L'utilisation du phosphore blanc par Israël cause des dommages à l'environnement et à la santé publique du Liban

Vue d'ensemble de l'étude d'impact: Analyse de l'ampleur des destructions causées par deux détonations d'obus au phosphore blanc au-dessus d’Aïta ach-Chab, avec des zones d'impact estimées grâce à des références photographiques à l'échelle. (Photo fournie)
Vue d'ensemble de l'étude d'impact: Analyse de l'ampleur des destructions causées par deux détonations d'obus au phosphore blanc au-dessus d’Aïta ach-Chab, avec des zones d'impact estimées grâce à des références photographiques à l'échelle. (Photo fournie)
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Publié le Samedi 04 novembre 2023

L'utilisation du phosphore blanc par Israël cause des dommages à l'environnement et à la santé publique du Liban

  • Arab News a vérifié de manière indépendante les images des attaques en utilisant des outils de renseignement de source ouverte avancés
  • L'armée israélienne maintient qu'elle n'utilise les incendiaires que comme écran de fumée et non pour cibler des civils

LONDRES/AMSTERDAM: Le long de la frontière sud du Liban avec Israël, qui s'étend de la côte de Naqoura à l'ouest jusqu'à Houla à l'est, près de la Ligne bleue administrée par les Nations unies, les visiteurs sont depuis longtemps accueillis par un panorama saisissant de montagnes couvertes de vert.

Aujourd'hui, cependant, des zones entières de ce paysage couvert de chênes, de pins et d'arbres riches en pommes et en olives, sont restées stériles, brûlées par le phosphore blanc que les forces israéliennes auraient fait pleuvoir sur les collines pour priver les combattants du Hezbollah d'un couvert arboré.

Depuis l'attaque du Hamas contre le sud d'Israël le 7 octobre, des combattants du Hezbollah favorables au groupe militant palestinien ont échangé des coups de feu avec les forces israéliennes le long de la frontière, faisant craindre l'ouverture d'un nouveau front dans le conflit de Gaza et une escalade régionale plus large.

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Analyse de géolocalisation: Identification des sites d'impact de deux attaques au phosphore blanc sur des zones civiles, à l'aide de preuves photographiques recoupées avec des images en ligne et des images satellite pour une géolocalisation précise. (Photo fournie)

Nasrallah a toutefois prévenu que les combats à la frontière israélo-libanaise ne se limiteraient pas à l'ampleur observée jusqu'à présent et que la poursuite de l'escalade dans le nord était une «possibilité réaliste».

Malgré les appels au calme lancés par la Force intérimaire des Nations unies au Liban, stationnée le long de la ligne bleue, les signes de ces premiers accrochages entre Israël et le Hezbollah sont déjà visibles dans le paysage.

Selon des sources proches du ministère libanais de l'Environnement, environ 40 000 hectares de verdure et d'agriculture — dont 40 000 oliviers — ont été brûlés du côté libanais de la frontière au cours des dernières semaines.

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Emplacements dans la région de Naqoura touchés par les incendies résultant des bombardements israéliens. Ci-dessous les images avant et après de ces emplacements.

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«Ils veulent vraiment brûler tout ce qui se trouve devant eux pour y voir plus clair. Et ils ne permettront pas au Hezbollah ou à l'armée libanaise de se cacher derrière ces verdures ou ces buissons», a expliqué à Arab News Najat Aoun Saliba, législatrice libanaise et professeure de chimie à l'Université américaine de Beyrouth.

«Plus qu'horrible»

Selon l'organisation de défense des droits de l'homme Amnesty International, les forces de défense israéliennes ont utilisé des obus contenant du phosphore blanc — une arme incendiaire — contre des cibles à l'intérieur du Liban.

«Il est plus qu'horrible que l'armée israélienne ait utilisé du phosphore blanc sans discernement, en violation du droit international humanitaire», a prévenu Aya Majzoub, directrice régionale adjointe pour le Moyen-Orient et l'Afrique du Nord à Amnesty International, dans un rapport publié mardi.

