Les nouveaux droits d’exportation indiens de 40% sur les oignons aggraveront-ils l’inflation alimentaire dans le monde arabe?

Un ouvrier indien portant un sac d'oignons sur son épaule sur un marché de gros à Chennai, le 1er février 2019. (AFP)
Un ouvrier indien portant un sac d'oignons sur son épaule sur un marché de gros à Chennai, le 1er février 2019. (AFP)
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Publié le Mardi 22 août 2023

Les nouveaux droits d’exportation indiens de 40% sur les oignons aggraveront-ils l’inflation alimentaire dans le monde arabe?

  • La décision du gouvernement indien pourrait entraîner une hausse des prix, voire une pénurie immédiate de ce légume
  • Les experts affirment que les récentes décisions de l'Inde mettent en évidence les risques d'une dépendance excessive des pays arabes à l'égard d'un seul fournisseur de produits alimentaires de base

RIYAD/NEW DELHI: À une époque d'interdépendance mondiale croissante dans un grand nombre de secteurs, de l'approvisionnement énergétique à la sécurité alimentaire, les effets des décisions et des événements dans un pays restent rarement limités à ce même pays.

Prenez par exemple la récente décision du gouvernement indien d’imposer une taxe de 40% sur les exportations d’oignons dans le but de calmer la hausse des prix intérieurs. Cette annonce a suscité des inquiétudes dans les pays du Conseil de coopération du Golfe, qui dépendent des importations, quant à la garantie d'un approvisionnement suffisant en oignons.

L’Inde, premier exportateur mondial d’oignons, a affirmé que ces tarifs étaient dans «l’intérêt public», et resteraient en vigueur jusqu’au 31 décembre. Cela signifie pour les pays du CCG que les marchés locaux doivent se préparer à d’éventuelles fluctuations des prix d’un aliment de base.

«Étant donné que les oignons sont un ingrédient de base dans la cuisine, les droits d'exportation de 40%  perçus par l'Inde vont aggraver l'inflation alimentaire dans les pays du Golfe, compte tenu des chaînes d'approvisionnement déjà tendues pour le blé et le riz», a indiqué à Arab News Anupam Manur, économiste auprès de Takshashila Institution, organisation de recherche publique et d'éducation, à Bangalore.

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Les plus grands importateurs de l'oignon indien dans la zone MENA. (Infographie, AN)

Selon l'Observatoire de la complexité économique, les EAU ont importé de l’Inde pour 41,7 millions de dollars d'oignons en 2021, ce qui a fait du pays le quatrième importateur d'oignons indiens cette année-là.

Le volume des importations émiraties d’oignons en provenance de l’Inde a augmenté ces dernières années. En 2020, la valeur du commerce était de 34,8 millions de dollars, contre 27,7 millions de dollars en 2019. Cette augmentation est probablement due à la population croissante des Émirats arabes unis et au prix normalement plutôt bas des oignons indiens.

L’imposition de nouveaux droits d’exportation pourrait faire augmenter le prix des oignons dans la région du CCG, et à terme entraîner des pénuries influant sur les consommateurs et les entreprises. En conséquence, les familles habituées à consommer des oignons comme élément clé de leur alimentation quotidienne pourraient être contraintes à une adaptation de leurs habitudes culinaires.

L'Inde a affirmé avoir imposé ces droits d’exportation afin d'augmenter les approvisionnements intérieurs et de faire baisser ainsi les des prix locaux en hausse. «Les prix de l'oignon ont légèrement augmenté au cours des trois dernières semaines», a déclaré à Arab News Pushan Sharma, directeur de recherche auprès de CRISIL Market Intelligence and Analytics, basé à Mumbai.

«Selon les données du ministère indien de la Consommation, les prix de l'oignon ont atteint le 19 août plus de 30 roupies (0,36 $), soit 20% de plus que l'année dernière.»

