Au grand dam de Pékin, Berlin affirme sa stratégie d'émancipation

Le président chinois Xi Jinping (à droite) accueille le chancelier allemand Olaf Scholz au Grand Hall de Pékin, le 4 novembre 2022. (Photo par Kay Nietfeld / Pool / AFP)
Le président chinois Xi Jinping (à droite) accueille le chancelier allemand Olaf Scholz au Grand Hall de Pékin, le 4 novembre 2022. (Photo par Kay Nietfeld / Pool / AFP)
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Publié le Vendredi 14 juillet 2023

Au grand dam de Pékin, Berlin affirme sa stratégie d'émancipation

  • Le document présenté jeudi fait suite à la toute première stratégie de sécurité nationale de l'Allemagne, publiée à la mi-juin
  • Cette nouvelle stratégie allemande intervient dans un contexte général d'inquiétudes croissantes en Europe et aux Etats-Unis vis-à-vis des ambitions de la Chine

BERLIN : «Réalistes mais pas naïfs»: Berlin a dévoilé jeudi sa nouvelle stratégie face à la Chine qui l'a aussitôt mis en garde contre toute attitude pouvant «nuire à leur coopération et leur confiance mutuelle».

En balayant un vaste éventail de sujets, allant de la politique climatique à celle des droits de l'homme, la première économie européenne veut se doter avec ce document de 64 pages d'une «boussole» dans les relations bilatérales avec son premier partenaire commercial.

«Notre objectif n'est pas de nous découpler (de Pékin). Mais nous voulons réduire les dépendances critiques», a déclaré le chancelier allemand Olaf Scholz confirmant le repositionnement initié par Berlin ces derniers mois.

La doctrine «atténuer les risques sans couper les ponts» avec la Chine est devenu le mantra à Bruxelles et Berlin, en quête d'un rééquilibrage dans les relations avec Pékin, tout en échappant aux pressions exercées par les Etats-Unis, partisans d'une ligne dure.

La stratégie allemande, selon le chancelier, «réagit à une Chine qui a changé et se montre plus offensive».

«Pour nous, la Chine est et reste un partenaire, un concurrent et un rival systémique», a-t-il martelé.

Ces deux derniers qualificatifs ont été aussitôt rejetés par Pékin: ils ne correspondent «pas à des faits objectifs et ne sont pas dans l'intérêt des deux pays», a déclaré, dans un communiqué, l'ambassade chinoise à Berlin.

- «Malentendus et erreurs d'appréciation» -

Elle a également mis en garde contre «une vision idéologique de la Chine... qui ne ferait qu'intensifier les malentendus et les erreurs d'appréciation, et nuirait à la coopération et à la confiance mutuelle».

Le document présenté jeudi fait suite à la toute première stratégie de sécurité nationale de l'Allemagne, publiée à la mi-juin.

«Nous sommes réalistes, mais pas naïfs», a prévenu la ministre des Affaires étrangères Annalena Baerbock.

Le document, au ton mesuré, fait alterner mises en garde et appels à travailler ensemble.

«La rivalité systémique avec la Chine ne signifie pas que nous ne pouvons pas coopérer. Au contraire (...)», peut-on y lire.

 

«Il ne sera pas possible de surmonter la crise climatique sans la Chine», juge encore Berlin.

Pour autant le gouvernement allemand «est préoccupé par les efforts déployés par la Chine pour influencer l'ordre international dans le sens des intérêts de son système de parti unique et, ce faisant, pour relativiser les fondements de l'ordre fondé sur des règles, tels que le statut des droits de l'homme».

«Elle met délibérément sa puissance économique au service de ses objectifs politiques», estime Berlin.

Cette nouvelle stratégie allemande intervient dans un contexte général d'inquiétudes croissantes en Europe et aux Etats-Unis vis-à-vis des ambitions de la Chine.

La crise du Covid en 2020 a révélé les fragilités des chaînes d'approvisionnement européennes, victimes de la fermeture des frontières, tandis que la guerre en Ukraine a montré le risque d'une dépendance à la Russie pour les fournitures de gaz.

Les menaces chinoises visant Taïwan, les accusations de persécutions contre les Ouïghours, l'absence de condamnation par Xi Jinping de l'invasion l'Ukraine ont également alimenté la défiance.