«L'utilisation illégale de phosphore blanc au Liban dans la ville de Dhayra le 16 octobre a gravement mis en danger la vie des civils, dont beaucoup ont été hospitalisés et déplacés, et dont les maisons et les voitures ont pris feu», a-t-elle ajouté.

Arab News a vérifié de manière indépendante les séquences et les images fournies par les militants écologistes et les habitants en utilisant des techniques avancées de renseignement en source ouverte. Ce processus implique la géolocalisation des images et des vidéos, l'analyse des séries temporelles pour confirmer leur récurrence et leur concordance avec des images satellites en libre accès.

En superposant ces images à des cartes satellites et en analysant le spectre des couleurs pour des événements tels que les incendies, Arab News peut authentifier le lieu, le moment et les événements capturés dans les images, garantissant ainsi l'exactitude et l'authenticité des informations.

L'armée israélienne maintient qu'elle n'utilise les incendiaires que comme écran de fumée et non pour cibler des civils. Dans une déclaration à l'Associated Press en octobre, elle a indiqué que le principal type d'obus fumigènes qu'elle utilise «ne contient pas de phosphore blanc», mais elle n'exclut pas son utilisation dans certaines situations.

Lorsqu’il est exposé à l'oxygène de l'air, le phosphore blanc brûle à des températures extrêmement élevées, illuminant les cibles dissimulées dans l'obscurité. En brûlant, il crée également un nuage blanc dense que les militaires utilisent souvent pour masquer leurs manœuvres, mais qui peut être mortel s'il est inhalé.

Selon le rapport d'Amnesty, les personnes qui ont été exposées au phosphore blanc «souffrent de lésions respiratoires, de défaillances organiques et d'autres blessures horribles qui changent leur vie, notamment des brûlures qui sont extrêmement difficiles à traiter et qui ne peuvent pas être éteintes avec de l'eau».

La législatrice libanaise Saliba a décrit les effets de l'agent chimique sur le corps humain. «Le phosphore blanc est capable de dissoudre la peau, c'est-à-dire de la ronger jusqu'aux os, ce qui est supérieur à une brûlure au troisième ou au quatrième degré», a-t-elle indiqué à Arab News.

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Najat Aoun Saliba, législatrice libanaise et professeur de chimie. (Photo, AFP)

«Vous ne le sentirez peut-être pas le premier jour, mais le deuxième jour, il provoquera des maux d'estomac, puis des vomissements, et vous saurez alors que le phosphore est dans votre corps, et qu'il n'y a pas grand-chose que vous puissiez faire pour vous en prémunir», a-t-elle ajouté.

Saliba a signalé que le ministère libanais de la Santé publique se préparait à traiter les patients susceptibles d'entrer en contact avec du phosphore blanc et qu'il avait lancé des campagnes de sensibilisation à l'intention des personnes vivant à proximité de la frontière et d'autres zones ciblées.

«Le danger est grand»

Le rapport d'Amnesty a présenté des récits détaillés de personnes soignées dans des hôpitaux proches des villes de Dhayra, Yarine et Marwahin, où des bombardements au phosphore blanc auraient eu lieu.

«Nous ne pouvions même pas voir nos propres mains en raison de l'épaisse fumée blanche qui a recouvert la ville toute la nuit et jusqu'à ce matin (17 octobre)», a déclaré à Amnesty le directeur régional de la défense civile du Liban.

Outre les dommages immédiats causés par le phosphore blanc à la santé humaine et aux infrastructures publiques, cette arme peut également avoir un impact à long terme sur l'environnement. Les communautés agricoles qui cultivent les collines fertiles du Liban depuis des générations en subissent les effets dévastateurs.

«Israël abime délibérément l'écosystème et détruit une terre préservée depuis des centaines d'années», a déclaré à Arab News Hisham Younes, directeur de Green Southerners, un groupe de la société civile qui vise à préserver la faune et la flore ainsi que le patrimoine culturel dans le sud du Liban.