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Un vendeur nettoyant et triant des oignons sur un étal du marché de Bangalore, le 7 avril 2023. (AFP)

Les effets d’un climat capricieux sur les cultures ont également joué un rôle dans la pénurie d’approvisionnements locaux.

«Les fortes pluies de juillet 2023 dans les principales régions productrices du Maharashtra et du Karnataka ont endommagé la récolte d'oignons stockée», a affirmé Pushan Sharma. «Les commerçants avaient stocké environ 2,5 millions de tonnes d'oignons, et on estime qu'environ 10 à 20% du stock a été endommagé.

«La saison du rabi, ou culture d'hiver, qui produit 70% des besoins en oignons de l'Inde, arrive généralement à maturité en mars. Cependant, cette année, nous avons connu des températures élevées en février et des pluies inhabituelles en mars, ce qui a provoqué une maturité précoce de la récolte de rabi et réduit la durée de conservation de la récolte rabi d’oignons de cette année de six à cinq mois.

En s’attendant à ce que la récolte de rabi soit épuisée début septembre, les prix ont encore augmenté.

«L'effet de la hausse des prix sera immédiat et s'accentuera progressivement», a indiqué Anupam Manur.

«L’information concernant les droits d'exportation aura déjà atteint les ménages et les commerçants, qui passeront des commandes d'achat plus élevées, ce qui de ce fait entraînera une hausse des prix. Le prix des oignons demain sur le marché aura déjà pris en compte une future hausse des prix.»

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Pushan Sharma a souligné le fait que les fortes précipitations de juillet 2023 dans les principales régions productrices du Maharashtra et du Karnataka ont endommagé la récolte d'oignons stockée. (AFP)

L’imposition de droits d’exportation élevés n’est pas sans précédent. L'Inde a pris des mesures similaires pour stabiliser le prix intérieur du blé en interdisant les exportations en 2022, en limitant les expéditions de riz en juillet de cette année, et en réduisant les droits d'importation sur les huiles de cuisson alimentaires.

«Les pénuries soudaines d'approvisionnement ne sont pas nouvelles, en particulier dans le secteur agricole et alimentaire», a affirmé Anupam Manur. «Un exemple récent en est la pénurie mondiale de blé lors de l’invasion de l’Ukraine par la Russie.

«Malgré la peur, les pays du monde entier ont trouvé des solutions. Certains ont dû puiser dans leurs réserves, tandis que d’autres ont augmenté leur production pour répondre à la demande. Quelque chose de similaire se produira ici également. D’autres pays producteurs réagiront à la hausse des prix et augmenteront leurs approvisionnements.»

Étant donné que New Delhi a déclaré que les droits d'exportation ne seraient appliqués que jusqu'à la fin de cette année, on espère que toute hausse des prix sera temporaire.

«L'augmentation des prix de l'oignon devrait être de courte durée», a affirmé Pushan Sharma de CRISIL Market Intelligence and Analytics. «Les consommateurs ne devraient faire les frais de la hausse des prix (en l’absence de restrictions à l’exportation) que pendant la période de soudure (jusqu’à fin septembre ou début octobre).

«À partir d’octobre, lorsque les approvisionnements du kharif (mousson ou saison d’automne) et du kharif tardif arriveront sur le marché, les prix devraient revenir à leurs niveaux habituels.»

Cependant, des changements inattendus dans les politiques d’exportation pourraient amener les importateurs à chercher ailleurs des sources plus fiables.

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L’imposition de droits d’exportation élevés n’est pas sans précédent. L'Inde a restreint ses expéditions de riz au mois de juillet de cette année. (AFP)

En ce qui concerne les relations économiques entre l'Inde et les pays du CCG, «cette décision n'influera pas sur la dynamique commerciale, car il ne s'agit que d'une mesure à court terme», a affirmé à Arab News Ajeet Kumar Sahoo, professeur adjoint au Centre pour le commerce international et le développement de l'Université de Jawaharlal Nehru de New Delhi.

