La Journée mondiale de l'aide humanitaire met en lumière les crises à l'origine des déplacements

Dans cette photo prise le 5 novembre 2016, un secouriste de l'ONG maltaise Moas porte un bébé lors d'une opération de sauvetage de 146 migrants et réfugiés par le navire Topaz Responder au large des côtes libyennes. Des migrants et réfugiés d'Afrique, d'Asie et du Moyen-Orient tentent une traversée périlleuse vers l'Europe en bateau dans l'espoir de trouver une vie meilleure (Photo, AFP).
Dans cette photo prise le 5 novembre 2016, un secouriste de l'ONG maltaise Moas porte un bébé lors d'une opération de sauvetage de 146 migrants et réfugiés par le navire Topaz Responder au large des côtes libyennes. Des migrants et réfugiés d'Afrique, d'Asie et du Moyen-Orient tentent une traversée périlleuse vers l'Europe en bateau dans l'espoir de trouver une vie meilleure (Photo, AFP).
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Publié le Samedi 19 août 2023

La Journée mondiale de l'aide humanitaire met en lumière les crises à l'origine des déplacements

  • Bien que la Syrie reste la plus grande source de personnes déplacées, elle est suivie de près par l’Ukraine et l’Afghanistan
  • Les conflits en cours, ainsi que les bouleversements liés au climat entraînent un déplacement accru de population

DUBAÏ : Youssef Bayrakdar avait 19 ans lorsqu'en mars 2012, lui et sa famille furent contraints de quitter leur maison à Homs, à peine un an après le début du conflit en Syrie. Sa sœur, son mari, leurs enfants et tous les habitants de leur immeuble avaient été tués par des miliciens.

Après cinq jours, les familles endeuillées furent enfin autorisées à sortir leurs morts pour les enterrer. «Les milices ont continué de tuer et ont totalement éradiqué près de 25 quartiers et massacré 100 familles», a raconté Bayrakdar à Arab News.

Lui et sa famille survivante ont fui à la campagne, où ils sont restés jusqu'en 2015. Cependant, la guerre les a rattrapés, avec des roquettes qui tombaient près de chez eux. Alors que ses parents ont choisi de retourner en ville, Bayrakdar et ses deux frères et sœurs ont choisi de devenir politiquement actifs.

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Des migrants d'Afrique, échoués sur le rivage à la frontière libyo-tunisienne à Ras Jedir, implorent d'être sauvés d'une zone désertique entre la Libye et la Tunisie le 26 juillet, des semaines après que les autorités tunisiennes les aient prétendument abandonnés là-bas, démunis de tout (Photo, AFP).

«Aujourd'hui, nous trois vivons dans la partie nord d'Alep (qui n'est pas sous le contrôle du gouvernement) et nous ne pouvons pas rendre visite à nos parents», a-t-il dit. «Je crois vraiment que nous ne les reverrons plus jamais.»

Bayrakdar fait partie des millions de personnes à travers le monde qui ont été déplacées par les conflits, les persécutions, les catastrophes naturelles ou le manque d'opportunités économiques.

Selon l'agence des Nations unies pour les réfugiés, le HCR, depuis le début de la crise en 2011, 13 millions de personnes en provenance de Syrie ont fui leurs régions d'origine ou de résidence habituelle pour chercher refuge dans d'autres parties de leur pays, dans des pays voisins ou dans d'autres pays. 

Environ 5,6 millions de Syriens ont cherché refuge à l'étranger, tandis que 6,9 millions de personnes sont toujours déplacées à l'intérieur du pays. Bien que certains réfugiés syriens soient depuis retournés chez eux, les agences d’aide ont eu du mal à préciser les chiffres exacts. 

Bien que la Syrie reste la principale source de personnes déplacées, elle est suivie de près par l'Ukraine, l'Afghanistan, le Venezuela, le Soudan du Sud et le Myanmar.

«Environ 52% de tous les réfugiés et autres personnes ayant besoin de protection internationale proviennent de seulement trois pays : la Syrie (6,5 millions), l'Ukraine (5,7 millions) et l'Afghanistan (5,7 millions)», a déclaré Matthew Saltmarsh, responsable des nouvelles et des médias au HCR, à Arab News.

«Mais bien sûr, il y a pleins d’autres pays, notamment le Soudan, le Soudan du Sud, le Venezuela et le Myanmar.»