«Ce qui se passe, c'est la destruction du patrimoine et de la culture. Le danger est grand, mais les effets le sont encore plus», a-t-il averti.

Le Sud-Liban a subi des dommages écologiques massifs lors de la dernière confrontation à grande échelle entre Israël et le Hezbollah en 2006. Plus d'un millier d'hectares de forêts et d’oliviers ont été détruits par des explosifs et des feux de brousse, selon une étude réalisée en 2007 par l'Association pour les forêts, le développement et la conservation.

Il a fallu quatre ans pour commencer à réparer les dégâts, la FINUL ayant mis en place un vaste projet de reboisement dans la région en 2010. Cette fois-ci, cependant, le pays pourrait ne pas être en mesure de se redresser aussi facilement.

«Nous ne nous sommes pas remis de l'explosion de Beyrouth, ni même de la guerre de 2006», a mentionné Saliba, faisant référence à l'explosion du 4 août 2020 dans le port de Beyrouth, qui a dévasté tout un quartier de la capitale libanaise.

La catastrophe a aggravé les malheurs d'un pays déjà en proie à la pire crise financière de son histoire, à la pandémie de la Covid-19 et à un état de paralysie politique qui a empêché les législateurs de mettre en place un nouveau gouvernement.

Compte tenu de la faiblesse du Liban et de la supériorité militaire d'Israël, Saliba estime que seule la diplomatie peut sauver le peuple libanais et son environnement du désastre et de la destruction.

«Je crois qu'Israël a utilisé des armes criminelles ou interdites partout. Il n'aura pas de pitié pour nous. Par conséquent, si nous pouvons sauver le pays de cette dévastation en déployant tous les efforts diplomatiques possibles, je pense que nous devrions le faire», a-t-elle précisé.

Saliba a conclu: «C'est un moment historique et nous ne devons négliger aucune chance, aucune occasion, pour sauver le pays de cette guerre.»

 

Ce texte est la traduction d’un article paru sur Arabnews.com


Le Liban accuse Israël de menacer la stabilité alors que les forces de l’ONU préparent leur retrait

Une ambulance de la Croix-Rouge libanaise passe devant des véhicules blindés de la Force intérimaire des Nations unies au Liban lors d'une patrouille près de Marjayoun, dans le sud du Liban, l'année dernière. (AFP)
Une ambulance de la Croix-Rouge libanaise passe devant des véhicules blindés de la Force intérimaire des Nations unies au Liban lors d'une patrouille près de Marjayoun, dans le sud du Liban, l'année dernière. (AFP)
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  • Un émissaire de l’ONU accuse Israël de compromettre les « progrès durement acquis » en sapant la souveraineté et l’intégrité territoriale du Liban par des frappes aériennes et des violations frontalières
  • Le commandant de l’armée libanaise a présenté au gouvernement son deuxième rapport d’étape sur un plan visant à étendre l’autorité de l’État sur l’ensemble du territoire et à réserver le port d’armes aux seules institutions étatiques

NEW YORK: Le Liban a averti que les frappes aériennes et violations frontalières israéliennes risquent de compromettre les progrès réalisés vers la stabilité dans le sud du pays, alors que la mission de maintien de la paix des Nations unies entame sa phase préparatoire en vue d’un retrait progressif.

S’exprimant devant la Quatrième Commission de l’Assemblée générale de l’ONU, le représentant permanent du Liban, Ahmad Arafa, a salué le renouvellement récent du mandat de la Force intérimaire des Nations unies au Liban (FINUL) en vertu de la résolution 2790 du Conseil de sécurité, qui prolonge son mandat jusqu’au 31 décembre 2026, avant un retrait « ordonné, sûr et coordonné » dans l’année suivante.

« Les Forces armées libanaises œuvrent sans relâche pour assurer la pleine application de la résolution 1701 », a rappelé Arafa, évoquant le texte qui avait mis fin à la guerre de 2006 entre Israël et le Hezbollah.

Cette résolution appelle au désarmement de toutes les milices au Liban, y compris le Hezbollah, que les États-Unis considèrent comme une organisation terroriste et dont ils exigent la démilitarisation.