«Je ne pense pas que les oignons puissent avoir un impact sur la balance des paiements avec les autres pays. Mais il ne fait aucun doute que les consommateurs d’autres pays disposeront d’un approvisionnement limité en oignons, de sorte que les prix des oignons seront plus élevés, mais ce sera à court terme.»

Muddassir Quamar, également professeur associé à l'Université Jawaharlal Nehru, estime aussi que les relations commerciales entre l'Inde et les pays du CCG continueront de se renforcer, indépendamment de la crise de l'oignon.

«À court terme, cela pourrait augmenter la facture des importations alimentaires des pays du CCG, mais pourrait ne pas influer sur les relations commerciales à long terme dans la mesure où les importations alimentaires fluctuent et dépendent de la production agricole et des politiques de contrôle du marché de chaque pays», a-t-il affirmé à Arab News.

La sécurité alimentaire est une préoccupation pour les pays arabes, et la situation actuelle des importations d'oignons soulève d'importantes questions sur la fiabilité des chaînes d'approvisionnement. Mais une pénurie temporaire d’oignons ne devrait pas causer de problèmes majeurs.

«Cela n'aura pas d'impact sur la sécurité alimentaire en soi, car l'oignon est un agent aromatisant plutôt que purement nutritionnel», a affirmé Anupam Manur. «Ainsi, les citoyens des pays du CCG pourraient avoir des plats plus fades, sans avoir pour autant de menace pour leur sécurité alimentaire.»

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Un ouvrier indien récoltant des oignons dans une ferme du village de Vasna Keliya, près de Dholka, à environ 35 km d'Ahmedabad, le 4 décembre 2018. (AFP)

Néanmoins, les principaux pays importateurs du monde arabe pourraient devoir commencer à envisager des stratégies visant à diversifier l’approvisionnement en oignons, voire à renforcer la culture nationale, afin d’atténuer les effets possibles de cette vulnérabilité à l’avenir.

«Chaque pays doit prendre cette question très au sérieux, en particulier en ce qui concerne les produits alimentaires, les médicaments d’importance vitale et les produits pétroliers», a affirmé Ajeet Kumar Sahoo.

«Ils doivent trouver des alternatives, sinon l’avenir sera très difficile. Chaque pays doit atteindre l’autosuffisance, notamment en matière de nourriture, d’eau et d’énergie.»

Heureusement, c’est exactement ce que semblent faire le Royaume et les autres pays du CCG en élaborant des stratégies pour protéger leurs chaînes d’approvisionnement contre les perturbations.

«L'Arabie saoudite a récemment créé une autorité de sécurité alimentaire pour faire face à de tels incidents, et je m'attends à ce que quelque chose de similaire se produise dans les autres pays du CCG», a indiqué Talat Hafiz, économiste et analyste financier saoudien, à Arab News.

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Talat Hafiz, économiste et analyste financier saoudien. (Photo fournie)

Un certain nombre de mesures supplémentaires pourraient être appliquées par les gouvernements du CCG pour atténuer les effets des droits d'exportation, notamment des subventions aux consommateurs et l'élargissement du stock mondial de fournisseurs d'oignons. Toutefois, le simple fait de se tourner vers d’autres fournisseurs n’est peut-être pas une solution viable à long terme.

«On peut s'attendre à ce que les autres pays exportateurs - le Pakistan, la Chine et l'Égypte - augmentent de leur côté leurs prix à l'exportation d'oignons, étant donné leurs excédents limités à l'exportation et l’écart soudain de l'approvisionnement», a affirmé Anupam Manur.

«À court terme, on peut s’attendre à une crise au niveau de l’approvisionnement, sachant qu’une hausse des prix pourrait entraîner une augmentation de la production lors du prochain cycle agricole.»