- Intérêts pris en compte -

Si les grandes entreprises allemandes ne peuvent se priver de ce marché de plus de 1,4 milliard d'habitants, où elles investissent massivement, le document les encourage à chercher de nouveaux débouchés et partenaires.

La publication de la stratégie allemande a été retardée de plusieurs mois en raison de tiraillements au sein de la coalition gouvernementale.

Le parti écologiste de la cheffe de la diplomatie Annalena Baerbock plaidait en faveur d'une attitude plus dure que les sociaux-démocrates de Scholz et les Libéraux.

Ces désaccords avaient notamment été mis en lumière lorsque M. Scholz avait soutenu la vente à une entreprise publique chinoise d'une participation partielle dans un terminal du port de Hambourg, malgré les objections des Verts.

La capacité de «trouver des compromis» est «la force des démocraties» par rapport aux autocraties, a souligné Mme Baerbock à propos du document finalement négocié par les partis de la coalition.

La Fédération de l'industrie allemande (BDI) a salué un texte qui apporte de la clarté, répondant aux «risques géopolitiques» tout en prenant en compte «les intérêts de l'Allemagne pour des relations économiques substantielles avec la Chine».


Cyberattaques : Berlin a rappelé «pour consultations» son ambassadeur en Russie

L'ambassadeur allemand en Russie, Alexander Graf Lambsdorff  (Photo, AFP).
L'ambassadeur allemand en Russie, Alexander Graf Lambsdorff (Photo, AFP).
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  • Une cyberattaque a notamment ciblé des adresses email de responsables du SPD, le parti social-démocrate du chancelier Olaf Scholz
  • Les pays occidentaux sont depuis le début de l'invasion russe en Ukraine, en février 2022, en alerte maximum contre le risque d'attaques informatiques massives

BERLIN: Berlin a indiqué lundi avoir rappelé pour consultations son ambassadeur en Russie, Alexander Graf Lambsdorff, après avoir accusé vendredi un groupe de hackeurs russes contrôlé par Moscou d'une récente campagne de cyberattaques.

L'ambassadeur "restera une semaine à Berlin puis retournera à Moscou", a indiqué lors d'un point presse régulier la porte-parole du ministère allemand des Affaires étrangères, Kathrin Deschauer, ajoutant que le gouvernement prenait "très au sérieux" cet "acte contre (notre) démocratie".

Les gouvernements allemand et tchèque ont accusé vendredi le groupe APT28, dirigé par les services de renseignement de la Russie, d'une récente campagne de cyberattaques dans leur pays respectif. Des accusations jugées "infondées" par la Russie.

Attaques ciblées 

Une cyberattaque a notamment ciblé des adresses email de responsables du SPD, le parti social-démocrate du chancelier Olaf Scholz, selon le gouvernement.

Berlin a annoncé vendredi la convocation du chargé d'affaires de l'ambassade de Russie, "pour faire comprendre au gouvernement russe que nous n'acceptons pas ces actions".

Les pays occidentaux sont depuis le début de l'invasion russe en Ukraine, en février 2022, en alerte maximum contre le risque d'attaques informatiques massives et d'opérations de désinformation orchestrées par la Russie.


Exercice américano-philippin contre une «invasion» en mer de Chine

Le président philippin Ferdinand Marcos Jr. a quant à lui assuré lundi que son pays n'entendait pas "faire monter la tension" en mer de Chine méridionale (Photo, Fournie).
Le président philippin Ferdinand Marcos Jr. a quant à lui assuré lundi que son pays n'entendait pas "faire monter la tension" en mer de Chine méridionale (Photo, Fournie).
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  • Ces incidents font craindre un conflit plus large qui pourrait impliquer les Etats-Unis, allié des Philippines
  • La semaine dernière, les forces américaines participant à Balikatan avaient tiré des roquettes de précision Himars depuis l'île occidentale de Palawan

LAOAG: Les troupes américaines et philippines ont tiré lundi des obus et des missiles sur une force d'"invasion" imaginaire pendant des exercices en mer de Chine méridionale, dans le nord des Philippines où les deux pays ont récemment accusé la Chine de "conduite dangereuse et déstabilisante".

