Elles permettent dans un scrutin proportionnel de désigner les 600 membres de la Grande assemblée nationale, un parlement monocaméral au rôle éclipsé depuis la réforme constitutionnelle de 2017 et par le régime présidentiel fort qui en a découlé.

Le bloc formé par l'AKP de M. Erdogan et ses alliés du mouvement nationaliste MHP détient actuellement la majorité.

L'opposition ambitionne de lui ravir et même d'obtenir la majorité des deux tiers requise pour modifier la Constitution.

Une cohabitation est possible mais rendrait la gouvernance difficile.

Président jusqu'en 2028 ?

Le président ne peut théoriquement siéger que pour deux mandats de cinq ans.

M. Erdogan peut prétendre endosser pour la troisième fois la fonction suprême car il n'a pas été tenu compte du mandat effectué après sa victoire à la présidentielle de 2014 sous l'ancien système, après 12 années passés en tant que Premier ministre.

M. Erdogan, pourrait donc en théorie rester à la tête du pays jusqu'en 2028.

M. Kiliçdaroglu quant à lui a suggéré qu'il ne resterait qu'un seul mandat s'il est élu dimanche.

'Ramener la démocratie'

Erdogan, bretteur infatigable, s'empare des foules, hausse le ton, manie l'invective et même l'insulte, traite son adversaire de "terroriste", dénonce un complot de l'Occident, peut parler plus d'une heure en scène jusqu'à trois fois par jour.

Il défend son bilan, le développement du pays et des infrastructures au cours de ses deux décennies de pouvoir - mais glisse sur la crise économique qui engloutit son pays avec une inflation toujours supérieure à 40% et une monnaie dévaluée de moitié en deux ans.

Kiliçdaroglu a privilégié la collégialité de ses meetings: fréquemment accompagné sur scène des très populaires maires CHP d'Istanbul Ekrem Imamoglu et d'Ankara, Mansur Yavas, et des dirigeants des partis alliés, il parle peu.

Privé d'accès à la plupart des chaînes de télévision turque, qui retransmettent chacun des meetings du président en direct, il a misé sur les réseaux sociaux et a développé sa vision de l'avenir dans de courtes vidéos faites maison, tournées notamment dans sa cuisine et qui ont fait un carton sur Twitter.

"Kemal", comme il s'annonce sur ses affiches, se pose aussi en "Monsieur Propre", dénonçant depuis des années la corruption et le népotisme qui gangrènent selon lui les sommets de l'Etat.

"Êtes-vous prêts pour ramener la démocratie dans ce pays ? A ramener la paix ?", a-t-il demandé vendredi soir en clôture de son dernier meeting à Ankara.

S'il est élu, Kiliçdaroglu a l'intention de réintégrer le palais présidentiel choisi par Mustafa Kemal à Ankara en 1923, lors de la proclamation de la République. Et de délaisser le fastueux palais de plus de 1.100 pièces construit par Erdogan.

Turquie, dans Antakya dévastée : «Je ne revoterai pas pour Erdogan»

Mehmet Topaloglu est arrivé parmi les premiers dimanche pour voter : «il faut du changement, ça suffit», lance cet habitant d'Antakya, ville du sud de la Turquie anéantie par le séisme du 6 février.

Les élections présidentielle et législatives turques qui se déroulent cette année sont pour lui différentes «en raison du tremblement de terre et de l'économie».

«J'ai voté (Recep Tayyip) Erdogan pour ses deux premiers mandats, mais là, je ne revoterai pas pour lui, même si c'était mon père», lâche l'éleveur et père de quatre enfants, à l'entrée d'une école de la ville transformée en bureau de vote.

Semra Karakas et sa fille Aylin, 23 ans, ont fait quatorze heures de car pour revenir voter à Antakya. Leur appartement n'a pas résisté au séisme du 6 février qui a fait plus de 50.000 morts dans le sud de la Turquie. Les deux femmes vivent depuis à Antalya, sur la côte sud du pays.