Ce texte est la traduction d’un article paru sur Arabnews.com

 


Taxe Zucman : «truc absurde», «jalousie à la française», selon le patron de Bpifrance

Nicolas Dufourcq, patron de Bpifrance, la banque publique d'investissement, a critiqué avec virulence mercredi l'idée d'une taxe Zucman, évoquant un "truc absurde", et "une histoire de jalousie à la française". (AFP)
Nicolas Dufourcq, patron de Bpifrance, la banque publique d'investissement, a critiqué avec virulence mercredi l'idée d'une taxe Zucman, évoquant un "truc absurde", et "une histoire de jalousie à la française". (AFP)
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  • M. Dufourcq, qui était interrogé sur RMC, a estimé que la taxe, dont le principe est d'imposer chaque année les contribuables dont la fortune dépasse 100 millions d'euros à hauteur de 2% de celle-ci, était "un truc complètement absurde"
  • Notant qu'avec la taxe Zucman, ils "paieraient tous en papier (en actions, NDLR) leurs 2%", M. Dufourcq a observé : "C'est moi, c'est la Bpifrance qui va gérer ce papier"

PARIS: Nicolas Dufourcq, patron de Bpifrance, la banque publique d'investissement, a critiqué avec virulence mercredi l'idée d'une taxe Zucman, évoquant un "truc absurde", et "une histoire de jalousie à la française".

M. Dufourcq, qui était interrogé sur RMC, a estimé que la taxe, dont le principe est d'imposer chaque année les contribuables dont la fortune dépasse 100 millions d'euros à hauteur de 2% de celle-ci, était "un truc complètement absurde", mais qui selon lui "n'arrivera pas".

Mais "ça panique les entrepreneurs : ils ont construit leur boîte et on vient leur expliquer qu'on va leur en prendre 2% tous les ans. Pourquoi pas 3? Pourquoi pas 4? C'est invraisemblable!", a-t-il déclaré.

Notant qu'avec la taxe Zucman, ils "paieraient tous en papier (en actions, NDLR) leurs 2%", M. Dufourcq a observé : "C'est moi, c'est la Bpifrance qui va gérer ce papier" : "Donc demain j'aurai 2% du capital de LVMH, dans 20 ans 20%, 20% du capital de Pinault-Printemps-Redoute (Kering, NDLR), 20% du capital de Free. C'est délirant, c'est communiste en réalité, comment est-ce qu'on peut encore sortir des énormités comme ça en France!?"

"Ces gens-là tirent la France. Il faut les aider (...) au lieu de leur dire qu'on va leur piquer 2% de leur fortune".

Il a observé que "si on pique la totalité de celle de Bernard Arnault, ça finance 10 mois d'assurance-maladie", mais qu'après "il n'y a plus d'Arnault".

"Il n'y a pas de trésor caché", a estimé M. Dufourcq, qui pense que cette taxe "n'arrivera jamais", et n'est évoquée que "pour hystériser le débat" politique.

Pour lui, il s'agit "d'une pure histoire de jalousie à la française, une haine du riche, qui est soi-disant le nouveau noble", rappelant les origines modestes de François Pinault ou Xavier Niel: "c'est la société française qui a réussi, on devrait leur dresser des statues".

"Il y a effectivement des fortunes qui passent dans leur holding des dépenses personnelles", a-t-il remarqué, "c'est ça qu'il faut traquer, et c'est ce sur quoi le ministère des Finances, je pense, travaille aujourd'hui".

Mais il y a aussi "beaucoup de Français qui passent en note de frais leurs dépenses personnelles", a-t-il observé. "Regardez le nombre qui demandent les tickets dans les restaus", pour se les faire rembourser.


