Journalistes et humanitaires, des cibles… collatérales

Des journalistes travaillent dans un abri de fortune à Rafah, dans le sud de la bande de Gaza, le 11 décembre 2023, alors que les combats entre Israël et le groupe militant Hamas se poursuivent. (AFP).
Des journalistes travaillent dans un abri de fortune à Rafah, dans le sud de la bande de Gaza, le 11 décembre 2023, alors que les combats entre Israël et le groupe militant Hamas se poursuivent. (AFP).
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Publié le Mercredi 13 décembre 2023

Journalistes et humanitaires, des cibles… collatérales

Journalistes et humanitaires, des cibles… collatérales
  • Le 6 décembre, le Syndicat des journalistes palestiniens parlait de 75 journalistes et autres travailleurs du secteur «médias» qui ont trouvé la mort depuis le début de la guerre
  • Médecins, ambulanciers, employés d’organisations internationales et journalistes: plus de 200 victimes des tirs israéliens à Gaza!

Médecins, ambulanciers, employés d’organisations internationales et journalistes: plus de 200 victimes des tirs israéliens à Gaza! «Le conflit le plus meurtrier jamais connu par l’Onu», selon l'Agence pour les réfugiés (UNRWA). Depuis Ramallah, le site Palestine News Network note le 9 décembre: «Les journalistes paient le plus lourd tribut: 63 professionnels des médias tués lors de l’assaut israélien sur Gaza».

Le 6 décembre, le Syndicat des journalistes palestiniens parlait de 75 journalistes et autres travailleurs du secteur «médias» qui ont trouvé la mort depuis le début de la guerre; 43 seraient détenus en Israël et deux sont portés disparus.

Israël, hors de contrôle, de tout contrôle!

Il ne suffisait pas à l’occupant de bénéficier d’une impunité sans précédent dans l’Histoire, il lui fallait aussi une totale liberté de s’attaquer à des humanitaires et à des journalistes! Vous avez dit «victimes collatérales»? Je dirai, sans craindre contradiction: «cibles collatérales»!

Et toujours, cette ritournelle: Israël a le droit de se défendre. À n’importe quel prix? Oui, répondent les faits. Et contre les faits, on ne peut rien. Mais contre Israël?... Si le Haut-Commissaire des Nations unies aux Droits de l’Homme, Volker Türk, alerte (sur LCI 6-12-23): «Les Palestiniens de Gaza vivent dans l’horreur la plus totale», les Gazaouis n’ont qu’à s’en prendre à eux-mêmes, eux qui acceptent de servir de boucliers humains au Hamas! Et si vous, lecteur, vous vous demandez: «Pourquoi une telle impunité?», eh bien, c’est que vous êtes un antisémite qui s’ignore! Point barre.

De la perversité dans la stratégie

Autre singularité: dans les échanges «Otages du Hamas/Prisonniers en Israël», il y eut un geste des plus pervers, côté israélien: on a «glissé», parmi les prisonniers palestiniens, quinze femmes… Arabes israéliennes! Oui, des Palestiniennes citoyennes d’Israël, selon le témoignage de l’envoyé spécial du Monde à Haïfa: «arrêtées après les attaques du 7 octobre pour des délits d’expression sur les réseaux sociaux, échangées contre des otages détenus par le Hamas, sans l’avoir demandé. Cette assimilation au mouvement islamiste risque de leur porter préjudice en Israël»(1)!

Perversité ou diabolique stratégie? Quel rapport entre ces citoyennes d’Israël, aussi arabes soient-elles, et les prisonniers palestiniens accusés de «terrorisme»? N’y aurait-il pas là l’effet d’un retour du refoulé? L’inconscient colonial, tout bonnement! Voici ce que rapporte le même journaliste: «Le 30 novembre, vers 4 heures, les parents d’Alaa Shahade, 23 ans, dormaient quand le Shin Beth a sonné à leur porte… Les policiers ramenaient à leur domicileleur fille (…). Elle avait été incarcérée le 19 novembre pour avoir publié, le 7 octobre, quatre messages sur Instagram relayant des images de l’attaque meurtrière du Hamas en territoire israélien. Sa famille avait été informée la veille qu’elle figurait sur la liste des prisonniers échangés par Israël contre des otages israéliens (…)».