En effet, la violence persistante au Soudan, qui a débuté le 15 avril, a contraint environ 4,3 millions de personnes à fuir leur domicile. Plus de 3,2 millions sont déplacées à l'intérieur du pays, 900 000 ont fui vers les pays voisins et 195 000 citoyens Sud-Soudanais ont été contraints de rentrer chez eux, selon le Comité international de la Croix-Rouge.

Déstabilisation

La crise humanitaire qui en résulte risque de déstabiliser la région plus large, car plusieurs pays frontaliers du Soudan ont eux-mêmes enduré des décennies de conflits, d'instabilité politique et économique, de faim et de sécheresse, et ont besoin de soutien international.

«Il est important de signaler que le Soudan connaissait déjà un lourd déplacement interne et une crise des réfugiés avant le début du conflit actuel, car il hébergeait déjà plus d'un million de réfugiés déplacés en raison des conflits dans les pays voisins», a déclaré Imene Trabelsi, porte-parole régionale du CICR, à Arab News.

Selon les données des Nations unies, près de 110 millions de personnes dans le monde sont actuellement classées comme déplacées, soit le double du nombre il y a seulement une décennie.

Selon Saltmarsh, les conflits multiples en cours, notamment la guerre en Ukraine, ainsi que les bouleversements causés par le climat, entrainent un nombre accru de déplacements :  les personnes sont déracinées de leurs foyers et sont souvent contraintes de braver des itinéraires dangereux pour afin une relative sécurité. 

«Parfois, il semble que les humains aient plus de facilite à se battre qu’à rechercher la paix», a-t-il ajouté. «Soit la communauté internationale s'unie pour agir pour résoudre cette tragédie humaine, résoudre les conflits et trouver des solutions durables, soit cette terrible tendance se poursuivra.»

«Nous avons besoin d'une action urgente, immédiate et collective pour traiter les causes profondes et les conséquences du déplacement.»

Il existe certaines exceptions notables à ce tableau sombre, des pays et des communautés qui travaillent ensemble pour trouver des solutions permettant aux réfugiés d’être réinstallés et leur  offrant des opportunités pour construire des moyens de survie durables, ou les aidant à retourner volontairement dans leurs pays d'origine.

Cependant, les agences d'aide humanitaire estiment que les gouvernements n'en font tout simplement pas assez pour promouvoir la paix par la diplomatie, laissant les conflits ainsi que les déplacements massifs se poursuivre sans relâche.

«La communauté internationale peut faire beaucoup pour prévenir les guerres et les arrêter», a déclaré Karl Schembri, conseiller en communication pour l'Afrique de l'Est et le Yémen au Conseil norvégien pour les réfugiés, à Arab News.

«La boîte à outils des diplomates offre de multiples instruments qui, dans divers contextes, permettent d'exercer une pression sur les parties en conflit et de les rendre responsables. La prolifération de conflits ne reflète pas tant les possibilités d'action que les degrés d'engagement politique.»

«Les pays plus riches, qui sont eux-mêmes engagés dans des guerres, peuvent fournir tout le financement nécessaire pour aider les personnes déplacées et les victimes de ces catastrophes causées par l'homme.»

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Des migrants sud-asiatiques secourus par la garde nationale tunisienne lors d'une tentative de traversée de la Méditerranée en bateau se reposent au port d'El-Ketef à Ben Guerdane, dans le sud de la Tunisie, près de la frontière avec la Libye, le 24 juin 2021. La Tunisie et la Libye sont des points de départ clés pour les migrants qui tentent la traversée périlleuse de la côte nord-africaine vers l'Europe, notamment l'Italie (Photo, AFP).

Schembri a déclaré que son organisation, le CNR, ainsi que d'autres agences humanitaires travaillent partout où la situation de sécurité leur permet d'opérer pour fournir une gamme d'assistance, de l'aide financière et juridique à l'abri, la nourriture, l'eau et l'éducation.

D'autres agences humanitaires aident les personnes déplacées à renouer les liens avec leurs familles après avoir été séparées. Depuis juillet, par exemple, le CICR a réuni 558 réfugiés soudanais, qui ont fui au Tchad, avec leurs proches restés chez eux.

Cependant, avec les bailleurs de fonds appelés à répondre à autant de crises simultanées à travers le monde, le financement en diminution constitue de plus en plus un défi pour les efforts humanitaires. Jusqu'à ce que des solutions soient trouvées, les responsables des agences d'aide ont déclaré que les gouvernements doivent offrir aux réfugiés un passage sûr et légal.