L’accord de cessez-le-feu de novembre 2024 avec Israël prévoit également le désarmement du Hezbollah et l’établissement d’un monopole étatique sur les armes. Si Israël et plusieurs pays y voient une exigence de désarmement total du Hezbollah, le mouvement chiite affirme que cette obligation ne concerne que le sud du Liban.

Arafa a précisé que le commandant de l’armée libanaise avait remis au Conseil des ministres son deuxième rapport d’avancement sur le plan visant à étendre l’autorité de l’État à tout le territoire et à limiter la détention d’armes aux seules institutions légitimes.

Il a toutefois accusé Israël de compromettre les « progrès durement acquis » par des violations continues de la souveraineté libanaise — frappes aériennes, occupation persistante de certaines zones et création de « prétendues zones tampons ».

Selon Arafa, la FINUL a rapporté plus de 7 000 violations de l’espace aérien libanais par Israël depuis la cessation des hostilités en novembre dernier. Ces frappes, a averti la mission onusienne, violent la résolution 1701, « menacent la sécurité des civils et sapent les avancées vers une solution politique et diplomatique ».

Le Liban a également dénoncé les attaques israéliennes visant le personnel et les positions de la FINUL, qualifiées de « violation flagrante du droit international ».

Arafa a exprimé sa gratitude envers la direction de la FINUL et les pays contributeurs de troupes pour leur « dévouement et leurs sacrifices » depuis la création de la mission en 1978, appelant à éviter tout « vide sécuritaire » durant la période de transition à venir, tout en préservant la stabilité et le respect de la souveraineté nationale.

Ce texte est la traduction d’un article paru sur Arabnews.com


«Le sang coulait encore»: le calvaire des réfugiés d’El-Facher arrivés au Tchad

Les FSR, en guerre contre l’armée régulière depuis avril 2023, ont pris le contrôle le 26 octobre de cette ville du Darfour, une région de l'ouest du Soudan déjà ensanglantée dans les années 2000. (AFP)
Les FSR, en guerre contre l’armée régulière depuis avril 2023, ont pris le contrôle le 26 octobre de cette ville du Darfour, une région de l'ouest du Soudan déjà ensanglantée dans les années 2000. (AFP)
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  • "Ils ont appelé sept infirmiers et les ont réunis dans une pièce. Nous avons entendu des coups de feu et j’ai vu le sang couler sous la porte", raconte avec émotion à l’AFP l'adolescent de 16 ans
  • La vidéo, comme de nombreuses autres filmées par les FSR lors de leur entrée dans la ville, a été partagée sur les réseaux sociaux

TINE: Après 11 jours de trajet, Mounir Abderahmane atteint enfin le camp de Tiné, dans la province du Wadi Fira au Tchad, après avoir fui El-Facher, au Soudan, le 25 octobre.

Lorsque des paramilitaires des Forces de soutien rapide (FSR) ont envahi la ville, il veillait son père, militaire dans l'armée régulière blessé quelques jours plus tôt, à l'hôpital saoudien.

"Ils ont appelé sept infirmiers et les ont réunis dans une pièce. Nous avons entendu des coups de feu et j’ai vu le sang couler sous la porte", raconte avec émotion à l’AFP l'adolescent de 16 ans.

La vidéo, comme de nombreuses autres filmées par les FSR lors de leur entrée dans la ville, a été partagée sur les réseaux sociaux. Mounir quitte aussitôt la ville avec son père, qui mourra quelques jours plus tard sur la route qui devait le mener au Tchad.

Les FSR, en guerre contre l’armée régulière depuis avril 2023, ont pris le contrôle le 26 octobre de cette ville du Darfour, une région de l'ouest du Soudan déjà ensanglantée dans les années 2000.

Deux semaines après la prise de la ville, les réfugiés atteignent le Tchad, à plus de 300 km de là. Une poignée d’entre eux, accueillis dans le camp de transit de Tiné, livrent leurs témoignages à l’AFP.