«Avant même le séisme mon vote était défini, mais avec le séisme ça s'est confirmé», lâche la fille, étudiante en architecture, pantalon noir et veste blanche, devant un des douze conteneurs blancs acheminés dans la cour de l'école pour permettre aux électeurs de voter.

Plus de 5,3 millions de jeunes gens votent pour la première fois cette année et se sentent durement affectés par la crise économique, l'inflation et la dévaluation de la monnaie.

«L'Etat ne nous est pas venu en aide» et ses représentants «sont arrivés trois ou quatre jours après» le sinistre, reprend Aylin Karakas, affirmant que les votes pour le président turc Erdogan, au pouvoir depuis vingt ans, «vont beaucoup baisser» cette année dans la province d'Hatay, celle d'Antakya, particulièrement meurtrie par le drame qui a fait aussi trois millions de disparus.

- «Bébés morts» -

Sa mère évoque avec émotion «les bébés morts» dans les décombres en attendant les secours qui n'arrivaient pas, certains, souligne-t-elle, «de froid».

«Cette catastrophe va impacter le vote», affirme-t-elle, alors que les sondages placent le principal opposant au chef de l'Etat, Kemal Kiliçdaroglu, en bonne posture.

Un groupe de jeunes entre dans la cour : «Tayyip Erdogan doit se casser !», lance l'un d'eux, Sercan, qui refuse de donner son nom de famille après avoir qualifié le président de tous les noms d'oiseaux.

«Toutes les élections sont importantes mais celle-ci l'est plus que les autres à cause du séisme», explique plus doctement Cemil Kanatçi, béret gris sur le crâne, quelques mètres en arrière.

Votera-t-il différemment que par le passé ? «C'est possible», dit pudiquement le septuagénaire.

«Ces élections sont beaucoup plus importantes», affirme également Deryer Deniz, 35 ans.

Cette travailleuse médicale, longues boucles blondes, vit avec six autres personnes dans une tente depuis le séisme. Elle dit connaître «beaucoup d'électeurs qui votaient coûte que coûte pour Erdogan» et ne voteront plus pour le chef de l'Etat sortant cette année, sans savoir si cela sera suffisant pour faire basculer le scrutin.

«Mais si le gouvernement tombe, (la province de) Hatay aura eu son rôle», lâche-t-elle.


CIJ: l'impartialité de l'UNRWA suscite de «sérieux doutes» selon les Etats-Unis

En décembre, l'Assemblée générale des Nations unies avait adopté une résolution demandant à la CIJ de rendre un avis consultatif "à titre prioritaire et de toute urgence". (AFP)
En décembre, l'Assemblée générale des Nations unies avait adopté une résolution demandant à la CIJ de rendre un avis consultatif "à titre prioritaire et de toute urgence". (AFP)
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  • La CIJ, située à La Haye (Pays-Bas), a ouvert lundi sa semaine d'audiences plus de 50 jours après l'instauration d'un blocus total sur l'aide entrant dans la bande de Gaza ravagée par la guerre
  • Israël, qui ne participe pas à ces audiences, a dénoncé lundi une "persécution systématique" de la CIJ

LA HAYE: Un représentant des Etats-Unis a fait part mercredi à la Cour internationale de Justice de "sérieux doutes" concernant l'impartialité de l'agence de l'ONU pour les réfugiés palestiniens (UNRWA) lors d'audiences consacrées aux obligations humanitaires d'Israël envers les Palestiniens.

"L'impartialité de l'UNRWA suscite de sérieux doutes, du fait d'informations selon lesquelles le Hamas a utilisé les installations de l'UNRWA et que le personnel de l'UNRWA a participé à l'attentat terroriste du 7 octobre contre Israël", a déclaré Josh Simmons, de l'équipe juridique du département d'État américain.

La CIJ, située à La Haye (Pays-Bas), a ouvert lundi sa semaine d'audiences plus de 50 jours après l'instauration d'un blocus total sur l'aide entrant dans la bande de Gaza ravagée par la guerre.

Israël, qui ne participe pas à ces audiences, a dénoncé lundi une "persécution systématique" de la CIJ.