«Mise en place d'un mécanisme régional»

«Les pays plus riches peuvent mettre la sécurité et la solidarité au cœur de leurs politiques», a déclaré Saltmarsh. «Si vous regardez la Méditerranée - qui est dans les actualités en ce moment - des efforts collectifs, notamment une coordination accrue entre tous les États méditerranéens, la solidarité et le partage des responsabilités sont essentiels pour sauver des vies.»

«Cela inclut la mise en place d'un mécanisme régional d'accostage et de redistribution convenu pour les personnes arrivant par la mer, que nous continuons de préconiser. Le devoir de secourir les personnes en détresse en mer sans délai est une règle fondamentale du droit maritime international.»

«Il est également important de créer plus de voies sûres pour les personnes contraintes de fuir les conflits et les persécutions, tout en réprimant les passeurs et ceux qui profitent du chaos des mouvements humains. La dernière étape consiste à créer des conditions dans les pays d'origine qui dissuadent les gens de recourir à des voyages périlleux pour chercher la sécurité.»

Selon le projet Missing Migrants de l'Organisation internationale pour les migrations, 1 166 personnes sont mortes ou ont disparu en tentant de traverser la mer Méditerranée pour se rendre en Europe entre le début de cette année et le 9 juin.

«Les politiques ont échoué à traiter les causes profondes de la migration, telles que la pauvreté et le manque d'emplois», a déclaré Ahmed Bayram, conseiller régional en médias et en communication pour le CNR à Amman, à Arab News.

«Personne ne veut quitter son domicile, et la communauté internationale doit sérieusement réfléchir à ce qui force les gens à prendre de telles décisions.»

« Je dirais que la communauté internationale n'a pas tout fait pour empêcher les guerres de durer des années. Les dynamiques politiques se sont déroulées dans toutes les zones de conflit de manière à alimenter davantage les guerres.»

« En tant qu'agence d'aide humanitaire, nous examinons ce qui a été fait pour aider les personnes touchées. Le nombre de réfugiés est le plus élevé jamais enregistré. Les répercussions de la guerre et du changement climatique se propagent dans les communautés touchées - catastrophes, conditions de sécheresse, pauvreté et manque d'emplois et d'opportunités éducatives. L'impact se fera sentir pendant des générations à venir. »

Selon Bayrakdar, qui a passé toute sa vie adulte en tant que personne déplacée, seule une action concertée de la communauté internationale pour résoudre la guerre civile syrienne de 12 ans permettra aux familles de se réunir et aux communautés de guérir.

«Nous pensons toujours à aider les déplacés, et ne parlons pas d'arrêter le déplacement, ou d'examiner les raisons pour lesquelles cela s'est produit», a-t-il déclaré à Arab News.

«Arrêter le déplacement peut se faire en éliminant ses raisons. (Cependant), les politiciens (au sein de la communauté internationale) ne ressentent pas la douleur que nous ressentons. Ils n'ont pas perdu leurs proches comme nous l'avons fait.»

Ce texte est la traduction d’un article paru sur Arabenws.com


Canada et Mexique veulent un accord commercial avec les Etats-Unis "plus équitable et plus efficace"

Le Premier ministre canadien Mark Carney (à gauche) et la présidente du Mexique Claudia Sheinbaum (à droite) posent pour une photo après une conférence de presse conjointe au Palais national de Mexico, le 18 septembre 2025. (AFP)
Le Premier ministre canadien Mark Carney (à gauche) et la présidente du Mexique Claudia Sheinbaum (à droite) posent pour une photo après une conférence de presse conjointe au Palais national de Mexico, le 18 septembre 2025. (AFP)
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  • Le Canada et le Mexique souhaitent renforcer et rééquilibrer l’ACEUM, leur accord de libre-échange avec les États-Unis, dans un contexte de retour annoncé du protectionnisme sous Trump
  • Les deux pays lancent des initiatives pour développer leur commerce bilatéral en utilisant leurs propres ports, afin de réduire leur dépendance logistique et commerciale vis-à-vis des États-Unis

MEXICO: Le Canada et le Mexique ont défendu jeudi leur accord de libre-échange avec les États-Unis, tout en proposant de le rendre "plus équitable et plus efficace" lors de son réexamen prévu pour l'an prochain, face à la poussée protectionniste de Donald Trump.

Lors d'une conférence de presse à Mexico aux côtés de la présidente mexicaine Claudia Sheinbaum, le Premier ministre canadien Mark Carney a affirmé que son pays était "absolument déterminé à travailler avec (ses) deux partenaires".

Le Canada et le Mexique souhaitent que l'accord commercial ACEUM les liant actuellement aux États-Unis soit "plus équitable et plus efficace", a-t-il souligné.