"Coques d'arachides" 

Après 18 mois de siège, tous évoquent une intensification des bombardements à partir du 24 octobre, précédant l’entrée des paramilitaires.

Terrés dans des abris de fortune, des dizaines de personnes s’y entassent pour échapper aux drones. Ils n’ont pour seule nourriture "que des coques d’arachides", raconte Hamid Souleymane Chogar, 53 ans. Le 26 octobre, il s’échappe de sa cachette, "chaque fois que je montais prendre l’air, je voyais dans la rue de nouveaux cadavres, souvent des habitants du quartier que je connaissais", confie-t-il.

Il profite d’une accalmie nocturne pour fuir. Estropié en 2011 lors d'une précédente guerre "à cause des Janjawids" - des milices arabes ayant longtemps persécuté les tribus non arabes du Darfour –, il est hissé sur une charrette qui zigzague dans la ville entre les débris et les cadavres. Leur progression se fait sans parole ni lumière, pour ne pas alerter les paramilitaires.

Alors que les phares d’un véhicule des FSR balayent la nuit, Mahamat Ahmat Abdelkerim, 53 ans, se précipite dans une maison avec sa femme et ses six enfants. Le septième a été tué deux jours plus tôt dans une attaque de drone. "Il y avait une dizaine de cadavres, tous des civils. Leur sang coulait encore", explique-t-il derrière ses lunettes noires, qui cachent un œil gauche perdu quelques mois plus tôt lors d’un bombardement.

Mouna Mahamat Oumour, 42 ans, fuit avec ses trois enfants lorsqu’un obus frappe le groupe. "Quand je me suis retournée, j’ai vu le corps de ma tante déchiquetée. On l’a couverte d’un pagne et on a continué", raconte-t-elle en larmes. "Nous avons marché sans jamais nous retourner", ajoute-t-elle.

Arrivés au sud de la ville, au niveau de la tranchée construite par les paramilitaires pour l'encercler, les cadavres s’accumulent. "Ils remplissent la moitié de ce fossé de deux mètres de large et de trois mètres de haut", détaille Hamid Souleymane Chogar.

Des dizaines ? Des centaines ? Impossible d’estimer leur nombre en pleine nuit, dans cet espace qui s’étend à perte de vue.

Des analyses faites par le laboratoire de l'université américaine de Yale à partir d’images satellites croisées avec des vidéos postées par les FSR, évoquent la présence de nombreux corps dans cette tranchées et sur le talus voisin.

Samira Abdallah Bachir, 29 ans, a emprunté un autre passage, elle a dû descendre dans la tranchée, sa fille de deux ans dans les bras, ses deux autres enfants, âgés de 7 et 11 ans, marchant derrière elle. "On devait éviter les corps pour ne pas marcher dessus", décrit-elle.

Un système de racket 

Une fois sortis de la ville, les réfugiés subissent un nouveau calvaire. A chaque check-point sur les deux principales routes permettant de quitter la ville, les témoignages évoquent de nouvelles violences, viols et vols contre les populations civiles.

Après s'être fait voler son téléphone et son argent, Mahamat Ahmat Abdelkerim doit payer à chaque nouveau check point. "Les FSR ont des téléphones qu’ils mettent sur haut-parleur pour que nous contactions nos proches pour qu’ils nous envoient de l’argent", décrit-il.

Les sommes payées à chaque barrage varient entre 500.000 et un million de livres soudanaises selon les témoignages, soit entre 700 et 1.400 euros.

D’autres témoignages évoquent les ciblages ethniques des FSR. Ils disent "Vous êtes des noirs, des esclaves" raconte un réfugié tout juste arrivé à Tiné. "Ils mettent certains hommes de côté, les dépouillent et tirent au hasard sur eux."

Difficile de savoir combien de Soudanais réussiront à se réfugier au Tchad dans les prochaines semaines. Environ 90.000 personnes ont déjà fui la ville d’El-Facher depuis sa conquête par les paramilitaires, selon les derniers chiffres de l’ONU

Le HCR évoque de son côté "90.000 arrivées dans les trois prochains mois" alors que les violences se poursuivent au Darfour et que les affrontements entre l’armée et les paramilitaires poussent la population à fuir dans la région du Kordofan.