M. Simmons a déclaré aux juges qu'Israël avait "de nombreuses raisons" de mettre en doute l'impartialité de l'UNRWA.

"Il est clair qu'Israël n'a aucune obligation d'autoriser l'UNRWA à fournir une assistance humanitaire", a-t-il déclaré.

Israël a promulgué une loi interdisant à l'UNRWA, d'opérer sur le sol israélien, après avoir accusé certains membres du personnel d'avoir participé aux attaques du Hamas le 7 octobre 2023, qui a déclenché le conflit.

Une série d'enquêtes, dont l'une menée par l'ancienne ministre française des Affaires étrangères Catherine Colonna, a révélé des "problèmes de neutralité" à l'UNRWA, mais a souligné qu'Israël n'avait pas fourni de preuves de son allégation principale.

Philippe Lazzarini, directeur de l'UNRWA, a déclaré mardi que plus de 50 membres de son personnel à Gaza avaient été maltraités et utilisés comme boucliers humains alors qu'ils étaient détenus par l'armée israélienne.

Lors de sa déposition face à la Cour, Diégo Colas, représentant la France, a appelé Israël à lever "sans délai" son blocage de l'aide vers la bande de Gaza".

"L'ensemble des points de passage doivent être ouverts, le travail des acteurs humanitaires doit être facilité, et le personnel doit être protégé conformément aux droits internationaux", a-t-il déclaré .

"Conséquences mortelles" 

Israël contrôle tous les flux d'aide internationale, vitale pour les 2,4 millions de Palestiniens de la bande de Gaza frappés par une crise humanitaire sans précédent, et les a interrompus le 2 mars dernier, quelques jours avant l'effondrement d'un fragile cessez-le-feu après 15 mois de combats incessants.

"L'interdiction totale de l'aide et des fournitures humanitaires décrétée par les autorités israéliennes depuis le 2 mars a des conséquences mortelles pour les civils de Gaza", a déclaré dans un communiqué Claire Nicolet, responsable de la réponse d'urgence de l'ONG Médecins sans Frontières dans la bande de Gaza.

"Les autorités israéliennes utilisent l'aide non seulement comme une monnaie d'échange, mais aussi comme une arme de guerre et un moyen de punition collective pour plus de 2 millions de personnes vivant dans la bande de Gaza," a-t-elle ajouté.

En décembre, l'Assemblée générale des Nations unies avait adopté une résolution demandant à la CIJ de rendre un avis consultatif "à titre prioritaire et de toute urgence".

La résolution demande à la CIJ de clarifier les obligations d'Israël concernant la présence de l'ONU, de ses agences, d'organisations internationales ou d'États tiers pour "assurer et faciliter l'acheminement sans entrave des fournitures urgentes essentielles à la survie de la population civile palestinienne".

Les avis consultatifs de la CIJ ne sont pas juridiquement contraignants, mais celui-ci devrait accroître la pression diplomatique sur Israël.

En juillet dernier, la CIJ avait aussi rendu un avis consultatif jugeant "illégale" l'occupation israélienne des Territoires palestiniens, exigeant qu'elle cesse dès que possible.


Après la panne géante, les énergies renouvelables sur le banc des accusés en Espagne

Des passagers attendent avant de monter dans leur train à la gare de Sants à Barcelone, le 29 avril 2025, au lendemain d'une panne d'électricité massive qui a touché toute la péninsule ibérique et le sud de la France. (Photo par Josep LAGO / AFP)
Des passagers attendent avant de monter dans leur train à la gare de Sants à Barcelone, le 29 avril 2025, au lendemain d'une panne d'électricité massive qui a touché toute la péninsule ibérique et le sud de la France. (Photo par Josep LAGO / AFP)
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  • Deux jours après la panne géante qui a touché la péninsule, la nature du mix énergétique ibérique est au cœur de vifs débats mercredi en Espagne.
  • Dans le viseur de ces deux quotidiens, mais aussi des partis d'opposition, se trouve la politique énergétique mise en place depuis plusieurs années par le gouvernement du Premier ministre socialiste Pedro Sánchez.