Mme Sheinbaum s'est pour sa part dite "optimiste" quant à l'avenir de l'accord ACEUM "non seulement par conviction mais parce que je crois que le traité commercial (...) va prévaloir".

L'accord, en place depuis 2020, doit être réexaminé par les trois pays l'année prochaine. Le président américain souhaite le renégocier en assurant des conditions plus favorables aux fabricants américains.

Donald Trump a déjà imposé des droits de douane sur certaines produits provenant du Canada et du Mexique et ne relevant pas de l'ACEUM. Il a menacé ses voisins de nouvelles représailles s'ils ne parviennent pas à freiner la migration illégale et le trafic de drogue.

L'ACEUM, qui a succédé à l'accord de libre-échange Alena, est crucial pour les économies du Mexique et du Canada, qui destinent respectivement environ 80% et 75% de leurs exportations aux États-Unis.

"Nous sommes plus forts ensemble", a insisté Mark Carney.

"La meilleure manière de concurrencer d'autres régions du monde est de renforcer le traité commercial entre les trois pays", a abondé la présidente mexicaine.

La guerre commerciale de l'administration Trump a déjà perturbé de manière significative les relations entre les trois pays.

Des droits de douane américains affectent les secteurs de l'automobile, de l'acier et de l'aluminium au Canada et touchent les industries mexicaines de l'automobile et de l'acier.

La rencontre des deux dirigeants visait également à réduire l'énorme écart entre leur commerce bilatéral et celui que les deux pays entretiennent respectivement avec les États-Unis.

Le commerce de marchandises entre le Mexique et les Etats-Unis a totalisé plus de 763 milliards de dollars en 2024, tandis que celui des États-Unis avec le Canada a atteint près de 762 milliards de dollars au cours de la même période.

En comparaison, les échanges de biens entre le Mexique et le Canada (31,8 milliards de dollars) font pâle figure.

Le Canada est le cinquième partenaire commercial du Mexique dans le monde, tandis que le pays latino-américain occupe la troisième place parmi les nations avec lesquelles les entreprises canadiennes commercent.

Les deux dirigeants, qui cherchent à diversifier leurs exportations, ont annoncé jeudi des programmes pour renforcer leurs échanges commerciaux et les investissements, en utilisant les ports canadiens et mexicains plutôt qu'en expédiant des marchandises à travers les États-Unis.


Gaza et l'avenir des Palestiniens au centre du sommet annuel de l'ONU

Dès lundi, un sommet coprésidé par la France et l'Arabie saoudite se penchera sur l'avenir de la solution à deux Etats, israélien et palestinien, vivant côte à côte en paix et sécurité. (AFP)
Dès lundi, un sommet coprésidé par la France et l'Arabie saoudite se penchera sur l'avenir de la solution à deux Etats, israélien et palestinien, vivant côte à côte en paix et sécurité. (AFP)
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  • Après l'adoption à une majorité écrasante la semaine dernière par l'Assemblée générale d'un texte qui soutient un futur Etat palestinien mais en excluant sans équivoque le Hamas, cette réunion devrait voir la reconnaissance de cet Etat palestinien
  • Un geste "symbolique" qui pourra avoir une vraie portée "si les pays qui reconnaissent la Palestine enchaînent avec d'autres mesures pour tenter de faire pression sur Israël pour mettre fin à sa campagne à Gaza"

NATIONS-UNIES: Quelque 140 chefs d'Etat et de gouvernement sont attendus la semaine prochaine à New York pour la grand-messe annuelle de l'ONU où l'avenir des Palestiniens et de Gaza sera au centre de l'attention, même en l'absence de Mahmoud Abbas.

Près de deux ans après le début de l'offensive israélienne dans la bande de Gaza, déclenchée par l'attaque sans précédent du Hamas du 7 octobre 2023, la catastrophe humanitaire qui ravage le petit territoire palestinien risque d'éclipser toutes les autres crises et conflits qui ravagent la planète, de l'Ukraine à Haïti ou au Soudan.

Dès lundi, un sommet coprésidé par la France et l'Arabie saoudite se penchera sur l'avenir de la solution à deux Etats, israélien et palestinien, vivant côte à côte en paix et sécurité.

Après l'adoption à une majorité écrasante la semaine dernière par l'Assemblée générale d'un texte qui soutient un futur Etat palestinien mais en excluant sans équivoque le Hamas, cette réunion devrait voir la reconnaissance formelle de cet Etat palestinien par plusieurs pays, en premier lieu par le président français Emmanuel Macron.