"Des relocalisations sont en cours pour permettre de désengorger le camp de transit de Tiné et accueillir de nouveaux réfugiés", précise Ameni Rahmani, 42 ans, responsable de projet de Médecins Sans Frontières (MSF) à Tiné.

"Les arrivées augmentent encore faiblement mais nous sommes prêts à intensifier notre réponse et à renforcer nos équipes sur place."

Côté soudanais, après s’être retiré du Darfour-Nord suite à des attaques de drones sur des structures médicales depuis deux semaines, MSF prévoit d’y redéployer ces prochains jours ses équipes.

Le conflit au Soudan a fait des dizaines de milliers de morts, en a déplacé près de 12 millions d'autres et provoqué, selon l'ONU, la pire crise humanitaire au monde.

 


Soudan: des sources d'information cruciales emportées par la guerre

En septembre, le reporter de l'AFP avait déjà appris la mort de trois autres de ses sources locales, des hommes toujours prêts à répondre à "ses questions macabres" quand les communications le permettaient. Et toujours sous couvert d'anonymat pour des raisons de sécurité. (AFP)
En septembre, le reporter de l'AFP avait déjà appris la mort de trois autres de ses sources locales, des hommes toujours prêts à répondre à "ses questions macabres" quand les communications le permettaient. Et toujours sous couvert d'anonymat pour des raisons de sécurité. (AFP)
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  • Pendant des mois, le Dr Omar Selik, le Dr Adam Ibrahim Ismaïl, le cheikh Moussa et l'activiste Mohamed Issa ont transmis des informations à l'AFP sur cette ville inaccessible à toute aide extérieure
  • Le correspondant de l'AFP au Soudan, Abdelmoneim Abu Idris Ali, lui-même déplacé de la capitale Khartoum à Port-Soudan, les appelait souvent pour couvrir à distance la guerre sanglante entre l'armée du général Abdel Fattah Al-Burhane et les FSR

PORT-SOUDAN: "Les bombes se rapprochent", "ils tirent sur ceux qui tentent de fuir", "il y a seize morts"... Les informations sur les combats meurtriers et les exactions commises à El-Facher parviennent au monde grâce à de simples citoyens soudanais, restés sur place au péril de leur vie, sources cruciales pour l'AFP.

Cette grande ville de la région du Darfour (ouest) a été assiégée pendant 18 mois avant de tomber le 26 octobre dernier aux mains des paramilitaires des Forces de soutien rapide (FSR) du général Mohamed Hamdane Daglo.

Pendant des mois, le Dr Omar Selik, le Dr Adam Ibrahim Ismaïl, le cheikh Moussa et l'activiste Mohamed Issa ont transmis des informations à l'AFP sur cette ville inaccessible à toute aide extérieure, ensanglantée par des affrontements meurtriers, puis par des massacres commis par les paramilitaires.

Le correspondant de l'AFP au Soudan, Abdelmoneim Abu Idris Ali, lui-même déplacé de la capitale Khartoum à Port-Soudan, les appelait souvent pour couvrir à distance la guerre sanglante entre l'armée du général Abdel Fattah Al-Burhane et les FSR.

Ses quatre sources ont joué un rôle crucial et anonyme. Jusqu'à leur décès...

Adam Ibrahim Ismaïl a été arrêté par les FSR le 26 octobre, le jour de la prise d'El-Facher qu'il tentait de fuir. Il a été abattu le lendemain.

Jusqu'au bout, ce jeune médecin a "soigné les blessés et les malades" de l'hôpital saoudien, le dernier fonctionnel de la ville, selon un communiqué du syndicat des médecins soudanais.

C'est par ce communiqué qu'Abdelmoneim Abu Idris Ali a appris son décès.