IA: Google investit 5 milliards de livres au Royaume-Uni avant la visite de Trump

Le géant américain Google a annoncé mardi un investissement de 5 milliards de livres (5,78 milliards d'euros) sur deux ans au Royaume-Uni, notamment dans un centre de données et l'intelligence artificielle (IA), en amont de la visite d'Etat de Donald Trump dans le pays. (AFP)
Le géant américain Google a annoncé mardi un investissement de 5 milliards de livres (5,78 milliards d'euros) sur deux ans au Royaume-Uni, notamment dans un centre de données et l'intelligence artificielle (IA), en amont de la visite d'Etat de Donald Trump dans le pays. (AFP)
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  • Le Royaume-Uni s'apprête à accueillir Donald Trump pour une deuxième visite d'Etat mercredi et jeudi, après une première visite en 2019 lors de son premier mandat
  • Le président américain sera accompagné par plusieurs grands patrons, notamment de la tech. Des annonces d'investissements sont attendues ainsi que la signature d'un accord technologique avec Londres

LONDRES: Le géant américain Google a annoncé mardi un investissement de 5 milliards de livres (5,78 milliards d'euros) sur deux ans au Royaume-Uni, notamment dans un centre de données et l'intelligence artificielle (IA), en amont de la visite d'Etat de Donald Trump dans le pays.

Cette somme financera "les dépenses d'investissement, de recherche et développement" de l'entreprise dans le pays, ce qui englobe Google DeepMind (le laboratoire d'IA du géant californien), a indiqué le groupe dans un communiqué.

Google ouvre mardi un centre de données à Waltham Cross, au nord de Londres, dans lequel il avait déjà annoncé l'an dernier injecter un milliard de dollars (850 millions d'euros). La somme annoncée mardi viendra aussi compléter ce financement, a précisé un porte-parole de l'entreprise à l'AFP.

Le Royaume-Uni s'apprête à accueillir Donald Trump pour une deuxième visite d'Etat mercredi et jeudi, après une première visite en 2019 lors de son premier mandat.

Le président américain sera accompagné par plusieurs grands patrons, notamment de la tech. Des annonces d'investissements sont attendues ainsi que la signature d'un accord technologique avec Londres.

Selon un responsable américain, qui s'exprimait auprès de journalistes, dont l'AFP, en amont de la visite, les annonces se porteront à "plus de dix milliards, peut-être des dizaines de milliards" de dollars.

Le gouvernement britannique avait déjà dévoilé dimanche plus d'un milliard de livres d'investissements de banques américaines dans le pays, là aussi en amont de la visite d'Etat du président Trump.

Et l'exécutif britannique a annoncé lundi que Londres et Washington allaient signer un accord pour accélérer les délais d'autorisation et de validation des projets nucléaires entre les deux pays.

Depuis le début de la guerre en Ukraine, Londres redouble d'efforts pour se dégager des hydrocarbures et a fait du nucléaire l'une de ses priorités.

Le partenariat avec Washington, baptisé "Atlantic Partnership for Advanced Nuclear Energy", doit lui aussi être formellement signé lors de la visite d'État de Donald Trump.

 


La note française menacée de passer en catégorie inférieure dès vendredi

La dette française s'y négocie déjà à un taux bien plus coûteux que la dette allemande, dépassant même l'espace d'une journée, mardi, le taux de la dette italienne. (AFP)
La dette française s'y négocie déjà à un taux bien plus coûteux que la dette allemande, dépassant même l'espace d'une journée, mardi, le taux de la dette italienne. (AFP)
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  • La dette française s'y négocie déjà à un taux bien plus coûteux que la dette allemande, dépassant même l'espace d'une journée, mardi, le taux de la dette italienne
  • Les marchés donnent déjà à la France une "notation implicite" bien plus basse que sa note actuelle de AA-, estime M. Morlet-Lavidalie

PARIS: Fitch sera-t-elle vendredi la première agence de notation à faire passer la note souveraine française en catégorie inférieure? Les économistes, qui le pensaient il y a quelques jours, discernent des raisons d'en douter, mais ce ne pourrait être que partie remise.