Un geste "symbolique" qui pourra avoir une vraie portée "si les pays qui reconnaissent la Palestine enchaînent avec d'autres mesures pour tenter de faire pression sur Israël pour mettre fin à sa campagne à Gaza", commente Richard Gowan, de l'International Crisis Group.

Mais il craint dans le même temps des représailles israéliennes, évoquant un risque d'"escalade" de la part du Premier ministre Benjamin Netanuyahu qui doit s'exprimer à la tribune de l'Assemblée générale en fin de semaine prochaine et a clairement dit qu'"il n'y aurait pas d'Etat palestinien".

Les Etats-Unis, principal allié d'Israël, se sont eux aussi publiquement opposé à ce processus et ont annoncé qu'ils n'accorderaient pas de visa à la délégation palestinienne, dont le président Mahmoud Abbas. L'Assemblée doit voter vendredi pour l'autoriser à s'exprimer par vidéo.

Autre star attendue de ce sommet annuel à New York, Donald Trump. Il s'est lancé depuis son retour à la Maison Blanche dans des coupes massives de l'aide américaine à l'étranger touchant de nombreuses agences onusiennes en difficulté, alors que les besoins humanitaires se multiplient.

Système multilatéral "menacé" 

C'est dans ce contexte de crise financière et de crise du multilatéralisme, et dans un monde qui connaît un nombre record de conflits depuis la fin de la Seconde Guerre mondiale, que l'ONU fête sans tambour ni trompette ses 80 ans, tentant d'écarter les critiques sur son impuissance.

"Le système multilatéral (...) est menacé", s'est inquiété Federico Borello, patron par intérim de Human Rights Watch.

"Pour être du bon côté de l'Histoire, il est crucial de résister aux gouvernements puissants qui tentent de saper les normes internationales et de démolir les moyens de rendre des comptes", a-t-il ajouté, dénonçant les violations du droit humanitaire à Gaza, en Ukraine ou ailleurs.

"Les gens réclament des réponses et des actes. Des actes à la hauteur de la gravité des défis auquel le monde fait face", des guerres au réchauffement climatique, en passant par les inégalités ou les risques des nouvelles technologies, a insisté de son côté le secrétaire général de l'ONU Antonio Guterres.

En ce 80e anniversaire, environ 140 chefs d'Etat et de gouvernement devraient s'exprimer à New York, de l'Ukrainien Volodymyr Zelensky au Brésilien Luiz Inacio Lula da Silva, du Canadien Mark Carney à l'Iranien Massoud Pezeshkian, sans oublier le Syrien Ahmad al-Chareh.

Près d'un an après que ses forces, dirigées par des islamistes, ont renversé Bachar al-Assad, la visite du président syrien par intérim est très attendue alors que le pays tente de se reconstruire après des années de guerre civile.

Autre sujet sensible probablement au menu des discussions diplomatiques, le programme nucléaire iranien, alors que les sanctions de l'ONU contre Téhéran, levées il y a dix ans, pourraient être remises en vigueur fin septembre à la suite d'un processus déclenché fin août par Paris, Londres et Berlin.

Antonio Guterres et le président Lula organiseront par ailleurs mercredi un sommet sur le climat où certains Etats pourraient annoncer ou préciser leurs nouvelles ambitions de réduction de leurs émissions de gaz à effet de serre, à quelques semaines de la COP30 au Brésil.


A l'ONU, l'enquêtrice en chef sur Gaza a encore espoir que les dirigeants israéliens soient un jour jugés

Navi Pillay, la présidente de la commission d'enquête indépendante de l'ONU qui a accusé cette semaine Israël de commettre un génocide à Gaza, ne perd pas espoir que les dirigeants israéliens soient un jour jugés. (AFP)
Navi Pillay, la présidente de la commission d'enquête indépendante de l'ONU qui a accusé cette semaine Israël de commettre un génocide à Gaza, ne perd pas espoir que les dirigeants israéliens soient un jour jugés. (AFP)
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  • Selon les enquêteurs, le président israélien, Isaac Herzog, le Premier ministre, Benjamin Netanyahu, et l'ancien ministre de la Défense, Yoav Gallant, ont "incité à commettre un génocide"
  • Israël a "rejeté catégoriquement" ce "rapport biaisé et mensonger"

GENEVE: Navi Pillay, la présidente de la commission d'enquête indépendante de l'ONU qui a accusé cette semaine Israël de commettre un génocide à Gaza, ne perd pas espoir que les dirigeants israéliens soient un jour jugés.