MADRID : L'essor des énergies renouvelables a-t-il fragilisé le réseau électrique espagnol ? Deux jours après la panne géante qui a touché la péninsule, la nature du mix énergétique ibérique est au cœur de vifs débats mercredi en Espagne, malgré les messages rassurants des autorités.

« Le manque de centrales nucléaires et la multiplication par dix des énergies renouvelables ont mis à terre le réseau électrique », assure en une le quotidien conservateur ABC mercredi matin. « Les alertes sur les renouvelables depuis cinq ans » ont été « ignorées », regrette de son côté El Mundo, également classé à droite.

Dans le viseur de ces deux quotidiens, mais aussi des partis d'opposition, se trouve la politique énergétique mise en place depuis plusieurs années par le gouvernement du Premier ministre socialiste Pedro Sánchez, qui a fait de l'Espagne l'un des champions européens de la transition verte.

Selon le gestionnaire du réseau électrique espagnol REE, le solaire et l'éolien ont représenté en 2024 près de 40 % du mix électrique espagnol. C'est près de deux fois plus qu'en 2014, et près du double également de la part du nucléaire, tombée l'an dernier à 20 %. 

Cette évolution est défendue par l'exécutif, qui s'est engagé à fermer toutes les centrales nucléaires d'ici dix ans, mais elle est source de tensions dans le pays, plusieurs rapports ayant pointé ces derniers mois de possibles risques en l'absence de mesures fortes pour adapter le réseau.

- Une énergie « sûre » ?

Dans son document financier annuel publié fin février, Redeia, la maison-mère de REE, avait ainsi mis en garde contre « la forte pénétration de la production renouvelable sans les capacités techniques nécessaires à un comportement adéquat face aux perturbations ».

Cela pourrait « provoquer des coupures de production », qui « pourraient devenir sévères, allant jusqu'à entraîner un déséquilibre entre la production et la demande, ce qui affecterait significativement l'approvisionnement en électricité » de l'Espagne, avait-elle écrit. 

Un message relayé par l'organisme espagnol de la concurrence (CNMC) dans un rapport de janvier. « À certains moments, les tensions du réseau de transport d'électricité ont atteint des valeurs maximales proches des seuils autorisés, dépassant même ces seuils à certains moments », avait écrit l'organisme.

Après la coupure de lundi, certains experts du secteur se sont interrogés sur un éventuel déséquilibre entre production et demande (difficile à corriger dans un réseau où l'éolien et le solaire ont une place prépondérante) qui aurait pu contribuer à l'effondrement du système électrique espagnol.

Dans un entretien accordé mercredi matin à la radio Cadena Ser, Beatriz Corredor, la présidente de Redeia et REE (l'ex-députée socialiste) a cependant assuré que la production d'énergies renouvelables était « sûre ».

« Relier l'incident si grave de lundi à une pénétration des énergies renouvelables n'est pas vrai, ce n'est pas correct », a-t-elle insisté, en assurant que le rapport de février ne faisait que dresser la liste de risques potentiels, comme l'y oblige la législation. 

- « Ignorance » -

Mardi déjà, Pedro Sánchez avait lui aussi défendu le modèle énergétique mis en œuvre par son gouvernement, rappelant que la cause précise de la panne qui a provoqué le chaos au Portugal et en Espagne durant de longues heures lundi n'était toujours pas connue à ce stade.

« Ceux qui lient cet incident au manque de nucléaire mentent franchement ou démontrent leur ignorance », a assuré le dirigeant socialiste.

« Les centrales nucléaires, loin d'être une solution, ont été un problème » durant la panne, car « il a été nécessaire de rediriger vers elles de grandes quantités d'énergie pour maintenir leurs réacteurs stables », a insisté le chef du gouvernement. 

Plusieurs hypothèses ont été avancées pour expliquer la panne depuis deux jours, dont celle d'une cyberattaque. Mardi, la justice espagnole a ouvert une enquête pour déterminer si la panne avait été provoquée par un « sabotage informatique » susceptible d'être qualifié de « délit terroriste ».

REE estime cependant que cette hypothèse est peu crédible. « Au vu des analyses que nous avons pu réaliser avec l'aide notamment du Centre national du renseignement espagnol (CNI), nous pouvons écarter un incident de cybersécurité », a ainsi assuré le gestionnaire.