Plus de 16.700 soldats américains et philippins participent à ces manoeuvres annuelles navales, terrestres et aériennes organisées jusqu'au 10 mai dans une zone où les incidents à répétition entre embarcations chinoises et philippines font craindre un conflit plus large.

Les soldats américains massés sur les dunes de la côte nord-ouest des Philippines, près de la ville de Laoag, à 400 kilomètres au sud de Taïwan, ont tiré plus de 50 obus de 155 millimètres sur des cibles flottantes à environ cinq kilomètres de la côte, ont constaté des journalistes de l'AFP.

Les troupes philippines ont enchaîné avec des tirs de roquettes vers les attaquants factices, avant que les deux forces ne finissent l'exercice avec des mitrailleuses, des missiles Javelin et d'autres salves d'artillerie.

Cet exercice à munitions réelles, baptisé "Balikatan" ("Epaule contre épaule" en tagalog, la langue philippine), vise à "se préparer au pire", a déclaré aux journalistes le commandant de la Première force expéditionnaire des Marines des Etats-Unis, Michael Cederholm.

"Il est conçu pour repousser une invasion", a-t-il ajouté sur le site de l'exercice, débuté le 22 avril dans plusieurs endroits des Philippines. "Notre flan nord-ouest est plus exposé", a détaillé à l'AFP le général philippin Marvin Licudine, dirigeant l'exercice pour la partie philippine. "A cause des problèmes régionaux, nous devons dès maintenant nous entraîner sur notre propre sol".

Pékin revendique la quasi-totalité de la mer de Chine méridionale, une importante route commerciale. Elle ignore un arbitrage international qui lui a donné tort en 2016, et y fait patrouiller des centaines de navires des garde-côtes et de la marine.

La semaine dernière, Manille a accusé les garde-côtes chinois d'avoir endommagé un bateau des garde-côtes philippins et un autre du bureau des pêches en tirant dessus au canon à eau près du récif de Scarborough, contrôlé par la Chine mais revendiqué par les Philippines.

Des exercices en forme de dissuasion 

Ces incidents font craindre un conflit plus large qui pourrait impliquer les Etats-Unis, allié des Philippines, et d'autres pays de la région, dans une période où la Chine renforce sa pression diplomatique et militaire autour de Taïwan.

La semaine dernière, les ministres de la Défense des Philippines, des Etats-Unis, du Japon et de l'Australie ont, à l'issue d'une réunion dans l'archipel américain d'Hawaï, publié un communiqué conjoint dénonçant la "conduite dangereuse et déstabilisante" de Pékin en mer de Chine méridionale.

"Les actions de la Chine dans les mers de Chine orientale et méridionale sont légitimes, légales et irréprochables", avait auparavant affirmé le 12 avril le ministère chinois des Affaires étrangères.

La semaine dernière, les forces américaines participant à Balikatan avaient tiré des roquettes de précision Himars depuis l'île occidentale de Palawan, face aux îles Spratleys également disputées.

Selon l'armée américaine, il s'agissait d'une répétition du déploiement rapide du système Himars sur les côtes philippines bordées par la mer de Chine méridionale afin de "sécuriser et de protéger le territoire, les eaux territoriales et les intérêts de la zone économique exclusive des Philippines".

"Les exercices militaires sont une forme de dissuasion", a déclaré le ministre philippin des Affaires étrangères, Enrique Manalo, dans un discours prononcé en son nom par un assistant lors d'un atelier public vendredi. "Plus nous simulons, moins nous agissons."

Le président philippin Ferdinand Marcos Jr. a quant à lui assuré lundi que son pays n'entendait pas "faire monter la tension" en mer de Chine méridionale.

"Nous ne suivrons pas les garde-côtes chinois et les navires chinois dans cette voie", a-t-il dit. "Nous n'avons pas l'intention d'attaquer qui que ce soit avec des canons à eau ou tout autre équipement offensif", a-t-il poursuivi, ajoutant que Manille continuera à utiliser exclusivement la voie diplomatique pour régler les différends avec Pékin.