"La justice est lente", a affirmé l'ancienne juge sud-africaine, dans un entretien à l'AFP.

Mais "comme l'a dit (Nelson) Mandela, cela semble toujours impossible, jusqu'à ce qu'on le fasse. Je considère qu'il n'est donc pas impossible qu'il y ait des arrestations et des procès" à l'avenir, a-t-elle ajouté.

La commission d'enquête, qui ne s'exprime pas au nom de l'ONU, a établi qu'Israël commet un génocide à Gaza depuis le début de la guerre déclenchée par l'attaque sans précédent du Hamas du 7-Octobre.

Selon les enquêteurs, le président israélien, Isaac Herzog, le Premier ministre, Benjamin Netanyahu, et l'ancien ministre de la Défense, Yoav Gallant, ont "incité à commettre un génocide".

Israël a "rejeté catégoriquement" ce "rapport biaisé et mensonger".

La Cour pénale internationale (CPI) avait déjà émis des mandats d'arrêt contre MM. Netanyahu et Gallant.

Mme Pillay reconnaît que la CPI dépend des Etats pour la mise en œuvre des mandats d'arrêt car elle n'a "ni shérif, ni forces de police".

Mais elle veut y croire, faisant une comparaison : "Je n'aurais jamais pensé que l'apartheid prendrait fin de mon vivant".

"Tellement douloureux" 

Jeune avocate d'origine indienne dans l'Afrique du Sud de l'apartheid, devenue juge et Haute-Commissaire aux droits de l'homme à l'ONU (2008-2014), Mme Pillay, 83 ans, a l'art de traiter des dossiers difficiles.

Sa carrière l'a menée des cours sud-africaines, où elle a défendu les activistes anti-apartheid et obtenu des droits cruciaux pour les prisonniers politiques, au Tribunal pénal international pour le Rwanda, en passant par la CPI.

Sa mission est des plus ardues depuis qu'elle préside, depuis sa création en 2021, la commission chargée par le Conseil des droits de l'homme de l'ONU d'enquêter sur les atteintes aux droits dans les territoires palestiniens et en Israël.

Elle déplore d'avoir été qualifiée d'"antisémite" depuis et dénonce les appels sur les réseaux sociaux de ceux qui réclament que les Etats-Unis la sanctionnent, comme Washington l'a fait pour une rapporteure de l'ONU, des juges de la CPI et des ONG palestiniennes.

Mais le plus dur, pour elle et son équipe, est de visionner les vidéos provenant de Gaza.

"Nous nous inquiétons pour notre personnel. Nous les surmenons et c'est traumatisant ces vidéos", dit-elle, citant "des violences sexuelles contre les femmes" et "les médecins qui sont dénudés par l'armée".

"C'est tellement douloureux" à regarder même si "on ne peut pas comparer notre souffrance à celle de ceux qui l'ont vécue", poursuit-elle.

Alors qu'elle présidait le Tribunal pénal international pour le Rwanda, des vidéos de civils abattus ou torturés l'ont aussi "marqué à vie".

Selon elle, la comparaison entre le Rwanda et Gaza ne s'arrête pas là : "Je vois des similitudes. Ce sont les mêmes méthodes".

Du Rwanda à Gaza 

"Dans le cas du Rwanda, c'était le groupe des Tutsi qui était visé. Ici, tous les éléments de preuve montrent que c'est le groupe palestinien qui est visé", dit-elle.

Elle mentionne aussi les propos de dirigeants israéliens qui "déshumanisent" les Palestiniens en les comparant à des "animaux". Comme lors du génocide rwandais, lorsque les Tutsi étaient "traités de cafards", ce qui revient à dire qu'"il est acceptable de les tuer", dénonce-t-elle.

Mme Pillay a indiqué qu'à l'avenir la commission entendait se pencher aussi sur des crimes supposés commis par d'autres "individus", expliquant qu'une grande partie des preuves a été publiée par les soldats israéliens eux-mêmes sur les réseaux sociaux.

Elle déplore toutefois que, faute de financements, la commission n'ait pas pu encore examiner si certains Etats qui fournissent de l'armement à Israël pouvaient être considérés complices.

Un travail qu'elle laisse à son successeur. Elle quitte la commission le 3 novembre en raison de son âge et de problèmes de santé.

Avant cela, elle doit présenter un dernier rapport devant l'Assemblée générale de l'ONU à New York. "J'ai déjà un visa", confie-t-elle.