Nous avons besoin d’un leadership mondial

Entre janvier et avril de cette année, l'économie mondiale est passée de l'optimisme général à la pire récession enregistrée depuis la Grande Dépression. La Banque mondiale estime que pas moins de 100 millions de personnes vont basculer dans l'extrême pauvreté, inversant des décennies de progrès.
Entre janvier et avril de cette année, l'économie mondiale est passée de l'optimisme général à la pire récession enregistrée depuis la Grande Dépression. La Banque mondiale estime que pas moins de 100 millions de personnes vont basculer dans l'extrême pauvreté, inversant des décennies de progrès.
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Publié le Lundi 28 décembre 2020

Nous avons besoin d’un leadership mondial

Nous avons besoin d’un leadership mondial
  • Si les dirigeants du G20 se sont unis, au lendemain de la crise financière de 2008, pour empêcher un basculement encore plus dramatique de l'économie mondiale, la situation en 2020 est différente
  • Les perturbations de la Covid-19 représentent par conséquent une opportunité de transformer l'économie grâce à des modalités de travail plus efficaces, plus performantes, plus flexibles et à l'empreinte carbone réduite

Le monde a connu en 2020 une crise mondiale pour le moins inédite. En plus de prendre une ampleur sans précédent, la pandémie de la Covid-19 a frappé aveuglément, et a révélé les failles chroniques dans les systèmes de soins de santé, dans l’état de préparation aux situations d'urgence, et la coordination multilatérale. Bien que ce coronavirus constitue avant tout un enjeu sanitaire, il reste une crise multidimensionnelle.

La pandémie a placé les décideurs face à des défis sans précédent alors qu’ils tentaient d’en gérer les répercussions complexes. Les gouvernements ont dû trouver un équilibre entre la protection des vies et le maintien des moyens de subsistance, de l’espace budgétaire et d’un fardeau de dette acceptable. Au cours de cette période extraordinaire, le processus derrière l'élaboration de politiques qui tentent de concilier entre rapidité, précision et efficacité a enfin été révélé.

Les gouvernements du monde ont réagi à la crise d'une manière plus ou moins similaire, mais la géométrie variable de l’efficacité des politiques est évidente, reflet des disparités dans le leadership politique, la capacité institutionnelle, les processus décisionnels entre autres. Des systèmes de santé robustes et inclusifs, un état de préparation aux situations d'urgence, et la présence de filets de sécurité sociale ont joué un rôle essentiel. À l'avenir, cette infrastructure, jumelée à une politique macroéconomique saine et une portion adéquate de l’espace budgétaire, permettra aux pays de réagir plus rapidement et plus efficacement à de tels chocs.

Et ces chocs peuvent être violents et, pire encore, simultanés. Entre janvier et avril de cette année, l'économie mondiale est passée de l'optimisme général à la pire récession enregistrée depuis la Grande Dépression. La Banque mondiale estime que pas moins de 100 millions de personnes vont basculer dans l'extrême pauvreté, inversant des décennies de progrès.

Dans les pays en développement, la Covid-19 et les mesures de confinement subséquentes ont le plus durement sévi contre les employés, mais aussi contre les ménages sans accès à des filets de sécurité sociale adéquats. Sans un élargissement des programmes d’aides, les quasi-pauvres et autres tranches vulnérables de la société pourraient aisément sombrer dans une misère plus profonde.

Mais l’efficacité et la réactivité d’un gouvernement dépendent fortement de la disponibilité et de la fiabilité des données. Les pays qui disposent préalablement d'informations détaillées et accessibles sur les éventuels bénéficiaires peuvent ajuster très rapidement leurs programmes, et cibler les groupes à risque. Les pays qui ne disposent pas de bases de données unifiées se retrouvent confrontés à des défis importants lors d'une pandémie.

L'Indonésie, comme la plupart des pays, a réagi à la Covid-19 en prenant des mesures telles que renforcer l’infrastructure sanitaire publique, élargir le cercle des protections sociales, et étendre le soutien aux petites entreprises. Grâce à une base de données des ménages qui constituent les 40% les plus pauvres à l’échelle de la population, nous avons été en mesure d’élargir et d’accélérer l'admissibilité aux prestations. L’objectif reste de couvrir les 60% de la partie inférieure de l’échelle.