La mésaventure d'un proviseur américain, cas d'école des dangers de l'IA

Les mots « Intelligence artificielle IA », miniature d’un robot et d’une main jouet sont représentés sur cette illustration prise le 14 décembre 2023 (Photo, Reuters).
Les mots « Intelligence artificielle IA », miniature d’un robot et d’une main jouet sont représentés sur cette illustration prise le 14 décembre 2023 (Photo, Reuters).
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  • Eric Eiswert, proviseur à Pikesville dans le Maryland, près de Washington, s'est retrouvé au coeur d'une violente polémique avec un enregistrement vocal
  • L'affaire, qui survient en pleine année électorale aux Etats-Unis, met en lumière la facilité avec laquelle les outils d'IA générative peuvent être employés pour nuire à tout un chacun

WASHINGTON: Après l'indignation provoquée dans un lycée américain par la diffusion de propos racistes attribués au proviseur, le vertige de découvrir que la bande sonore a été montée de toutes pièces. Cet épisode illustre les dangers d'une intelligence artificielle devenue accessible à tous.

Eric Eiswert, proviseur à Pikesville dans le Maryland, près de Washington, s'est retrouvé au coeur d'une violente polémique avec un enregistrement vocal -- qui se révélera un faux -- lui faisant prononcer des commentaires choquants contre des élèves juifs et des "enfants noirs ingrats".

L'affaire, qui survient en pleine année électorale aux Etats-Unis, met en lumière la facilité avec laquelle les outils d'IA générative peuvent être employés pour nuire à tout un chacun, et les difficultés auxquelles font face les autorités pour lutter contre de telles pratiques.

"Désormais, tout le monde est vulnérable", et non plus seulement les célébrités, alerte Hany Farid, professeur à l'Université de Californie à Berkeley (ouest).

"Il suffit d'une image pour ajouter une personne dans une vidéo, et 30 secondes d'audio pour cloner la voix de quelqu'un", poursuit le spécialiste en détection d'images et d'enregistrements manipulés numériquement, consulté par la police dans cette affaire.

Quand l'enregistrement fuite sur les réseaux sociaux en janvier, il devient rapidement viral. Une publication recueille des milliers de commentaires sur Instagram, et propulse l'école au coeur d'une polémique nationale.

Le militant des droits civiques DeRay McKesson réclame la démission du proviseur sur son compte X, suivi par près d'un million d'internautes. Il admettra s'être fait abuser.

Les messages haineux pleuvent sur les réseaux sociaux et les coups de fil menaçants se multiplient dans l'établissement. Le "monde serait meilleur si vous étiez sous terre", écrit ainsi un internaute au proviseur.

Ce dernier est placé en congés, son domicile mis sous protection. Contacté par l'AFP, il n'a pas répondu.

Vengeance 

"Je continue de m'inquiéter des dégâts provoqués par cette affaire", confie Billy Burke, directeur du syndicat représentant le proviseur.

Fin avril, Dazhon Darien, 31 ans, responsable sportif du lycée, a été arrêté par les autorités, accusé d'être à l'origine du faux. Les enquêteurs sont remontés jusqu'à lui grâce à l'adresse électronique qui a initialement partagé le fichier.

Il aurait agi pour se venger d'une enquête ouverte à son encontre par le proviseur sur des paiements suspects.

Le prévenu a mené des recherches sur des outils d'IA depuis le réseau informatique du lycée, selon l'acte d'accusation.

La bande sonore, selon l'analyse d'un expert consulté par la police, "contient des traces de contenu généré par l'IA, avec un montage humain a posteriori".

Cette affaire démontre la nécessité "d'adapter la loi aux avancées technologiques", a estimé le procureur local, Scott Shellenberger.

Les montages audio sont particulièrement difficiles à déceler. En janvier, un message diffusé par appels téléphoniques automatisés usurpant la voix du président Joe Biden incitait les électeurs démocrates de l'Etat du New Hampshire (nord-est) à s'abstenir lors des primaires pour du parti.

A Pikeville, l'affaire a secoué les habitants, "très proches les uns des autres", raconte Parker Bratton, l'entraîneur de golf du lycée.

"Il y a un seul président, mais il y a un million de proviseurs!", s'inquiète-t-il, "les gens se demandent +Que va-t-il m'arriver si quelqu'un décide tout simplement de détruire ma carrière?+".