Il lui avait parlé quelques jours plus tôt pour faire le point sur les bombardements du jour: "il avait une voix épuisée", se souvient-il. "Chaque fois que nous terminions un appel, il disait au revoir comme si c'était peut-être la dernière fois".

"Questions macabres" 

En septembre, le reporter de l'AFP avait déjà appris la mort de trois autres de ses sources locales, des hommes toujours prêts à répondre à "ses questions macabres" quand les communications le permettaient. Et toujours sous couvert d'anonymat pour des raisons de sécurité.

Les trois ont été tués dans une frappe de drone sur une mosquée d'El-Facher qui a fait au moins 75 morts le 19 septembre.

"Beaucoup de ces 75 personnes avaient fui pour sauver leur vie quelques jours auparavant, mais le drone des FSR les a rattrapées", a précisé Abdelmoneim Abu Idris Ali.

Les voix des sources "me permettaient de dépeindre El-Facher", dit-il. "À travers eux, j'entendais les gémissements des blessés, les peines des endeuillés, la douleur de ceux que broie la machine de guerre", raconte-t-il depuis Port-Soudan.

Avant que la guerre n'éclate, les journalistes pouvaient parcourir le troisième plus grand pays d'Afrique jusque dans ses régions les plus reculées, comme le Darfour.

C'est ainsi que le reporter aguerri de l'AFP a rencontré le cheikh Moussa qui lui a ouvert la porte de son modeste logement en 2006, prélude à deux décennies d'amitié. Il connaissait bien moins les trois autres, faute de temps pour échanger dans une région soumise aux coupures de communication fréquentes.

"Cacher" sa tristesse 

Egalement disparu, le Dr Omar Selik, qui a été loué par de nombreux journalistes internationaux, a vu le système de santé d'El-Facher s'effondrer au fil des mois. Après avoir évacué sa famille dans une zone moins dangereuse, ce médecin continuait de sauver des vies, jusqu'à son propre décès.

"Il me parlait comme s'il s'adressait à la famille d'un patient, annonçant la mort d'un être cher et essayait toujours de cacher la pointe de tristesse dans sa voix lorsqu'il me donnait un bilan des victimes", se souvient Abdelmoneim Abu Idris Ali.

Mohamed Issa, lui, est mort à 28 ans, après des mois à traverser les lignes de front pour apporter nourriture, eau, médicaments aux familles piégées à El-Facher.

"Chaque fois que je lui demandais ce qui se passait, sa voix résonnait joyeusement: +rien de grave inch'Allah, je suis un peu loin, mais je vais aller voir pour toi!+ On ne pouvait pas l'arrêter".

Mohamed Issa se précipitait sur les lieux des frappes, chargeant les blessés sur des charrettes pour les emmener à l'hôpital ou dans n'importe quel lieu susceptible de prodiguer des soins d'urgence, explique le correspondant.

Chassé de son village 

Le cheikh Moussa avait, lui, été chassé de son village il y a 22 ans, au tout début de la guerre du Darfour, par les milices arabes Janjawid, dont les FSR sont les héritières. Il a ensuite vécu dans différents lieux accueillant les réfugiés ballottés au gré des attaques des paramilitaires.

"La violence éclatait encore et encore devant sa porte, mais son rire ne s'est jamais éteint", dit le journaliste de l'AFP.

Quand les bombes ont commencé à pleuvoir sur El-Facher, "il parlait sans fin de la douleur que son peuple subissait, mais si vous lui demandiez comment lui allait, il répondait juste: +alhamdulillah, grâce à Dieu+".

À chaque appel téléphonique, "je l'imaginais assis en tailleur à l'ombre devant sa porte, vêtu d'une djellaba d'un blanc éclatant et d'une calotte assortie, toujours souriant malgré les horreurs qui l'entouraient", se remémore le journaliste de l'AFP.

"Chaque mort est une tragédie que nous sommes habitués à rapporter, mais c'est une autre forme de chagrin lorsqu'il s'agit de quelqu'un avec qui vous avez partagé un repas, quelqu'un dont vous entendiez la voix chaque jour".