Bien que relativement protégés lors des crises économiques précédentes, les petites entreprises et le secteur de l’économie informelle comptent désormais parmi les plus vulnérables aux mesures de confinement. L’Indonésie a donc suivi la tendance et mis l'accent sur les politiques de soutien avec des taux d'intérêt bonifiés, une restructuration de la dette, ainsi que des prêts de fonds de roulement et des garanties de crédit.

En ce qui concerne 2021, il est déjà clair que la forme et le rythme d'une reprise mondiale dépendront de plusieurs facteurs reliés. Mais un leadership à l’échelle globale reste primordial. La communauté internationale doit s'entendre sur une plate-forme commune pour naviguer une reprise économique conforme aux objectifs de développement durable (ODD) fixés par l'ONU pour 2030.

Si les dirigeants du G20 se sont unis, au lendemain de la crise financière de 2008, pour empêcher un basculement encore plus dramatique de l'économie mondiale, la situation en 2020 est différente. Le leadership mondial brille par son absence. Les États-Unis et la Chine sont pris dans un conflit au sujet du commerce, de la technologie 5G et d'autres problèmes géopolitiques, tandis que les systèmes et processus multilatéraux sont écartés au profit de soucis de souveraineté nationale.

Face à ce vide, chaque pays doit se concentrer sur ses propres moyens au niveau national pour éviter le scénario d'une pandémie qui s’éternise, tout en maintenant le cap vers les ODD. À titre d’exemple, les programmes et politiques de protection sociale de l’Indonésie en faveur des petites entreprises prévoient des dispositions spéciales pour les femmes bénéficiaires. Cette approche améliore l'inclusion financière des femmes, mais elle mène aussi vers d'autres objectifs de développement, car ces bénéficiaires ont tendance à réserver plus de ressources aux enfants.

Les décideurs doivent également tenir compte de l’impact de la pandémie sur façon de travaillent et d’interagir des gens, et de leur dépendance nettement plus élevée aux technologies numériques et à l’infrastructure Internet. Les perturbations de la Covid-19 représentent par conséquent une opportunité de transformer l'économie grâce à des modalités de travail plus efficaces, plus performantes, plus flexibles et à l'empreinte carbone réduite. En plus de leur valeur intrinsèque, les investissements dans la technologie et les infrastructures numériques sont de puissants catalyseurs de la reprise économique.

Le rétrécissement des capacités fiscales çà et là exige des réformes, de plus en plus pressantes, pour améliorer la qualité des dépenses publiques. Des processus politiques transparents, des données précises et des institutions performantes sont indispensables pour garantir que toutes les ressources publiques soient consacrées aux outils essentiels du développement.

Mais, même si les gouvernements se concentrent sur les défis nationaux à court terme, la coopération mondiale reste essentielle pour assurer une reprise durable et inclusive. Des gestes concertés à l’échelle globale sont nécessaire pour gérer le prochain tsunami de la dette déclenché par la pandémie. De nombreux pays sont aux prises avec le fardeau de la dette, déjà ingérable avant la crise, et il faudra une coopération mondiale pour éviter une détérioration radicale du crédit ou même une vague de dette souveraine en crises dans les prochains mois.

La pandémie ne sera pas vaincue tant que le virus n’est pas éradiqué dans tous les pays, une collaboration est par conséquent nécessaire pour garantir l'accès universel aux vaccins. Faute de quoi, la Covid-19 va creuser davantage l'écart entre les riches et les pauvres, ajoutant à l'instabilité sociale et politique des pays et des relations diplomatiques.

Jusqu'à présent, le monde a réussi à éviter les pires des éventualités, ayant appris de la majorité des leçons de la crise de 2008. Mais nous n'avons pas encore réussi le test de cette pandémie. La crise de 2020 nous apprend que nous avons besoin d’une plus grande coopération pour faire face au défi le plus difficile de ce siècle.

La reprise économique mondiale est désormais en jeu. Nous devons réformer et relancer le système multilatéral, et résister à ceux qui préconisent de jeter le bébé avec l’eau du bain. L'économie globale est un bateau, avec le sort de 8 milliards de personnes qui dépendent de ses capacités de navigation. Sa reprise est dans l'intérêt de chaque entreprise, chaque gouvernement, et de toutes les instances multilatérales réunies.

 

Sri Mulyani Indrawati est la ministre des Finances de l’Indonésie.

www.project-syndicate.org 

Les opinions exprimées par les auteurs dans cette section sont les leurs et ne reflètent pas nécessairement les points de vue d'Arab News.

Ce texte est la traduction d’un article paru sur Arabnews.com