D'après REE, l'équivalent de 60 % de la consommation électrique de l'Espagne, soit 15 gigawatts, a disparu en l'espace de cinq secondes seulement lors de la panne survenue lundi à 12 h 33 (11 h 33 GMT), un phénomène qualifié d'« inédit » et « totalement extraordinaire ».


Des rapports internes concluent à un climat antisémite et anti-musulman à Harvard

Le rapport exhorte l'université pluricentenaire à "devenir leader dans la lutte contre l'antisémitisme et les positions anti-Israël". (AFP)
Le rapport exhorte l'université pluricentenaire à "devenir leader dans la lutte contre l'antisémitisme et les positions anti-Israël". (AFP)
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  • Harvard, comme d'autres universités américaines de renom, Columbia en particulier, est accusée par le président républicain d'avoir laissé prospérer l'antisémitisme sur son campus pendant les mouvements étudiants contre la guerre à Gaza menée par Israël
  • Un premier groupe de travail sur l'antisémitisme et les positions anti-Israël, composé principalement de membres du corps enseignant mais aussi d'étudiants

NEW YORK: Deux rapports distincts sur Harvard publiés mardi par l'université ont établi qu'un climat antisémite et anti-musulman s'était installé sur le campus de la prestigieuse université américaine, dans le viseur de Donald Trump, et la pressent d'agir pour y remédier.

Ces deux rapports de plusieurs centaines de pages, construits notamment à partir de questionnaires et de centaines de témoignages d'étudiants et d'encadrants menés depuis janvier 2024, sont rendus au moment où l'université implantée près de Boston (nord-est) s'est attiré les foudres de Donald Trump, qui l'a dernièrement dépeinte en "institution antisémite d'extrême gauche", "foutoir progressiste" et "menace pour la démocratie".

Harvard, comme d'autres universités américaines de renom, Columbia en particulier, est accusée par le président républicain d'avoir laissé prospérer l'antisémitisme sur son campus pendant les mouvements étudiants contre la guerre à Gaza menée par Israël après l'attaque du Hamas le 7 octobre 2023.

Un premier groupe de travail sur l'antisémitisme et les positions anti-Israël, composé principalement de membres du corps enseignant mais aussi d'étudiants, a établi que les deux phénomènes "ont été alimentés, pratiqués et tolérés, non seulement à Harvard, mais aussi plus largement dans le monde universitaire".

Le rapport exhorte l'université pluricentenaire à "devenir leader dans la lutte contre l'antisémitisme et les positions anti-Israël".

Un autre groupe de travail distinct, lui consacré aux positions anti-musulmans, anti-arabes et anti-Palestiniens, a conclu à "un sentiment profondément ancré de peur parmi les étudiants, les enseignants et le personnel". Les personnes interrogées décrivent "un sentiment de précarité, d'abandon, de menace et d'isolement, ainsi qu'un climat d'intolérance omniprésent", écrivent ses auteurs.

"Harvard ne peut pas - et ne va pas - tolérer l'intolérance. Nous continuerons à protéger tous les membres de notre communauté et à les préserver du harcèlement", s'engage dans une lettre accompagnant les deux rapports le président de Harvard, Alan Garber, à l'initiative des deux rapports, en promettant de "superviser la mise en oeuvre des recommandations" préconisées.

Harvard, l'université la plus ancienne des Etats-Unis et une des mieux classées au monde, s'est distinguée en étant la première à attaquer en justice l'administration Trump contre un gel de plus de deux milliards de dollars de subventions fédérales, décidé après que la célèbre institution a refusé de se plier à une série d'exigences du président.

Donald Trump, qui reproche aux universités d'être des foyers de contestation progressiste, veut avoir un droit de regard sur les procédures d'admission des étudiants, les embauches d'enseignants ou encore les programmes.

L'accusation d'antisémitisme est fréquemment employée par son administration pour justifier ses mesures contre les établissements d'enseignement supérieur, ainsi que contre certains étudiants étrangers liés aux manifestations contre la guerre à Gaza.