Fitch ouvre le bal des revues d'automne des agences de notation. Toutes, au vu de l'état des finances publiques françaises et de la crise politique persistante depuis la dissolution, classent la France AA- ou équivalent (qualité de dette "haute ou bonne"), avec, pour certaines comme Fitch, une "perspective négative".

Ce qui préfigure une dégradation: en ce cas, la France basculerait en catégorie A (qualité "moyenne supérieure"), et devrait verser à ceux qui investissent dans sa dette une prime de risque supérieure, accroissant d'autant les remboursements de cette dette.

Pour Eric Dor, directeur des études économiques à l'IESEG School of Management, une dégradation serait "logique". D'abord parce que la situation politique n'aide pas à mettre en œuvre "un plan crédible d'assainissement budgétaire", comme Fitch l'exigeait en mars.

Mais aussi pour effacer "une incohérence" : 17 pays européens sont moins bien notés que la France alors qu'ils ont - à très peu d'exceptions près - des ratios de finances publiques meilleurs que les 5,8% du PIB de déficit public et 113% du PIB de dette publique enregistrés en France en 2024.

Coup d'envoi 

Depuis mardi, la nomination rapide à Matignon de Sébastien Lecornu pour succéder à François Bayrou, tombé la veille lors du vote de confiance, ravive l'espoir d'un budget 2026 présenté en temps et heure.

Lucile Bembaron, économiste chez Asterès, juge ainsi "plausible" que Fitch "attende davantage de visibilité politique" pour agir.

D'autant, remarque Hadrien Camatte, économiste France chez Natixis, que les finances publiques n'ont pas enregistré cette année de nouveau dérapage inattendu, et que "la croissance résiste".

L'Insee a même annoncé jeudi qu'en dépit du "manque de confiance" généralisé, celle-ci pourrait dépasser la prévision du gouvernement sortant - 0,7% - pour atteindre 0,8% cette année.

Anthony Morlet-Lavidalie, responsable France à l'institut Rexecode, observe aussi que Fitch, la plus petite des trois principales agences internationales de notation, "donne rarement le coup d'envoi" des dégradations.

Mais il estime "très probable" que la principale agence, S&P Global, abaissera le pouce lors de sa propre revue, le 28 novembre.

Selon ses calculs, la France ne sera en effet pas en mesure de réduire à moins de 5% son déficit public l'an prochain, contre les 4,6% qu'espérait François Bayrou.

Les économistes affirment cependant qu'une dégradation ne troublerait pas les marchés, "qui l'ont déjà intégrée", relève Maxime Darmet, économiste senior chez Allianz Trade.

Syndrome 

La dette française s'y négocie déjà à un taux bien plus coûteux que la dette allemande, dépassant même l'espace d'une journée, mardi, le taux de la dette italienne.

Les marchés donnent déjà à la France une "notation implicite" bien plus basse que sa note actuelle de AA-, estime M. Morlet-Lavidalie.

Il craint des taux qui resteraient "durablement très élevés", provoquant "un étranglement progressif", avec des intérêts à rembourser captant "une part significative de la dépense publique, alors qu'on a des besoins considérables sur d'autres postes".

L'économiste décrit une France en proie au "syndrome du mauvais élève".

"Lorsqu'on avait 20/20", explique-t-il - la France était jusqu'à 2012 notée AAA, note maximale qu'a toujours l'Allemagne - "on faisait tout pour s'y maintenir. Maintenant on dit que 17/20 (AA-) ça reste une très bonne note. Bientôt ce sera +tant qu'on est au-dessus de la moyenne, c'est pas si mal+. Quand on est la France, en zone euro, on devrait quand même être un peu plus ambitieux que cela!", dit-il à l'AFP.

Pour autant, même abaissée à A+, "la dette française resterait de très bonne qualité", relativise M. Camatte, préférant souligner "la forte épargne des ménages et une position des entreprises qui reste très saine".