Les travailleurs humanitaires ne sont pas épargnés

L’agence Palestine News Network, basée à Bethléem, en Cisjordanie, rapporte d’autres cas de non-respect des conventions internationales concernant les journalistes et les prisonniers. Le Syndicat des journalistes palestiniens précise que plusieurs des victimes furent la cible de tirs de snipers. Le 10 novembre, déjà, le Croissant rouge palestinien signalait des tirs de snipers contre l’hôpital Al-Quds: un mort et 20 blessés (2). 

L’OMS dénonce les frappes sur des hôpitaux et des ambulances (3). Sur RTS (Radio-Télévision-Suisse), William Schomburg, chef de la sous-délégation du Comité international de la Croix-Rouge (CICR), a déclaré: «Les travailleurs humanitaires ne sont pas épargnés par l'offensive israélienne». Lui-même «a dû faire face au décès d'un collègue ces derniers jours. Ses confrères palestiniens sur place sont nombreux à avoir perdu un parent proche» (4).

Ainsi, malgré les appels répétés de plusieurs organisations internationales, dont l’ONU, appels au respect des installations médicales, des blessés et du personnel soignant, Israël continue ses bombardements et ses tirs.

Le 18 novembre, un convoi de MSF, dont les véhicules étaient clairement identifiés par le logo de l’organisation, fut encore la cible de tirs, faisant deux morts.

«Netanyahou, finis-les! Finis-les! Finis-les!»

Le 20 novembre, c’est la clinique de MSF qui fut endommagée par un bulldozer et un char. Soyons réalistes, commentent les bonnes âmes: on est en guerre et il n’y a pas de guerre sans «dommages collatéraux»! Et si, le 24 novembre, des employés de la même MSF assistèrent à la destruction de leur minibus par un char israélien, c’est que lesdits employés ne pouvaient être que des chiens du Hamas! Des «animaux humains», avait dit le ministre israélien de la Défense.

Le lendemain, depuis les États-Unis, une voix tonna sur Fox-News: «Netanyahou, finis-les! finis-les, finis-les!» C’était le cri du cœur de Nikki Haley, candidate à la présidentielle 2024. Comme en écho lointain, un membre du Likoud, Ariel Kallner, s’écria: «Un seul objectif: la Nakba! Une Nakba qui éclipsera celle de 1948»!

Ce n’est pas la première fois qu’en Israël les Palestiniens sont traités bestialement, pour ainsi dire. En 1982, Menahem Begin voyait en eux «des bêtes à deux pattes»; en 2013, le rabbin Eli Ben Dahan, ancien ministre délégué à la Défense: «Les Palestiniens sont comme des animaux, ils ne sont pas humains» (5).

Ainsi, voilà «la seule démocratie de la région», disposant de «l’armée la plus morale du monde», qui déshumanise toute une humanité et commet le plus massif des massacres de populations que le monde aura connus depuis des décennies! Le 7 décembre, 27 organisations humanitaires ont lancé un appel à l’arrêt immédiat des combats, soulignant que les conditions à Gaza sont «parmi les pires que nous ayons vues».

Et le lendemain, que font les Éats-Uniens? Ils dégainent leur véto contre une résolution du Conseil de sécurité de l'ONU réclamant un «cessez-le-feu humanitaire immédiat». Le Droit international? On l’a vu: l’État d’Israël en est dispensé.

Le traumatisme des Arabes israéliennes libérées dans le cadre des échanges avec le Hamas (Jacques Follorou, Haïfa, envoyé spécial, Le Monde 9-12-23).
Arab news en français
3 Le Parisien du 10-11-23: «Guerre Israël-Hamas: ce que l’on sait sur les attaques aux abords des hôpitaux de Gaza».
4 William Schomburg sur Gaza: "Personne ne croyait qu'on en …
5 Ramzy Baroud, «Animaux humains»: le langage sordide derrière le génocide …

Salah Guemriche, essayiste et romancier algérien, est l’auteur de quatorze ouvrages, parmi lesquels Algérie 2019, la Reconquête (Orients-éditions, 2019); Israël et son prochain, d’après la Bible (L’Aube, 2018) et Le Christ s’est arrêté à Tizi-Ouzou, enquête sur les conversions en terre d’islam (Denoël, 2011).

Twitter: @SGuemriche

NDLR : L’opinion exprimée dans cette page est propre à l’auteur et ne reflète pas nécessairement celle d’Arab News en français.